"On est en train d'exploser" : les labos d'analyses médicales au bord de la crise de nerfs

par Charlotte ANGLADE
Publié le 17 septembre 2020 à 19h55, mis à jour le 18 septembre 2020 à 10h01

Source : JT 20h Semaine

RÉCITS - Sous le feu de la progression constante du Covid-19 et de la multiplication du nombre de tests PCR voulue par le gouvernement, les laborantins n'en peuvent plus. Alors que certains ont déjà entamé un mouvement de grève, réclamant une augmentation des salaires, deux d'entre eux nous décrivent leur quotidien.

Épuisés, malmenés et en manque de reconnaissance, les salariés de vingt laboratoires de biologie médicale Biofusion du Tarn-et-Garonne, de Haute-Garonne et du Lot ont entamé un mouvement de grève mardi. Depuis la multiplication des tests virologiques (PCR) en France, dont le nombre dépasse désormais le million par semaine, il s'agit du premier mouvement de grève dans les laboratoires d'analyses. Il a été lancé par FO, la CGT et la CFDT après des négociations sans issue avec la direction. La déléguée syndicale CFDT, Catherine Bellenque, expliquait mardi lors d'une conférence de presse que tout était "parti de la petite prime reçue comme prime Covid". C'est "la goutte d’eau qui a fait déborder le vase". D'un montant de 250 euros, elle a été vue comme "dérisoire comparée à l’investissement du personnel qu’ils soient coursiers, secrétaires, techniciens, infirmières".

Mais si les salariés de Biofusion ont reçu une prime, la grande majorité des laborantins n'a reçu aucun signe de reconnaissance malgré leur travail acharné pour tenir la cadence. Deux techniciens nous racontent leur quotidien.

La Covid-19 a fini de nous mettre la tête sous l'eau
Romane Patenotre, technicien de laboratoire à Angoulême

"Les services étaient déjà à saturation en raison, depuis plusieurs années, des regroupements de laboratoires qui ont augmenté les charges de travail. La Covid-19 a fini de nous mettre la tête sous l'eau", rapporte Romane Patenotre, technicien de laboratoire et préleveur à Angoulême. Celui qui est aussi secrétaire Force Ouvrière dans son laboratoire rapporte de nombreux arrêts de travail, des collègues épuisés. "On voit des techniciens éreintés qui font des heures supplémentaires à rallonge, des secrétaires qui sont injuriés par les patients qui sont énervés de devoir attendre 7 ou 8 jours pour avoir un résultat, des chauffeurs qui partent dans tous les sens pour chercher des prélèvements, des équipes de nettoyage qui se tuent à tout désinfecter pour répondre aux normes d’hygiène relevées..."

Ma collègue de nuit est dernièrement arrivée quasiment en larmes
Vincent, technicien de laboratoire dans la Sarthe

Vincent* décrit lui aussi une situation catastrophique dans son laboratoire de la Sarthe. Embauché début août en tant que technicien, il analyse des tests PCR de nuit, car le plateau technique tourne désormais 24 heures sur 24 pour répondre à la demande. "Lorsque je suis arrivé cet été, nous analysions en 24 heures une vingtaine de séries de 42 patients. Là, nous sommes arrivés à en faire plus d'une soixantaine. Ma collègue de nuit est dernièrement arrivée quasiment en larmes parce qu’elle savait que la nuit allait être difficile et qu’il n’y aurait pas vraiment de reconnaissance du travail réalisé le lendemain."

Cette affluence de tests débouche également sur des difficultés techniques qui n'arrangent en rien les conditions de travail. Les réfrigérateurs présents ne sont désormais plus en capacité de stocker convenablement tous les tubes, tandis que les poubelles dédiées aux déchets d'activités de soins à risques infectieux (DASRI) débordent. "Nous n'avons pas forcément le temps de faire la maintenance des appareils qui fonctionnent 24 heures sur 24. Donc de temps en temps les analyses ne vont pas et il faut tout reprendre derrière. Il y a une accumulation des difficultés."

Des embauches trop peu nombreuses

Tous deux dénoncent un manque d'effectifs. "L’Etat a donné l’autorisation à différents corps de métier, comme les kinés, de faire des prélèvements. Par contre nous nous retrouvons sans personnes supplémentaires pour faire les analyses. Cela représente une charge de travail énorme. Il est vrai qu'il y a eu des embauches, mais à peine de quoi combler les besoins antérieurs à la crise", affirme Romane Patenotre.

Du côté du laboratoire de Vincent, des embauches en CDD ont bien été faites cet été. Mais il s'agissait d'étudiants en médecine qui ont depuis regagné les bancs de l'école. D'autres personnes, non formées au métier, ont été embauchées par la suite et ont bénéficié d'une formation rapide. "Il y a des jeunes qu'on met à faire des analyses au bout de trois jours et demi de formation et il y a inévitablement des erreurs. Donc il faut repasser derrière."

Si le manque d'effectifs se fait cruellement sentir pendant cette crise, il est un problème durable, dû notamment au manque d'attractivité du métier. "Les laboratoires ont les capacités d'embaucher mais n'y arrivent pas. La convention collective prévoit 11,16 euros de l'heure pour le premier coefficient. Nous n'avons pas de treizième mois. Seulement une prime d'ancienneté qui s'arrête au bout de 15 ans", indique Romane Patenotre.

Le minimum, c’est que les grilles de salaires soient revues.
Jacques Techer, Secrétaire général de la Fédération FO des métiers de la Pharmacie, des Laboratoires d'Analyses et de Biologie Médicales

Ce jeudi matin, les syndicats avaient rendez-vous avec le patronat pour réclamer, entre autres, une revalorisation de la grille des salaires. Joint par téléphone, le secrétaire général de la Fédération FO des métiers de la Pharmacie, des Laboratoires d'Analyses et de Biologie Médicales, des Cuirs et de l'Habillement Jacques Techer nous a appris que leurs revendications n'avaient pas été prises en compte. "Cela fait des années que nous demandons cette revalorisation, et c'est d'ailleurs la raison première de la grève des laboratoires. Nous n'avons ce matin pas été entendus." Les représentants devaient se réunir dans l'après-midi  pour décider de lancer un appel à la grève national, ou non. "Avec la Covid-19 et l'objectif du million de tests par semaine, la charge de travail est d'autant plus importante. C'est de l'abattage. Les gens sont prêts à travailler mais il faut au moins une reconnaissance. Et le minimum, c’est que les grilles de salaires soient revues", estime-t-il.

Contacté par LCI, le Président national du Syndicat des biologistes (SDB) François Blanchecotte affirme avoir réclamé au début de la semaine "une égalité de traitement entre privé et public", ainsi que la possibilité pour les salariés du privé de toucher une prime, à l'image des salariés du public. "Nous avons aussi écrit à Bercy et à la DSS [direction de la sécurité sociale, ndlr.] pour savoir si on pouvait bénéficier jusqu’au 31 décembre de davantage de primes Macron." 

* Les prénoms ont été modifiés.


Charlotte ANGLADE

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