Une étude chinoise permet-elle de conclure que les asymptomatiques "ne contaminent personne" ?

Publié le 24 novembre 2020 à 17h09, mis à jour le 24 novembre 2020 à 17h14
L'étude chinoise s'appuie sur les résultats d'une quantité impressionnante de tests.
L'étude chinoise s'appuie sur les résultats d'une quantité impressionnante de tests. - Source : STR / AFP

MÉFIANCE - Les résultats d'une large étude chinoise ne permettent pas, contrairement à ce qu'affirment des internautes, de conclure que les patients asymptomatiques ne contaminent personne. Il s'agit d'une lecture erronée de ces travaux.

Faut-il confiner l'ensemble de la population ? Porter un masque lorsque l'on ne tousse pas ? Les mesures sanitaires sont-elles vraiment utiles ? Des questions que se posent de nombreux citoyens, relayées et régulièrement en ligne. Récemment, des internautes ont partagé une étude chinoise, incitant le ministre de la Santé à en tenir compte pour prendre une "décision radicale". En effet, nous dit-on, les chercheurs auraient découvert que "les asymptomatiques ne contaminent personne, pas même leurs contacts étroits". De quoi remettre en cause toute la stratégie des autorités ? Pas vraiment.

Des conclusions trop hâtives

Pour mieux comprendre cet article scientifique, LCI a contacté le Pr Olivier Schwartz, directeur de l'unité Virus et immunité à l'Institut Pasteur. Avant de se pencher sur l'étude en elle-même, il souligne que les conclusions de ces travaux n'ont pas été publiés dans la revue Nature, comme l'indiquent des internautes, mais dans l'une de ses filiales, Nature communications. Un titre certes moins prestigieux, mais qui ne préjuge pas de recherches d'une moindre qualité ou d'une méthodologie moins rigoureuse.

Olivier Schwartz évoque des "travaux intéressants", mais estime qu'ils ne permettent en aucun cas de certifier que les asymptomatiques ne contaminent personne. "C'est fou de présenter les choses ainsi", lance le chercheur. "Ils ont fait des tests, et c'est assez monstrueux au niveau de la quantité, sur 10 millions de personnes en l'espace de deux semaines, toute la ville de Wuhan entre le 14 mai et le 1er juin." Que disent les résultats ? "Parmi ces gens, il n'y a pas eu de nouveaux cas symptomatiques, mais ils ont repéré 300 personnes qui étaient positives par PCR. Pour autant, ils n'ont pas détecté chez elles de virus infectieux, ils ne sont pas parvenus à en isoler."

Dès lors, résume le spécialiste de l'Institut Pasteur, "ça leur permet de conclure qu'ils n'étaient pas contagieux, d'autant qu'ils savent avec qui ces personnes ont été en contact". Des éléments intéressants, mais qui restent incomplets, souligne Olivier Schwartz : "Le problème, c'est qu'on ne sait pas à quand remonte l'infection de ces personnes positives par PCR. Est-ce une nouvelle infection ou au contraire une qui reste d'il y a très longtemps ? Il est possible qu'il s'agisse de personnes infectées il y a très longtemps, on sait que certains patients peuvent rester positifs par PCR pendant six mois !" Et de préciser que "cela ne veut pas dire qu'ils sont infectieux ou qu'ils sont asymptomatiques, juste qu'il s'agit de restes d'infections".

Des contaminations étayées par d'autres études

Sans remettre en cause le sérieux de chercheurs chinois ou leur méthodologie, Olivier Schwarz incite donc à la plus grande prudence lorsqu'il s'agit d'analyser les résultats publiés dans Nature communications. "On ne peut pas conclure que les asymptomatiques ne sont pas capables de transmettre le virus", observe-t-il. Il cite notamment des cas "d'enfants qui ont transmis le virus à leurs parents, sans qu'ils aient développé de symptômes". Une référence à une enquête épidémiologique réalisée par des Centres de contrôle et de prévention des maladies d’Atlanta (CDC), et publiée le 11 septembre. Le Journal du dimanche note qu'elle a été menée "dans trois garderies de l’Utah où des clusters ont été détectés", et que les épidémiologistes ont conclu que "deux des trois enfants asymptomatiques ont probablement transmis le SARS-CoV-2 à leurs parents et éventuellement à leurs enseignants".

Des résultats qui font écho à ceux publiés le 11 novembre dans le très sérieux New England Journal of Medicine, et qui relate l'étude menée auprès de marins américains, près de 5.000 qui étaient à bord d'un porte-avion sur lequel l'épidémie s'est propagée. Les tests ont fait apparaître que sur les 1.271 membres d'équipage contaminés, 77% étaient asymptomatiques. "On peut penser que ce sont les 23% restants qui ont contaminé tous les autres, mais cela me semble très hautement improbable", juge le chercheur de l'Institut Pasteur. 

Les auteurs de l'étude effectuent une conclusion similaire, indiquant que "la transmission a été facilitée par la promiscuité et par des membres d'équipage infectés asymptomatiques et présymptomatiques". Outre les asymptomatiques, contaminés mais qui n'ont pas de forme visible de la maladie, il ne faut en effet pas négliger le fait que des patients symptomatiques passent quelques jours sans signes apparents de la maladie suite à leur infection. Une période durant laquelle ils sont potentiellement contagieux, alors même que les symptômes ne se sont pas déclarés. 

En conclusion, rien ne permet donc aujourd'hui de conclure que les patients asymptomatiques "ne contaminent personne". L'étude chinoise citée par des internautes est intéressante aux yeux des spécialistes, mais ne peut être avancé comme une preuve viable. Divers travaux publiés lors des derniers jours ont par ailleurs mis en évidence des cas de transmission du Covid-19 par des personnes asymptomatiques, laissant clairement entendre que l'épidémie se propageait de manière régulière sans aucune manifestation visible.

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Thomas DESZPOT

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