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20 millions de morts évités grâce au vaccin contre le Covid : que penser de cette étude du Lancet ?

Publié le 30 juin 2022 à 20h35, mis à jour le 1 juillet 2022 à 9h42

Source : JT 13h Semaine

Des chercheurs ont évalué l'impact des vaccinations à travers le monde et estiment qu'environ 20 millions de vies ont ainsi été sauvées.
L'étude qui présente ces résultats n'a pas tardé à se voir décriée en ligne, dans les milieux antivax notamment.
Les Vérificateurs ont sollicité le chercheur de l'Inserm Rodolphe Thiébaut pour analyser ces travaux.

Une "nouvelle 'pseudo' étude". Voici comment certains internautes décrivent la publication dans la revue scientifique The Lancet de travaux conduits par des chercheurs de l’Imperial College de Londres. Si les résultats dévoilés ces derniers jours font réagir, au sein de communautés antivax notamment, cela s'explique par l'impact majeur attribué à la vaccination contre le coronavirus. On y apprend que les modélisations réalisées aboutissent au constat suivant : dans le monde, entre 14 et 20 millions de personnes (au moins) ont évité la mort grâce aux vaccins.

Des messages soutiennent que ces résultats, issus de "modélisations mathématiques", ne peuvent être pris au sérieux. Les études qui y ont recours seraient, peut-on lire, "l’équivalent d'un article d'opinion". Doit-on alors remettre en cause les chiffres avancés ? Pour le savoir, l'équipe des Vérificateurs a fait appel à l'Inserm, dont elle est partenaire depuis plus d'un an, afin de lutter contre la désinformation autour du Covid-19.

Des modèles mathématiques ajustés

Épidémiologiste au Bordeaux Population Health Centre (Inserm/université de Bordeaux), Rodolphe Thiébaut s'est plongé dans cette étude pour en comprendre la méthodologie et les conclusions. Il explique en préambule que les chercheurs se sont appuyés sur un modèle mathématique "assez standard" représentant la dynamique de l’épidémie. De manière schématique, on pourrait le présenter sous forme de boîtes au sein desquelles sont placés les individus, et qui fonctionnent comme des vases communicants. 

"Vous allez avoir des individus dits 'susceptibles', c'est-à-dire qui pourront être exposés au virus via des individus infectés et devenir eux-mêmes infectés", développe le spécialiste. "D’autre part, on identifiera un autre groupe avec des personnes infectées. Ainsi qu’un groupe distinct rassemblant les individus infectés et qui vont développer une forme grave, pouvant conduire au décès." 

On est ici face à un modèle décrit comme "dynamique", puisque l’on constate une variation du nombre d’individus dans chaque boîte au cours du temps. Rodolphe Thiébaut ajoute que ce modèle est paramétré à l'aide d'une multitude d'indicateurs, tels que le taux de décès, d’hospitalisation ou d'infection. Il s'agit là de traduire de façon mathématique le comportement de l'épidémie, tout comme la manière dont elle évolue et ce qu'elle entraîne. L'effet des interventions humaines est ainsi pris en compte lui aussi : mesures barrière, confinements... 

Dans ce modèle, la vaccination fait partie des facteurs intégrés. Elle a un impact dans les territoires où elle est employée, en réduisant notamment le nombre de formes graves. Pour que leurs travaux couvrent le monde entier, les chercheurs ont effectué "un énorme travail de recherche et de recoupement des données", note le chercheur à l'Inserm, avec parfois la nécessité d'utiliser des outils de modélisation spécifiques lorsque les informations manquent. Alors que nous disposons en Europe d'une multitude d'indicateurs, il est beaucoup plus délicat de se fier aux systèmes de santé des pays en développement, où l'on peut craindre des phénomènes massifs de sous-déclaration pour les cas positifs et/ou les décès. Les chercheurs sont ainsi contraints de se baser sur des hypothèses pour affiner leur modèle et lui faire refléter au mieux la réalité. 

Quand ce modèle est prêt, vient l'heure d'en réaliser un second, dit "contre-factuel". L'objectif n'est plus de représenter le plus fidèlement possible la dynamique de l'épidémie telle qu'elle a été observée, mais en quelque sorte de soustraire un élément de l'équation. Ici en l'occurrence, "les chercheurs ont observé ce qui se serait passé si on n’avait pas procédé aux campagnes de vaccination dans le monde", résume Rodolphe Thiébaut. "Ainsi, il en découle un nouveau taux de décès, qui permet d'être comparé à celui obtenu précédemment. Une soustraction aboutit alors au nombre théorique de décès qui ont pu être évités." 

Dans l'étude, deux chiffres sont avancés : de 14 millions de morts évités si l'on se fie aux seules données officielles communiquées par les autorités, on passe à 20 millions de morts si l'on se base sur les corrections effectuées par les chercheurs, afin de répondre aux problèmes de sous-déclaration.

Des biais qui n'entachent pas la crédibilité de ces travaux

Rodolphe Thiébaut estime-t-il cependant qu'aucun élément problématique n'est à signaler sur le plan méthodologique ? Non : "Il y a toujours des choses à dire sur tous les articles. Ici par exemple, on pourrait s'interroger sur certains éléments utilisés et qui sont relatifs aux pays moins avancés sur le plan sanitaire. Mais c'est le principe même de la modélisation ! Faire émerger des données lorsque l’on n'en a pas, se baser sur des hypothèses de travail, les affiner..."

Tenter d'évaluer l'impact des vaccins sur la mortalité globale conduit de manière incontournable à se projeter dans un référentiel différent, et d'une certaine façon à proposer une écriture différente de l'histoire, sous un prisme nouveau. "La vraie question", relève l'épidémiologiste, "est vraiment celle des hypothèses, sont-elles viables ou pas ?" Sur ce point, il fait valoir que les choix opérés sont globalement cohérents et se réjouit que les modèles mathématiques utilisés aient été partagés librement par les auteurs de l'étude. Ce qui incite Rodolphe Thiébaut à les réutiliser lui-même à l'avenir, pour le comparer aux travaux de modélisation conduits avec ses confrères et consœurs. 

"George Box, un illustre statisticien britannique, disait que tous les modèles sont faux, mais que certains sont utiles", glisse l'expert. De fait, "ils proposent toujours une représentation simplifiée de la réalité". Pour autant, avec cette étude, "même si le résultat exact des décès évité ne sera pas strictement égal à 19 millions et des virgules, l'intérêt évident est de mettre en lumière l'impact majeur des vaccinations. Dépasser assez nettement les 10 millions de morts évités, c’est dans tous les cas énorme." 

Notons que les chercheurs jugent leurs estimations potentiellement inférieures à la réalité, laissant suggérer que le bénéfice des vaccins en matière de mortalité serait encore supérieur. Le fait que leurs travaux se soient limités à une période s'arrêtant fin 2021 laisse en tout cas suggérer que sur les 6 premiers mois de l'année 2022, les vaccinations ont continué à sauver des vies, faisant évoluer les conclusions de l'étude.

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Thomas DESZPOT

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