Le masque, une barrière qui "protège surtout les autres de nos postillons"

Publié le 25 avril 2020 à 10h10, mis à jour le 25 avril 2020 à 10h16
Le masque, une barrière qui "protège surtout les autres de nos postillons"
Source : PHILIPPE LOPEZ / AFP

MESURES DE PROTECTION - Qualifiés d'inutiles dans un premier temps, les masques de protection sont désormais recommandés pour lutter contre la pandémie de coronavirus. Retour sur les connaissances scientifiques autour de l'objet central du déconfinement avec Christophe Bécavin, chercheur au CNRS.

Les Français porteront-ils bientôt tous un masque lorsqu'ils sortiront de chez eux ? C'est possible, alors que le gouvernement a récemment fait volte-face sur la question. Le président de la République Emmanuel Macron veut désormais que l'État puisse fournir un masque "grand public" à chaque Français qui le souhaite, et son utilisation "pourrait devenir systématique", notamment dans les transports en commun.

Pourtant, au début de la pandémie, le discours de l'exécutif était tout autre. Les masques "ne sont pas nécessaires si l'on n'est pas malade", avait déclaré la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye, le 17 mars dernier, à l'issue d'un Conseil des ministres. Auditionné à l'Assemblée nationale le 1er avril, le Premier ministre Édouard Philippe avait, lui, indiqué qu'"il n'y a pas de preuve que le port du masque dans la population apporterait un bénéfice", citant le directeur exécutif de l'OMS. "Ce serait même plutôt le contraire, à cause d'une mauvaise utilisation."

VIDÉO LCI PLAY - L'Académie nationale de Médecine pour le port du masque obligatoire !Source : Sujet TF1 Info

Alors les masques, que l'Académie nationale de médecine recommande de porter sans attendre (voir vidéo ci-dessous), permettent-ils vraiment de limiter la transmission du Covid-19 ? Peuvent-ils éviter d'avoir à respecter les gestes barrières ? Comment les utiliser correctement ? De nouvelles découvertes ont-elles été réalisées ces dernières semaines pour que le gouvernement revoit sa position ? Tour d'horizon des connaissances scientifiques autour du masque avec Christophe Bécavin, chercheur du CNRS à l'Institut de pharmacologie moléculaire et cellulaire.

Un certain nombre de personnes se sentent oppressées par le masque et l'enlèvent du nez : ce n'est pas bon
Christophe Bécavin

LCI : Les masques permettent-ils vraiment de limiter la transmission du Covid-19 au sein de la population ?

Christophe Bécavin : Une étude récente montre que les masques chirurgicaux ont un intérêt pour les postillons qui sortent de la bouche, mais peut-être pas pour ceux qui entrent. En effet, si le postillon touche l'extérieur du masque et que le virus est très résistant, ce que nous ne savons pas encore, l'humidité peut à terme faire pénétrer le virus dans le masque. Ces masques ne possédant pas de propriété filtrante, ils ne garantissent pas la protection totale contre les flux d’air contaminés.

Ceux conçus à la main permettent eux aussi une réduction significative de la contamination : la transmission du virus se faisant par postillons, une partie d'entre eux va être bloquée par le masque. Mais il peut toujours y avoir un peu de virus qui passe. Yves Buisson, professeur de l'Académie de médecine, parlait de masques de courtoisie : ils protègent surtout les autres de nos postillons.

Si l'utilisation du masque est mauvaise, le port devient-il inutile ?

Tout à fait. Un certain nombre de personnes se sentent oppressées par le masque et l'enlèvent du nez : ce n'est pas bon. Il faut protéger l'excrétion de nos postillons, et donc positionner le masque devant la bouche et le nez. De plus, si nous ne voulons pas inhaler l'air d'une personne proche de nous, il faut également bien ajuster le masque : sur les masques chirurgicaux, il faut appuyer sur la barrette au niveau du nez. Cela évite d'aspirer l'air ambiant et d'être potentiellement contaminé.

Plusieurs scientifiques accordent également une grande importance à la façon de retirer le masque. Confirmez-vous que cela est primordial ?

Oui. Prenons l'exemple d'un cas extrême : si quelqu'un vous postillonne au visage, le virus se positionne alors sur le masque et non dans votre bouche, ce qui est déjà une première étape. Par la suite, si vous prenez le masque à la main, le virus va être transféré du masque vers vos doigts. Comme nous avons tendance à nous toucher souvent le visage, il finira donc par arriver dans votre bouche ou votre nez.

Pour retirer correctement le masque, la technique est d'attraper directement l'élastique au niveau des oreilles, puis tirer vers l'avant. Le seul contact doit être entre la main et l'élastique. Ensuite, il faut soit jeter le masque, soit le laver à 60°C pour détruire le virus.

Le port du masque permet-il de réduire les gestes barrières ?

Non. Pour le Covid-19, il y a au moins deux modes de transmission : par les gouttelettes (protection par un masque), et par contact direct. Si vous mettez un masque, mais que vous touchez les portes à l'extérieur, vous pouvez entrer au contact avec le virus. Les gestes barrières, notamment le lavage des mains, évitent donc la transmission par contact direct.

L'autre geste barrière, la distanciation d'un mètre, est plus contestable. Nous ne savons pas à quel point le virus peut survivre en aérosol, c'est-à-dire en suspension dans l'air. Toutefois, plus la distance est grande, mieux c'est.

Il y a quelques semaines, les masques étaient jugés insuffisants pour protéger contre le virus. Le monde scientifique a-t-il réalisé de nouvelles découvertes ces dernières semaines, ou les discours politiques ont-ils simplement changé ?

Non, c'est totalement le dialogue qui a changé. Si je voulais être cynique, je dirais que les premiers messages étaient de dire que le masque ne sert pas car nous n'en avions pas suffisamment à disposition. Maintenant que ce n'est plus le cas, le masque devient utile.

Au niveau de la science, nous calquons nos recherches du Sars-Cov-2 (le nom scientifique du nouveau coronavirus) sur ce que nous connaissons du Sars-Cov-1, apparu en 2003, du Mers, en 2012, et de la grippe. Nous savons désormais que le Sars-Cov-1 était beaucoup moins contagieux, ce qui signifie que le masque n'était pas utile tant qu'il y avait de la distanciation sociale. Dans la pandémie actuelle, nous n'avons pas découvert l'utilité du masque, mais nous ne savions pas à quel point ce virus était contagieux. Pour s'en protéger, le masque devient alors primordial.


Idèr NABILI

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