Covid-19 : le défi de la vaccination

Comment le pays de Pasteur est-il devenu l'un des plus anti-vaccins au monde ?

par Audrey PARMENTIER
Publié le 6 décembre 2020 à 23h39
JT Perso

Source : TF1 Info

COUP DE GUEULE - La crise sanitaire a augmenté encore un peu plus la défiance des Français envers le précieux sérum. Les raisons sont multiples : discours politique illisible, médiatisation à outrance des scientifiques, intérêts privés surpuissants ou influence des théories complotistes.

Si le vaccin est désormais à portée de main, le plus dur reste à faire : convaincre une population réticente. Selon les sondages les plus récents, entre cinq et six Français sur dix ne voudraient pas se faire inoculer le sérum contre le Covid-19. "Ça a été fait dans la précipitation", note une jeune fille interrogée au micro de TF1. Derrière cette justification, qui laisse voir que la méfiance à l'égard des vaccins amalgame des opposants purs et durs, et des citoyens plus prudents, se cache en réalité une crise de confiance bien plus profonde portant sur la vaccination en général. Et les chiffres le prouvent encore : plus d'un tiers des Français ne croient pas à la sûreté des vaccins. 

Une augmentation considérable puisqu'il y a 20 ans, les réticents comptaient à peine pour 10% de la population. Comment le pays de Pasteur est-il devenu le plus sceptique au monde sur le sujet des vaccins ?

Il faut déjà revenir au fossé qui s'est progressivement créé entre les institutions scientifiques et la population. Selon un sondage réalisé par l’institut Ipsos, pour le compte de la Fondation Nicolas Hulot, la crise sanitaire en cours aurait fortement abîmé la "confiance dans la science" d'un Français sur cinq. Parmi les causes de ce désamour : la surmédiatisation des professionnels de santé, avec en tête des personnalités polémiques comme Didier Raoult. Voir les scientifiques en blouses blanches s'écharper en direct leur aurait fait perdre quelques points de crédit auprès de certains Français. 

Mais à travers cette défiance, une partie de la population exprime surtout sa méfiance envers une industrie qu'elle juge opaque : les laboratoires pharmaceutiques. Le jour de l'annonce de l'efficacité de son vaccin, le PDG de Pfizer a vendu 5,6 millions de dollars d'actions. La nouvelle avait provoqué un tollé dans les médias et renforcé l'image négative de l'industrie pharmaceutique. "C’est le système économique, ce n'est pas le produit qui est en cause. Oui, on fait du profit avec des vaccins, mais ça ne veut pas dire que le vaccin est mauvais", estime Lise Barnéoud, journaliste et autrice de "Immunisés ?" (édition Premier parallèle). Dans son livre, elle dénonce le comportement de l’industrie pharmaceutique ainsi que des vaccins trop chers.

Des fiascos politiques

Pour prouver que leur vaccin est fiable, les scientifiques doivent parfois se battre pendant des années. Revenons dans les années 90. La campagne de vaccination de l'hépatite B, cette infection du foie pouvant être mortelle, rencontre de nombreuses difficultés. À l'époque, le sérum est accusé de provoquer des scléroses en plaques et la défiance envers le vaccin augmente. 

Mounia Hocine, biostatisticienne et enseignante chercheuse au CNAM, raconte comment il a été possible de prouver l'innocuité du vaccin : "SI ces cas de sclérose en plaque ont été causés par le vaccin, alors on aurait dû observer une grande proportion de sclérose en plaque dans les 60 jours après la vaccination, ce qui n’était pas le cas." Elle ajoute : "Tous les vaccins qui existent, s’ils sont encore sur les marchés, c’est aussi parce qu’on a démontré que toutes les suspicions ne sont pas valides scientifiquement."

Mais la défiance n'est pas seulement du côté du monde scientifique. Une mauvaise communication ou bien un désordre politique peut aussi gâcher une campagne de vaccination. C'est d'ailleurs le cas en 2009. En cause ? La campagne ratée de vaccination contre la grippe H1N1. À l'époque, Roselyne Bachelot est ministre de la Santé, réalise la commande de plus de 50 millions de vaccins. Les infrastructures étaient prêtes pour accueillir les Français mais ils en ont décidé autrement. S'il était prévu que 75% de la population se fasse vacciner, seule 8% de la population aura finalement franchi le pas. Finalement, l'épidémie n'aura pas l'ampleur attendue et les Français resteront interdits devant les choix politiques du gouvernement de l'époque. 

Une défiance envers les institutions

 À travers l'opposition au vaccin, une partie des Français affiche aussi son rejet des institutions. En effet, il existe un lien entre la défiance envers les institutions politiques et les institutions scientifiques. Ce que le directeur de recherche du CNRS Luc Rouban souligne dans Usbek et Rica : "Les individus rejetant les institutions politiques classiques auraient une forte probabilité d'être également défiants envers les institutions scientifiques, en particulier chez les individus qui manifestent une sympathie pour les partis populistes de droite."

En plus de devoir restaurer la confiance dans leurs institutions, les hommes et femmes politiques doivent tenir un discours clair et intelligible. Or, la gestion de la crise sanitaire a été émaillée par de nombreux couacs et reculades. Les affirmations contradictoires au sujet des masques ou encore des dépistages massifs ont renvoyé un message presque illisible pour la population. Et de nouveau entacher la crédibilité du gouvernement. 

Lire aussi

Et ces discours flous représentent ainsi du pain béni pour les thèses complotistes qui fleurissent sur les réseaux sociaux. Depuis quelques années, les anti-vaccins inondent les plateformes de communication comme Facebook ou Twitter. On les retrouve partout : sur les groupes de Gilets jaunes ou encore sur des sites de médecine alternatives, où cliquer sur un contenu complotiste expose son téléspectateur... a encore plus de contenu complotiste. Ce que résume le spécialiste des cultures numériques Tristan Mendès-France : "Si on se dirige sur ces réseaux sociaux, on a plus de chances d'être exposé à des discours extrémistes anti-vaccin car la communauté militante derrière à une capacité à pousser ses contenus et donc à les rendre plus visibles".


Audrey PARMENTIER

Tout
TF1 Info