INTERVIEW - Un vétérinaire va bientôt rejoindre les rangs du Conseil scientifique. Une demande formulée par les professionnels de la santé animale, alors qu'environ 60% des maladies découvertes chez l'homme sont d'origine animales. Jacques Guérin, président de l'Ordre des vétérinaires, analyse pour LCI cette avancée.
Un vétérinaire va intégrer le Conseil scientifique. Créé le 11 mars dernier, à la demande du président Emmanuel Macron, pour éclairer l'exécutif pour la prise de décisions liées à l'épidémie, le groupe de réflexion sur le Covid-19 va s'élargir. Composé jusqu'alors d'immunologues, de virologues ou d'infectiologues, il comptera bientôt dans ses rangs un spécialiste de la santé animale. Peu sollicités, ces experts sont pourtant réputés pour leur connaissance des coronavirus et de leur gestion. Le chef de l'État, qui a répondu favorablement à leur mobilisation, a demandé au président du Conseil scientifique Jean-François Delfraissy "de prendre toutes les dispositions pour assurer la présence d'un vétérinaire".
Une nouvelle dont se félicite Jacques Guérin. Dans un courrier adressé à la présidence de la République, en date du 12 novembre, le président du Conseil national de l'Ordre des vétérinaires rappelait que les spécialistes de la santé animale disposent "d'indéniables compétences en matière de gestion des crises sanitaires animales ou de santé publique à l'échelle du territoire national ainsi que dans la compréhension des contagions inter-espèces". Une appétence sur les coronavirus que les vétérinaires comptent mettre "au service et à la disposition" de la médecine humaine, comme il l'explique à LCI.
Il n'est jamais trop tard pour mixer des compétences de différents horizons
Jacques Guérin, président du Conseil national de l'Ordre des vétérinaires
Vous demandiez depuis plusieurs mois qu'un vétérinaire intègre le Conseil scientifique. Emmanuel Macron vous a donné raison. Pourquoi jugez-vous nécessaire d'être associé à cette réflexion ?
On a une attitude constante depuis le début de la crise. Elle consiste à dire que nos collègues de santé humaine auraient tout intérêt à avoir des relations beaucoup plus étroites avec les spécialistes de santé animale. Je crois qu'on a pu démontrer notamment à travers cette histoire de dépistage et de la mise à disposition des plateformes de tests PCR que c'était utile. C'est en partie grâce à cela que la politique de dépistage massif mise en place par le gouvernement a pu arriver à ses objectifs, sans que la qualité des analyses soient remises en cause par quiconque. Nous considérons, depuis le début, qu'il y a un intérêt.
Nous partons du constat, nous vétérinaires, que les coronavirus sont des virus que nous connaissons, depuis longtemps, dans les différentes populations et espèces animales. On a une certaine expérience dans la réalisation d'un diagnostic clinique, l'identification du virus par des tests en laboratoire, l'application de gestes barrières, des consignes de biosécurité, avec notamment l'isolement des animaux au sein d'une population, la prévention et la stratégie vaccinales. Même si on est bien avancé dans la gestion de la crise et qu'on est plutôt dans la prévention vaccinale, il n'est jamais trop tard pour mixer des compétences de différents horizons, qu'elles soient de santé humaine ou vétérinaire. Il ne s'agit pas de dire que nous avons raison ou tort, mais d'utiliser l'ensemble des compétences disponibles. Nous sommes complémentaires.
Plus de 5000 vétérinaires volontaires s'étaient inscrits dans la réserve sanitaire en mars dernier. Aucun d'entre eux n'a été rappelé lors de la première vague. Considérez-vous avoir été sous-exploités ?
Lorsque 30% d'une population de professionnels se déclare spontanément prête à donner un coup de main, je trouve évidemment désastreux de ne pas les avoir sollicités. J'en arrive à me demander si ce qui a paralysé les décideurs de politique de santé humaine n'était finalement pas qu'un éventuel recours aux vétérinaires aurait été perçu comme un aveu d'échec, si ce n'était pas de dire qu'on était dans une situation incontrôlable, au point d'en être rendu à appeler les experts de santé animale. Or, nous, nous n'avons pas la prétention de détenir la vérité. Nous sommes pragmatiques, nous avons une connaissance des virus, des compétences supplémentaires que nous mettons à votre service et à votre disposition.
La santé humaine est centrée sur l'individu
Jacques Guérin, président du Conseil national de l'Ordre des vétérinaires
Parmi ce spectre de compétences, on trouve la gestion des épidémies sur de très larges populations. Vous êtes habitués à traiter des maladies épidémiques comme la rage ou la grippe aviaire...
Effectivement. La santé humaine est centrée sur l'individu. Plus vous approchez des strates de la médecine hospitalière, plus vous êtes dans une vision de la maladie au titre de l'individu. Au niveau animal, dans les populations des animaux de la ferme, nous avons une vision qui ne peut être qu'une vision des populations. À mon avis, c'est une notion à prendre en compte, notamment quand on voit la difficulté que les Français ont à accepter la vaccination comme étant la solution à la situation dans laquelle nous sommes. S'il y a un taux de scepticisme important, c'est parce que la population française ne comprend pas forcément les enjeux. Si nous avions pu les expliquer à travers des modèles animaux, on aurait peut-être fait progresser un petit peu l'approche des citoyens par rapport à la vaccination.
En quoi la santé animale peut-elle enrichir la lutte contre l'épidémie ?
Nous savons gérer des bases de données animalières pour remonter un certain nombre d'événements, qui sont "à bas bruit" dans un premier temps. Cela nous permet de repérer des signaux faibles qui se transforment, de temps en temps, en signaux forts. Il y a aussi un intérêt de recontextualiser sur des modèles animaux, notamment pour comprendre la manière dont cela pourrait se passer dans la population humaine si nous ne faisons pas attention aux principes de base. L'habitude que nous avons des coronavirus nous fait dire, par exemple, que lorsqu'un coronavirus circule dans une population animale, on doit aussi surveiller l'émergence de maladie intercurrente, c'est-à-dire une autre maladie qui en profiterait pour s'exprimer. De la même manière, on voit bien aussi que lorsque la pression vaccinale baisse, en dessous d'une certaine limite, on revoit la circulation virale se faire.
60% des maladies chez l'homme sont d'origines animales
Jacques Guérin, président du Conseil national de l'Ordre des vétérinaires
Vous plaidez d'être intégrés aux réflexions dans une vision à long terme pour les épidémies à venir...
Nous avons une vision assez précise, avec l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE), des modèles de circulation virale dans différentes zones. Je pense notamment aux zones tropicales qui sont, pour nous, des laboratoires de ce qui va se passer en Europe dans les années à venir en raison du réchauffement climatique, avec notamment la transmission d'un certain nombre de virus soit par des tiques, soit par des moustiques. Le modèle animal est certainement un modèle de réflexion pour l'homme. L'origine animale est réelle. Pratiquement 60% des maladies découvertes chez l'homme sont d'origines animales. On est à ce niveau-là actuellement. J'ai d'ailleurs entendu qu'une équipe de scientifiques arrive en Chine pour essayer de détecter quelle est l'origine de ce Covid-19. Il est clair que l'interaction sur les écosystèmes qui fait que les animaux sauvages se rapprochent de la faune domestique, qui est en contact avec l'homme, raccourcit la chaîne de contaminations et augmente les risques.
Les Conseils scientifiques font partout la part belle à la santé animale. En Allemagne et en Chine, un vétérinaire est à leur tête. L'intégration d'un spécialiste en France est-elle un juste retour des choses ?
En tant que président de l'Ordre, je ne vis pas ça comme un rattrapage pour faire comme les autres. La présence d'un vétérinaire au sein du Conseil scientifique montre que les pouvoirs publics, l'État, avancent dans leur réflexion. Peut-être dans la réflexion, non pas dans la crise actuelle, mais en prévision des crises à venir. C'est ce que je retiens, ce qui est positif. L'intérêt est de construire pour l'avenir et montrer que la gestion actuelle a ses limites quand elle est trop centrée sur l'individu. On plaide pour une vision à long terme, ce qu'on appelle l'approche "One health", dans laquelle sont associés des experts de santé humaine, santé animale, des éco-systèmes, sans oublier de santé des plantes. Par cette approche multidisciplinaire, on en arrive à ne pas gérer des crises uniquement sous l'angle d'une prospection humaine.
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