ÉCHÉANCE - L’Europe pourrait avoir atteint en juillet l’immunité collective, a estimé dimanche le commissaire européen au Marché intérieur Thierry Breton. Selon quels critères et est-ce vraiment atteignable ?
A-t-on enfin de bonnes raisons d'espérer entrevoir le bout du tunnel de la crise sanitaire prochainement ? Oui, si l'on en croit les récentes déclarations du commissaire européen au Marché intérieur, en charge du processus de vaccination, Thierry Breton, selon lequel l’Europe pourrait atteindre l’immunité collective au 14 juillet. "C’est la dernière ligne droite", a-t-il ainsi estimé ce dimanche sur TF1.
Pour faire ce pronostic, ce dernier s'appuie sur la montée en cadence des livraisons de vaccins attendues en Europe, avec notamment 60 millions de doses livrées en mars, 100 millions en avril et 120 millions en mai. Mais l'accélération évoquée est-elle en accord avec le nombre nécessaire de personnes vaccinées pour atteindre l’immunité collective ? Pourquoi est-il quoiqu'il arrive difficile de s'avancer sur la question ? On fait le point.
De quoi parle-t-on ?
Rappelons que selon la définition de l'institut Pasteur, l'immunité collective correspond "au pourcentage d’une population donnée qui est immunisée/protégée contre une infection à partir duquel un sujet infecté introduit dans cette population va transmettre le pathogène à moins d’une personne en moyenne, amenant de fait l’épidémie à l’extinction, car le pathogène rencontre trop de sujets protégés." Cette immunité de groupe peut être obtenue via l’immunité naturelle ou via l'immunité vaccinale qui semble être supérieure, selon, entre autres, une étude menée par le CHU de Toulouse. Mais aussi une étude israélienne selon laquelle les patients vaccinés développent jusqu'à 20 fois plus d'anticorps que ceux qui se sont rétablis du Covid-19.
Toutefois, on ne sait pas encore précisément quel pourcentage de la population doit être vaccinée pour atteindre cette immunité collective : peut-être entre 70% et 85%, estimait il y a quelques jours l'immunologue américain reconnu Anthony Fauci, cité par le Wall Street Journal. "Si l'objectif est d'avoir une immunité collective, il faut que 80% de la population ayant une vie sociale soit vaccinée", résume de son côté le Pr Renaud Piarroux, chef du service de Parasitologie - Mycologie de l'hôpital La Pitié-Salpêtrière AP-HP, invité sur LCI ce lundi. "Avec un vaccin efficace à 95% (...) il suffit que la couverture vaccinale atteigne 50 à 60% pour que l’intégralité de la population soit immunisée, même ceux qui ne veulent pas se vacciner pour protéger les autres", a déjà eu l'occasion de souligner pour sa part Karine Lacombe, infectiologue et cheffe du service des maladies infectieuses à l'hôpital Saint-Antoine à Paris sur notre antenne.
Ces statistiques font écho, entre autres, à une étude parue en juillet dernier dans l'American Journal of Preventive Medicine. On y apprenait que pour atteindre l'immunité collective, l'efficacité du futur vaccin devrait être d'au moins 60%, dans le cas où 100% de la population se faisait vacciner. Dans le cas où la couverture vaccinale descendait à 75%, lorsque la vaccination n'est pas obligatoire par exemple, l'efficacité du vaccin devrait alors atteindre 80%. Mais même un taux d'efficacité compris entre 40 à 60% pourrait déjà changer la donne en permettant de contrôler la pandémie. Ainsi, les chercheurs ont calculé qu'un vaccin efficace à 40% permettrait d'éviter 89,5 milliers de jours d'hospitalisation et 2,8 millions de personnes mises sous ventilation artificielle. Annonçant des taux d'efficacité supérieurs à 90%, les candidats vaccins sont donc supposés éteindre l'épidémie.
Un objectif réaliste ?
"Cet objectif dépend presque uniquement de la distribution des vaccins auprès des professionnels", estime Emilie Ferrat, médecin généraliste et chercheuse en épidémiologie, interrogée par 20 Minutes. Et d'ajouter : "Il nous faut les doses".
Dimanche sur TF1, le commissaire européen a précisé qu'"entre le mois de mars et le mois de juin, on va livrer entre 300 et 350 millions de doses de vaccin". Mais l'accélération évoquée, mise en parallèle avec le nombre attendu de personnes vaccinées pour atteindre l’immunité collective, suscite le scepticisme de certains. "Avec 300 millions de doses (pour l'Europe) à cette date, cela ne fonctionne pas", conclut entre autres le Pr Renaud Piarroux, rappelant notamment qu'il y a 450 millions d'Européens et que "pour faire une vaccination, il faut deux doses par personne". Et de détailler : "Est-ce qu'avec 350 millions de doses on fait deux doses à 80% de 450 millions d'habitants ? C’est-à-dire 300 sur 800 à peu près ? Il en manque encore plus que la moitié".
██▒▒▒▒▒▒▒▒▒▒▒▒▒▒▒▒▒▒ 9,21 % 💉 6.146.162 injections réalisées (+515.491 en 24h) 💉💉 2.427.389 injections réalisées (+130.289 en 24h) ⏱️ Au rythme actuel, il faudrait 270 jours pour que l’ensemble de la population ait reçu une dose, soit le 15 décembre 2021 — Bot du Vaccin (@BotDuVaccin) March 22, 2021
Pour l'heure, un peu plus de 54 millions de doses ont été administrées en Europe, selon les chiffres du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC). Dans le détail, 10,4 % des Européens ont reçu une dose et 4,5 % deux doses. En France, le 20 mars, 6.137.375 personnes ont reçu au moins une injection (soit 9,2 % de la population totale) et 2.444.473 personnes ont reçu deux injections (soit 3,6 % de la population totale), selon les chiffres du ministère de la Santé. Une accélération est déjà bel et bien notable. En témoigne, le chronomètre du compte Twitter "Bot du vaccin" qui estime chaque jour à quelle date l'ensemble de la population française aura reçu une dose de vaccin, en se basant sur le rythme de vaccination des sept jours passés. Or, ce lundi, pour la première fois depuis l'ouverture du compte début février, la date est enregistrée en 2021 (et non 2022). "Au rythme actuel, il faudrait 270 jours pour que l’ensemble de la population ait reçu une dose, soit le 15 décembre 2021", estime le Bot du vaccin.
Des questions en suspens
Mais en matière d'immunité collective, et particulièrement vaccinale, plusieurs questions restent à trancher. C'est le cas de la vaccination des enfants. Si tous les spécialistes ne s'accordent pas sur ce point, certains considèrent cette étape comme nécessaire pour arriver à mettre un terme à la pandémie. "On vient de voir que si on veut une immunité collective il faudra penser à vacciner y compris les plus jeunes", pointait encore ce lundi l'épidémiologiste Renaud Piarroux sur LCI.
"Une immunité collective efficace nécessitera la vaccination des enfants", ont écrit en février dans la prestigieuse revue scientifique NEJM les spécialistes en pédiatrie Perri Klass et Adam J. Ratner. Il s'agit d'une "obligation éthique et d'une nécessité pratique", selon eux. Les bénéfices seront à la fois "directs" (les enfants tomberont moins malades), et "indirects" (ils ne transmettront pas la maladie), soulignent-ils. "Je considère qu'il s'agit bien d'une haute priorité", a récemment estimé auprès de l'AFP la Dr. Lee Savio Beers, présidente de l'American Academy of Pediatrics. "Les enfants de moins de 10 ans transmettent moins le virus, mais cela ne veut pas dire qu'ils ne le transmettent pas du tout", y compris à des personnes à risque, a-t-elle argué.
En outre, si les dernières données se veulent rassurantes sur ce point, des doutes existent toujours, autour de la capacité des vaccins à bloquer la transmission du Covid-19, et particulièrement celle des variants, plus contagieux. Autrement dit, une personne vaccinée pourrait être prémunie contre les formes graves, mais se trouver porteuse saine du virus et contribuer à sa transmission, ce qui là encore pourrait mettre à mal les objectifs évoqués pour atteindre l'immunité collective.
Quid de l'immunité naturelle ?
D'après un calcul de l'institut Pasteur publié en 2020, le pourcentage à atteindre pour parler d'immunité collective dans le cadre du Covid-19 serait de 70%. À condition que l'infection naturelle protège, "ce qui n’est pour l'instant pas démontré, en particulier pour les sujets qui n’ont été que porteurs", nuancent les chercheurs. Si l’infection offre une immunité sur le court terme, il est possible qu'une personne perde ses anticorps au fil du temps. De quoi, là encore, fragiliser l'immunité collective, qui reste donc encore à prouver, notamment avec la circulation des variants. À titre d'illustration, fin février, soit un an après le recensement du premier cas de Covid-19 en France, seuls près de 17% des Français de plus de 20 ans avaient été infectés par le virus, d'après une étude de l'Institut Pasteur.
Les incertitudes qui persistent sur les conditions de l'immunité collective rendent donc difficile d'affirmer qu'elle sera atteinte d'ici mi-juillet. Rappelons d'ailleurs que Soumya Swaminathan, responsable scientifique de l’OMS, avait prévenu en janvier lors d’une conférence de presse que "même si les vaccins commencent à protéger les plus vulnérables, nous n'atteindrons aucun niveau d'immunité de la population ou d'immunité collective en 2021." Et d'insister : "On ne parle pas de millions, mais de milliards de doses"
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