La France a-t-elle "cassé" l'outil lui permettant de mesurer la présence du variant Omicron ?

Publié le 30 décembre 2021 à 18h32, mis à jour le 31 décembre 2021 à 10h21

Source : JT 20h Semaine

VARIANTS - Des spécialistes déplorent que l’organisme de santé ait changé de stratégie pour repérer Omicron parmi les tests positifs criblés, les privant des données publiques. La situation doit revenir à la normale début janvier. Explications.

A-t-on déjà perdu le fil face à la propagation fulgurante du variant Omicron ? C’est ce qui inquiète des chercheurs et spécialistes en santé publique qui surveillent les indicateurs de l’épidémie régulièrement mis à jour par les autorités de santé. En effet, ils regrettent la nouvelle stratégie de criblage opérée par Santé publique France (SPF) le 20 décembre dernier, qui les prive des données nécessaires pour opérer ce suivi.

"Depuis ce lundi et le énième changement de doctrine de criblage, le nombre de résultats de criblages rapportés en open data (en vert sur la figure) est tellement faible que ces données sont maintenant inutilisables. On ne peut plus suivre Omicron en France", a déploré Florence Débarre, chercheuse au CNRS, sur son compte Twitter. Guillaume Rozier, expert en données et fondateur du site CovidTracker, a partagé le même constat en annonçant, mercredi 29 décembre, arrêter de suivre l’avancée du variant Omicron : "La France a cassé les seules données publiques nous permettant de bien suivre la progression du variant Omicron, et on n’y peut rien".

Alors, que s’est-il passé du côté de SPF pour que les données récoltées ne soient plus rendues publiques ? En fait, l’organisme explique, dans un communiqué du 24 décembre, avoir adopté "une nouvelle stratégie de criblage, permettant de détecter plus précisément les suspicions de cas d’infection à Omicron. (…) En conséquence, de nouveaux indicateurs de criblage seront mis en open data début janvier 2022 sur la plateforme Géodes et le site data.gouv.fr." 

Concrètement, le criblage d’un test PCR positif est une technique permettant de savoir à quelle mutation on a affaire. Et donc d’identifier le bon variant puisqu’à ce jour, les variants du virus qui se sont succédé ont comporté certaines mutations communes ou des mutations spécifiques. Par exemple, le variant Delta, jusque-là majoritaire, comprend la mutation L452R, actuellement recherchée par les laboratoires.

Les laboratoires se concentrent sur trois mutations du virus

C’est pour cela que depuis cet été, les laboratoires ont arrêté de surveiller les variants eux-mêmes pour se concentrer sur trois mutations : la mutation L452R, donc, mais aussi les mutations E484K - présente dans les variants Beta et Gamma - et E484Q, présente dans le variant Kappa. Si le criblage ne permet d’identifier aucune de ces trois mutations, ce qui était rare jusqu’au variant Omicron, la méthode plus poussée du séquençage est alors réalisée. Le criblage concerne à ce jour 27,9% des tests positifs (PCR et antigéniques), d’après Géodes, la base de données de Santé publique France (SPF), et le séquençage de 12.000 tests est réalisé chaque semaine.

Chaque mutation criblée par les laboratoires est codée par une lettre dans la base de données SI-DEP
Chaque mutation criblée par les laboratoires est codée par une lettre dans la base de données SI-DEP - capture écran / Santé publique France

Toutes ces données sont ensuite transformées en codes (chaque mutation comporte une lettre, comme on peut le voir ci-dessus) et rendues publique dans Géodes. Cette méthode du criblage, qui permettait de se représenter avec un bon ratio quel variant circule en France et à quelle vitesse, a alors été ajustée par SPF face au variant Omicron. En effet, celui-ci ne comporte aucune des trois mutations et un nouveau codage pour inclure le variant Omicron a été jugé nécessaire par l'organisme de santé. "La nouvelle stratégie de criblage est adoptée progressivement par les laboratoires depuis le 20 décembre ce qui a des conséquences sur la façon dont les données sont remontées dans le système SI-DEP. Cela a un impact sur les indicateurs de criblage actuellement produits sous l’ancienne nomenclature et publiés sur le tableau de bord InfoCovidFrance, qui sont donc à interpréter avec précaution", avance ainsi SPF. Tant que cette transition n’est pas terminée dans les laboratoires, les données publiques récentes dans SI-DEP ne peuvent être remontées. Et sont donc inaccessibles, rendant le suivi du variant quasi impossible pour les chercheurs.

Mais cela ne veut pas dire forcément que la trace d'Omicron est définitivement perdue. "Nous continuons de suivre le variant Omicron", entreprend de rassurer SPF, interrogée sur ce sujet. "Ce n’est pas parce que les données ne sont pas disponibles en open data que la surveillance est arrêtée". L’organisme prévoit ainsi de continuer à donner, dans son bulletin hebdomadaire, la proportion de chaque variant, et en particulier d’Omicron, dans les cas positifs détectés. Cela ne fait plus de doute que le variant est désormais majoritaire :  en début de semaine, "62,4% des tests criblés montraient un profil compatible avec le variant Omicron", ainsi que "15% des séquences interprétables dans l’enquête Flash du 13 décembre", a indiqué SPF dans son point du 30 décembre. 

Mais Guillaume Rozier dit craindre sur Twitter que la publication suspendue des données soit irrattrapable : "Dans quelques jours, il sera trop tard, Omicron se propage tellement vite". Pour réponse, SPF confirme son intention de publier l’historique des résultats une fois opéré le retour à la normale, début janvier, et de permettre aux experts en données de combler leur retard.

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Caroline QUEVRAIN

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