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Les pays dirigés par des femmes ont-ils mieux géré la crise du Covid-19 que les autres ?

Publié le 18 août 2020 à 17h55
Angela Merkel et son homologue finlandaise Sanna Marin ont été saluées pour leur gestion de l'épidémie de Covid-19.

Angela Merkel et son homologue finlandaise Sanna Marin ont été saluées pour leur gestion de l'épidémie de Covid-19.

Source : Odd ANDERSEN / AFP

À LA LOUPE – L'actrice américaine Sharon Stone a fustigé Donald Trump et les citoyens refusant le port du masque. Elle a aussi indiqué que les pays comptant une femme à leur tête avaient mieux géré l'épidémie. Les chiffres le confirment, mais tirer une telle conclusion semble abusif.

Alors que sa famille est durement touchée par l'épidémie de Covid-19, l'actrice américaine Sharon Stone a posté sur son compte Instagram une vidéo afin de sensibiliser ses fans et de faire passer une série de messages. Une intervention dans laquelle elle a vivement critiqué la gestion de la crise sanitaire par Donald Trump et où elle appelle à voter pour Joe Biden lors de l'élection présidentielle de novembre prochain. 

Incitant les Américains à porter le masque, la star a aussi justifié son appel au vote par le fait que le candidat démocrate a choisi la sénatrice Kamala Harris comme colistière et future vice-présidente en cas d'élection. "Avec des femmes au pouvoir, nous nous battrons pour nos familles", a lancé Sharon Stone, ajoutant que "les seuls pays qui s'en sortent bien face au Covid sont ceux où les femmes occupent des postes de pouvoir". Une conclusion surprenante, et sans doute un brin hâtive.

Les chiffres plaident en faveur des femmes

Aujourd'hui dans le monde, une vingtaine de pays sont dirigés par des femmes. Afin de comparer la gestion de la crise du Covid, il est possible de se pencher sur les chiffres de mortalité, qui peuvent rendre compte de l'efficacité des politiques publiques mises en place. Si le nombre total de décès est peu instructif, celui rapporté à un million d'habitants s'avère bien plus pertinent. Il permet ainsi d'effectuer des comparaisons, sans que la taille des pays ne vienne fausser notre perception.

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Parmi les 10 états les plus touchés, aucun n'est aujourd'hui dirigé par une femme. Même constat parmi les 20, les 30, voire même les 40 plus touchés. L'Allemagne, avec 111,4 morts pour un million d'habitant, est le premier pays dirigé par une femme dans ce classement, en 41e place. Viennent ensuite le Danemark ou la Serbie (44 et 47e), la Finlande ou la Norvège (66 et 70e). Parmi les moins touchés, (6 morts ou moins pour un million d'habitants), on retrouve de nombreux pays dirigés par des femmes, que ce soit la Slovaquie, l'Ethiopie, Singapour ou la Nouvelle-Zélande. 

En se basant sur les données compilées par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, le média américain USA Today indique parmi les pays les plus touchés (et tous dirigés par des hommes), la moyenne du nombre de morts par million d'habitant est de 444. "Contre seulement 50 en moyenne dans les pays dirigés par les femmes."

Des données à nuancer

Des chercheurs ont tenté de dépasser les chiffres et de pousser plus loin l'analyse. Le site Quartz explique que dans un article scientifique encore au stade de la prépublication, ces derniers ont découvert que "les femmes dirigeantes ont décidé le confinement de leur pays plus tôt que leurs homologues masculins", alors que le virus avait fait moins de morts. Ils attribuent cela au fait que "les femmes s'avèrent plus réticentes à prendre des risques" dans leur mode de gouvernance, ce que corroboraient déjà de précédentes études.

Autre piste envisagée, le fait que les dirigeantes "fassent preuve de davantage d'empathie", une idée avancée par Hillary Clinton en juin. Elle déclarait alors que les femmes avaient "fait preuve d'un leadership inclusif, empathique et scientifique qui devrait être mis en avant à travers le monde". Pour autant, les chercheurs émettent des réserves. Quant au nombre de pays étudiés notamment, seule une très faible part des Etats étant aujourd'hui dirigés par des femmes. Les experts soulignent aussi que les données relatives à la mortalité doivent être analysées avec prudence, la comptabilisation des décès n'étant pas identique ni égale à travers le monde.

Le New York Times émet lui aussi des réserves à propos des analyses qui consisteraient à n'analyser la gestion de la crise sanitaire par l'angle du sexe des dirigeants. Le quotidien note que des pays très touchés, comme le Brésil, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, "ont en commun d'être dirigés par des hommes souscrivant à une forme de populisme isolationniste". Peut-être faut-il donc se pencher sur le type de gouvernance et l'idéologie des chefs d'Etats, plutôt que sur leur genre.

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Dans son analyse, USA Today fait remarquer que la personnalité des dirigeants est indispensable à prendre en considération, et qu'elle peut offrir des éclairages très utiles pour comprendre la manière dont a été organisée la réponse au Covid dans chaque pays. En Allemagne par exemple, "Angela Merkel est une scientifique, titulaire d'un doctorat en chimie quantique et travaillait comme chercheuse avant d'embrasser une carrière politique. Lorsque la pandémie a éclaté, elle s'est tournée vers les experts des organismes de recherche scientifique et a fait appel à tous les départements médicaux des universités dans le cadre d'un vaste groupe de travail."

Si les chiffres montrent que la mortalité est relativement faibles dans les pays gérés par des femmes, il semble donc hasardeux de conclure que le seul genre des dirigeants explique la bonne ou la mauvaise gestion de l'épidémie de Covid-19. 

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Thomas DESZPOT

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