Comment expliquer que près d’un tiers des soignants ne soient toujours pas vaccinés ?

Publié le 20 avril 2021 à 17h24, mis à jour le 21 avril 2021 à 8h38
Une soignante vaccine l'une de ses collègues contre le Covid-19 le 8 février, à l'hôpital de Melun
Une soignante vaccine l'une de ses collègues contre le Covid-19 le 8 février, à l'hôpital de Melun - Source : THOMAS SAMSON / POOL / AFP

VACCINATION – Au 18 avril, 72% des professionnels de santé ont reçu au moins une dose d’un vaccin contre le Covid. Quid des soignants pas encore vaccinés ? Expriment-ils encore des réticences ? Explications.

Depuis l’alerte lancée par le gouvernement, la vaccination a grimpé en flèche chez les soignants. Alors qu’ils n’étaient que 30% début mars à avoir bénéficié d’une dose d’un vaccin contre le Covid-19, ils sont 72,7% au 18 avril, à avoir reçu au moins une injection, dont 30,7% les deux doses, selon les derniers chiffres de Santé Publique France (SPF). Une campagne qui a fonctionné dans les Ehpad, les hôpitaux et les cabinets de ville depuis l’ouverture de la vaccination à l’ensemble des soignants le 6 février dernier, mais qui exclut encore près d’un tiers des professionnels de santé, 27,3% d’entre eux exactement. 

Alors, quelles sont les motivations affichées par les professionnels de santé à ne pas sauter le pas ? Les réticences pointées du doigt par l’exécutif début mars sont-elles réelles ? "L'attaque d'Olivier Véran dans son courrier a été très mal ressentie parce qu’elle a laissé entendre que les soignants étaient contre la vaccination. Ce qui est faux", souligne d’abord à LCI Thierry Amouroux, du syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI). 

Une réticence à recevoir l'AstraZeneca

Selon le porte-parole du syndicat, cette marge de soignants pas encore vaccinés peut s’expliquer par plusieurs raisons. D’abord, parce que toute personne ayant contracté le Covid doit respecter un délai de trois à six mois avant de recevoir une dose unique, d’après les recommandations de la Haute autorité de santé (HAS). Aujourd’hui, le SNPI évalue le nombre de soignants contaminés par le Covid-19 à 70.000 professionnels à l’hôpital et 55.000 dans les Ehpad et les Instituts médico-éducatifs (IME). 

Ensuite, parce que les personnels de santé sont soumis aux mêmes règles que les autres publics prioritaires pour se faire vacciner, et donc aux mêmes aléas. "Il faut prendre rendez-vous par téléphone, aller dans des centres de vaccination dédiés ou ouverts à toute la population. Il peut y avoir un décalage entre la demande et le rendez-vous", avance Thierry Amouroux. 

Enfin, parce que la campagne a été ciblée sur le vaccin AstraZeneca, dont de nombreux soignants ne veulent pas. "On ne dit pas que l’AstraZeneca est low cost car il présente un taux d’efficacité de 70%, ce qui est normal pour un vaccin", précise Thierry Amouroux. "Mais dans un contexte où les vaccins ARNm sont très efficaces, l’idée est d’avoir le vaccin le plus adapté à sa situation. Et les soignants, surexposés au Covid, veulent le vaccin le plus efficace." Depuis la fin mars, l’ensemble des personnels de santé peuvent désormais bénéficier du vaccin Pfizer/BioNTech. Ce qui explique "le bond de la vaccination" constaté depuis, selon le porte-parole du SNPI. 

Ces chiffres sont pour nous des visages, des noms
Thierry Amouroux, porte-parole du SNPI

Pour le Dr Christophe Prudhomme, urgentiste au Samu 93 et délégué CGT invité de LCI, des réticences demeurent chez les personnels de santé et s’expliquent par "un manque de confiance dans le gouvernement, qui a menti aux soignants sur les masques, les équipements de protection", mais aussi par "la suspicion vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique". Une hypothèse balayée par Thierry Amouroux, qui n’y voit aucun signe contestataire : "Depuis novembre, on est entre 300 et 500 morts par jour. Ce qui ne représente que des chiffres pour le gouvernement sont pour nous des visages, des noms. Et puis on a peur de contaminer nos proches, en particulier avec le variant sud-africain. On n’est pas dans cette logique de refus pour embêter le gouvernement."

"Il y a un manque de confiance dans le gouvernement", selon Christophe PrudhommeSource : TF1 Info

Quoi qu’il en soit, cette hésitation semble plus marquée chez les infirmiers et les aides-soignants que chez les médecins hospitaliers ou de ville. Selon une étude menée par le Groupe d’étude sur le risque d’exposition des soignants aux agents infectieux (GERES), elle concernait entre décembre et février la moitié des infirmiers et les deux tiers des aides-soignants interrogés. Les personnels des Ehpad sont également moins vaccinés que d’autres professions du secteur, selon Christophe Prudhomme. Selon le dernier bulletin hebdomadaire de SPF, 68,4% des personnels d’Ehpad avaient reçu au moins une dose d’un vaccin au 13 avril, dont 39,3% les deux doses. À titre de comparaison, 98,1% des résidents avaient bénéficié d’une injection à cette date, dont 75,1% les deux. 

Un risque multiplié dans les Ehpad

Début avril dans le Bas-Rhin, une douzaine de résidents d’un Ehpad ont été contaminés par le Covid alors que la majorité d’entre eux avaient été vaccinés. En effet, si le vaccin permet d’éviter l’apparition de formes graves de la maladie, il n’empêche pas la transmission du virus. Ce qui démontre, selon le médecin généraliste Jean-Paul Hamon à 20 Minutes, "l’importance de vacciner massivement les personnels, car si la couverture vaccinale dans les Ehpad est élevée chez les résidents, on peut et on doit mieux faire s’agissant des soignants et intervenants qui s’en occupent au quotidien".

Dans un avis rendu à la fin mars, alors que 51% de personnels d’Ehpad étaient vaccinés, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a exprimé son inquiétude sur le sujet en soulignant que "ces établissements sont en effet propices à la diffusion du virus, par le brassage de populations, l’impossibilité de respecter la distanciation lors des soins, la concentration de personnes fragiles et leur immobilisation dans des lieux clos" et que "le risque est double : celui de la contamination des personnels (…) et celui de la contamination des patients et des personnes prises en charge par des professionnels de santé infectés".

Mais ces réticences ne sont pas propres à l’Hexagone. À l’étranger aussi, des soignants peuvent se révéler hésitants face aux vaccins contre le Covid-19. En Chine, moins de 74 % des agents de santé de Pékin se seraient vaccinés volontairement, d’après une enquête du Centre chinois de contrôle et de prévention des maladies (CDC) de la capitale, relayée par le South China Morning Post. Ailleurs en Europe, comme en Italie, la question ne se pose pas, puisque la vaccination des soignants a été rendue obligatoire. Un temps évoquée par le gouvernement, l’idée a finalement été abandonnée en France.


Caroline QUEVRAIN

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