INTERVIEW - À cause de la crise sanitaire, le nombre de Français confrontés à des troubles de sommeil a bondi. Si la situation stagne et ne s'aggrave plus, certains réflexes peuvent permettre de retrouver un meilleur sommeil, explique le docteur Marc Rey, président de l'Institut National du Sommeil et de la Vigilance.
La crise sanitaire a bouleversé dans la durée nos rythmes de vie, et avec eux, nos cycles de sommeil. Lors du premier confinement en particulier, le nombre de Français confrontés à des troubles du sommeil a bondi : près de trois personnes sur quatre ont rencontré des troubles du sommeil en mars 2020, révélait une enquête du centre du sommeil de l'hôpital Hôtel-Dieu, à Paris, soit 25% de plus qu’en 2017.
Plusieurs mois après, les rythmes ont du mal à se réguler. Début septembre, 63% des Français se plaignaient toujours de problèmes de sommeil, selon l’enquête CoviPrev de Santé Publique France, lancée au début de l’épidémie pour suivre le comportement et la santé mentale de la population. Pour tenter de dormir mieux et plus, il faut bien connaître ses besoins en sommeil et veiller à garder un rythme régulier, détaille le docteur Marc Rey, spécialiste du sommeil et président de l'Institut National du Sommeil et de la Vigilance (INSV).
Dans quelle mesure la crise sanitaire a-t-elle pu perturber nos rythmes de sommeil ?
Les premières conséquences de la crise sont liées au stress, puisque les Français ont eu à la fois peur d'être malade ou d’avoir des proches contaminés, mais aussi peur pour leur avenir, puisque certains ne pouvaient plus travailler. Quand vous êtes stressé, vous ressassez tous vos soucis une fois au lit et cela engendre des insomnies et du sommeil fragmenté.
Un second aspect est plutôt lié aux mesures prises, et en particulier le premier confinement, qui a mené les gens à se lever plus tard, donc se coucher beaucoup plus tard aussi. Conséquence : le rythme se décale et de plus en plus de gens ont du mal à dormir le soir. D’autant plus qu’ils regardaient beaucoup les écrans, qui retardent l'endormissement. En effet, les écrans sont enrichis en lumière bleue, que le corps confond avec le bleu du ciel, qui lui bloque la sécrétion de sérotonine, une molécule produite la nuit et propice au sommeil.
Il y a aussi la perte d’activité physique qui a été délétère, car on a besoin de se dépenser en journée pour bien dormir la nuit. Les enfants ont particulièrement été sujets aux troubles du sommeil pendant le premier confinement, empêchés parfois de sortir de chez eux pendant un mois entier et passant une grande partie de la journée devant les écrans lors des cours à distance. Les femmes ont également été particulièrement touchées puisqu'elles se sont souvent retrouvées à prendre en charge avec les enfants à la maison, tout en télétravaillant pour certaines, sans avoir de lieu de travail dédié pour pouvoir se concentrer. Si bien qu’elles sont souvent sorties du confinement fatiguées.
Comment savoir de combien d’heures de sommeil nous avons besoin ?
La moyenne par nuit est comprise entre 7 et 8 heures, mais ce n’est pas une norme. Certains ont besoin de plus, d’autres non. C’est une typologie individuelle qui dépend notamment de l'âge. Jusqu'au collège, les enfants ont besoin par exemple de 9 à 10 heures de sommeil par nuit, ce qu’ils ne font pas en général. C'est un gros problème : le sommeil sert à consolider ce qu'on apprend, donc en période scolaire, être en privation de sommeil ouvre la porte à l'échec scolaire. Et la crise sanitaire est venu empirer la situation.
Il faut savoir de combien de temps de sommeil vous avez besoin et quelles sont les heures où vous pouvez dormir le plus facilement.
Docteur Marc Rey
Il est donc important de bien évaluer ses besoins de sommeil, parce que lorsque que l’on est confronté à un trouble, il est difficile de s’en rendre compte. Si vous êtes un jour plus irritable et moins concentré, triste ou énervé, vous n’allez pas forcément faire le lien avec une mauvaise nuit passée. Il faut donc faire un agenda du sommeil, c’est-à-dire noter l’heure à laquelle on se couche et on se lève, en période de travail ainsi qu’en période de vacances - si possible en se concentrant sur la deuxième semaine si l’on a 15 jours de congés. Il faut savoir de combien de temps vous avez besoin et quelles sont les heures où vous pouvez dormir le plus facilement.
Quand on vit en famille, il faut donc trouver un rythme commun qui soit toléré. Cela peut être délicat dans les familles recomposées et dans le cas d’enfants en garde alternée, lorsque les parents sont séparés : le rythme n'est pas toujours le même chez les deux parents.
Quels sont les autres bons réflexes à adopter pour réguler son hygiène de sommeil ?
Le premier conseil à donner est donc d’avoir des heures de lever et de se coucher qui soient réguliers à la fois la semaine et le week-end : vous pouvez décaler le samedi et le dimanche votre rythme d’une heure, mais pas de quatre heures. Sinon, vous passerez une partie de la semaine à récupérer votre dette de sommeil alors que normalement, c’est en semaine qu’on a tendance à dormir moins.
Il faut aussi couper les écrans au moins une heure avant de vouloir dormir. Il y a un grand nombre de Français qui vont se coucher avec leur portable ou avec la tablette tous les soirs, ce qui a remplacé la lecture.
Le manque de sommeil peut aussi favoriser les problèmes de poids, comme l’obésité, le diabète de type 2 et les maladies cardio-vasculaires. Et puis enfin, en période épidémique, la privation de sommeil nous rend aussi plus vulnérable face aux infections, fragilise le système immunitaire et la réponse aux vaccinations. Avant même l’épidémie, nous avions pu constater qu’une personne qui ne dort pas assez avait quatre fois plus de risques d’attraper un rhume. Et lors d’une étude menée en janvier 2021 par l’INSV, nous avons constaté que ceux qui avaient été contaminés au Covid-19 se plaignaient davantage de troubles de sommeil.
Pour renforcer ce système immunitaire, il faut donc avoir une activité physique dans la journée, en particulier chez les plus jeunes, ainsi qu’une alimentation équilibrée. Il faut éviter le soir de manger des repas qui soient lourds avec beaucoup de protéines mais privilégier les sucres lents de façon à ne pas avoir de fringale au cours de la nuit. Il vaut donc mieux privilégier les féculents le soir et au contraire choisir des protéines le matin au petit déjeuner ou à midi.
En cas de besoin, si vous avez un trouble du sommeil persistant, le premier interlocuteur, c'est votre médecin de famille, qui peut ensuite vous rediriger si besoin vers un spécialiste du sommeil, pour diagnostiquer des insomnies ou une apnée du sommeil par exemple. Il y a des applications, comme Kanopée, qui vous permettent d'obtenir des conseils personnalisés, mais si vous n’êtes pas à l’aise avec le numérique, il faut en parler avec votre médecin.
La crise sanitaire a également fait bondir le nombre de dépressions : d’après une étude publiée début octobre par la revue britannique The Lancet, les cas de troubles dépressifs majeurs et troubles anxieux ont augmenté respectivement de 28% et 26% en 2020. Quelle influence peut avoir le sommeil sur la santé mentale ?
La privation de sommeil va faire le lit de la dépression : quand je ne dors pas assez, je suis moins motivé pour faire les choses, je suis d’humeur triste. Tous les services secrets le savent puisqu'une des formes de torture est justement de priver de sommeil ! Vous allez vous sentir dévalorisé, moins en forme et anxieux. Au cours de la crise sanitaire, les plaintes pour dépression et anxiété ont augmenté en même temps que celles liées à des troubles de sommeil.
On est donc face à une espèce de cercle vicieux : on est face à une situation stressante, donc on va être beaucoup plus anxieux, on dort moins bien, ce qui va majorer notre anxiété, notre dépression. Et c'est pour ça que c'est actuellement la maladie mentale est une grande préoccupation en ce moment, en particulier chez ceux qui avaient une pathologie psychiatrique aggravée du fait de la crise
Il faut apprendre à gérer le stress, couper les chaînes d'informations dès 20h30 et les réseaux sociaux si l’on s’énerve facilement en ligne, car les débats permanents liés au Covid-19 peuvent être épuisants. Mais malheureusement, il y a incontestablement des difficultés à obtenir des consultations rapides en psychiatrie car les psychiatres sont très débordés.
Depuis le début de la crise sanitaire, les problèmes de sommeil sont-ils en train de se résorber ?
Actuellement, il y a un arrêt de la dégradation de la situation : cela va se résorber, mais ça a au moins arrêté de s’aggraver. Il y a eu une prise de conscience, les gens ont cherché à s’informer sur le sommeil. On est donc loin du premier confinement, qui a été catastrophique. On a maintenant un retour progressif au travail, mais aussi surtout à une activité physique plus normal.
Dans l'enquête que nous avions menée en janvier 2021, nous avions constaté qu’un quart des Français avaient cherché lors du deuxième confinement à améliorer leur sommeil, et y étaient arrivés dans 70% des cas.
Incontestablement, le sommeil a été nettement mieux valorisé à l'issue de cette crise que ce qu'il ne l’était avant. Nous avons été beaucoup sollicités tout au long de l'année 2020. La puissance publique s'est aussi rendue compte que le sommeil était quand même un problème. Il y a une vraie réflexion qui a émergé et j'espère qu'on va pouvoir continuer à sensibiliser à ce sujet.
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