COVID, ET APRÈS ? "Je suis des enfants qui ont peur de respirer, de toucher, d’avaler leur salive"

Propos recueillis par Charlotte Anglade
Publié le 31 mars 2021 à 17h27
COVID, ET APRÈS ? "Je suis des enfants qui ont peur de respirer, de toucher, d’avaler leur salive"
Source : iStock

PSYCHO - Depuis un an, notre vie a pris une tournure plus que singulière. Les confinements réguliers, les visages masqués et les images souvent difficiles diffusées sur le petit écran ont imprégné notre quotidien et celui de nos enfants. Mais comment le vivent-ils ? En resteront-ils traumatisés ? La pédopsychiatre Catherine Zittoun nous répond.

Voilà plus d'un an que le Covid-19 modifie, au gré de sa progression et de ses variants, nos interactions sociales, nos activités et notre vision de l'avenir. Les embrassades, les sorties entre amis, les projets sur le long terme ne sont plus qu'un lointain souvenir. Désormais, notre vie ne s'articule plus, pour ainsi dire, qu'autour du canapé, devenu lieu de vie et de travail à part entière. Si elles relevaient presque de la science-fiction un temps, les images de corps intubés, de soignants épuisés, et de centres-villes déserts, elles, se sont intégrées tant bien que mal à notre drôle de quotidien. Celui-là même que nous espérons vite chasser d'un revers de main pour revenir à "la vie d'avant". Mais qu'en est-il de nos enfants ? Vivent-ils cette période de la même façon que nous ? Sauront-ils rebondir ou resteront-ils marqués à vie ? Catherine Zitoun, pédopsychiatre et cheffe de pôle au Groupe Hospitalier Universitaire Paris psychiatrie & neurosciences, répond à nos questions.

Toutes les sources de tension se répercutent chez l'enfant, qui est une véritable éponge
Catherine Zitoun

Avez-vous noté une hausse des consultations depuis le début de la crise sanitaire ?

Nous ne pouvons pas en avoir plus que d’habitude parce que ça fait longtemps que l'on tourne à plein régime. Nous étions déjà saturés avant l’épidémie de Covid en raison du manque de moyens alloués à la pédopsychiatrie. Nous avons de plus en plus de demandes, mais on ne peut pas repousser les murs à l’infini. Pour assurer toutes mes consultations, cela fait déjà quelque temps que je travaille de 9h à 20h et je n’ai pas une minute entre deux consultations.

Avez-vous remarqué une influence de la crise sanitaire chez les enfants que vous suivez ?

Le contexte actuel agit effectivement de plusieurs façons sur les enfants. Dans beaucoup de familles, l'angoisse est plus présente ces derniers temps. Certains parents ont perdu leur emploi ou ont très peur de le perdre, d'autres sont en grave difficulté financière, sans parler des familles où il y a eu des malades ou des morts. Certains foyers sont également tourmentés par les confinements successifs, qui ont fait jaillir des conflits intra-familiaux. Toutes ces sources de tension se répercutent sur l'enfant qui n’a pas encore les défenses psychiques pour se protéger. C'est une véritable éponge qui va absorber tout ce qui va être vécu par l’entourage.

Peut-être que dans quelque temps, on montrera que le contexte Covid a encore multiplié la violence dans les écoles
Catherine Zitoun

De quelle façon cela se manifeste-t-il ?

Cela va notamment se traduire par un surcroit d'anxiété, ce que nous remarquons déjà. Chez certains enfants, cette anxiété peut se manifester par une augmentation de la violence. Ne sachant pas l'exprimer verbalement, car il n'en a pas encore les moyens, l'enfant peut la ressentir comme une tension qui va se transformer en colère. Il va s’énerver contre ses parents, son entourage, frapper...  Je remarque déjà une augmentation des troubles du comportement et des violences à l’école depuis plusieurs années en raison, entre autres, de la hausse des tensions sociales et sociétales ou du libre accès à internet et aux réseaux sociaux. Peut-être que dans quelque temps, on montrera que le contexte Covid a encore multiplié la violence dans les écoles. 

Nous avons aussi noté une augmentation des troubles phobiques et obsessionnels. Je suis des enfants qui ont peur de respirer, de toucher, d’avaler leur salive. Ce sont en fait, chez ces patients, des constitutions névrotiques latentes, qui surgissent à l’occasion du contexte Covid. Ces névroses sous-jacentes s’expriment par des signes en rapport avec la crise sanitaire et de la peur de la contamination.

Enfin, nous avons désormais des chiffres qui montrent, depuis le mois de janvier, l’augmentation des problématiques anxio-dépressives chez les enfants à partir de 8-10 ans. Il y a plus de tentatives de suicide, plus de passages aux urgences, plus de passages aux urgences psychiatriques, plus de troubles du comportement alimentaire, plus de troubles liés aux abus d’alcool chez les très jeunes, plus de problèmes au niveau de la consommation d’écrans avec tous les effets délétères que l’on connaît...

Pourrait-il y avoir des séquelles à long terme ?

Beaucoup d’adolescents, principalement dans les milieux défavorisés, sont désormais déscolarisés et ont lâché prise. Ils se retrouvent 24h/24 face à des écrans, dans leur chambre. D'autres ont aussi considérablement augmenté leur consommation d'écrans en étant scolarisés à la maison, ou pendant les confinements. Nous nous attendons donc à un surcroît de dépendances face aux écrans et plateformes numériques.

Les confinements successifs ont aussi réduit fortement les relations de la cellule familiale avec l'extérieur, avec une diminution des tiers entre les parents et les enfants. Des familles vivent entre elles, parfois dans des espaces très petits, et cela a aggravé les troubles entre les parents et les enfants. Il y a plus de crises intrafamiliales et ça, on le perçoit très bien. Cela pourra se tasser chez un certain nombre de familles, tandis que d'autres auront besoin d'être suivies. 

Le manque de visibilité et le manque de confiance en l'avenir, que ressentaient déjà certains jeunes vis-à-vis du devenir de la planète, pourrait également se faire plus important. Ils pourraient alors être de plus en plus contraints à un pur présent dans lequel ils iraient chercher de la jouissance immédiate en s’interdisant de penser à l’avenir. Toutes ces tensions accumulées risquent également de participer à l’augmentation des violences sociétales et sociales. 

Si le bébé n'a plus accès au visage de l'autre, cela pourrait avoir des conséquences sur son neurodéveloppement
Catherine Zitoun

Y a-t-il aussi des risques pour les plus petits ?

Le manque de contacts physiques liés à la période est inquiétant pour les bébés. Ceux-ci se constituent une image de leur corps grâce, notamment, au "portage" et à la "manipulation" par l'autre, ce que le pédiatre anglais Donald Winnicott nomme le "holding" et le "handling". C'est à force d'être portés et touchés qu'ils vont connaître, sans même y réfléchir, l'emplacement de leurs pieds, ou encore de leur centre de gravité. En ayant moins d'interactions physiques, le bébé repèrera plus difficilement ses limites corporelles. On ne peut pas encore dire aujourd’hui quelles seront les répercussions sur l’image inconsciente du corps et sur la constitution de l'être psycho-corporel, mais on les craint. Il faut porter les enfants, leur faire des papouilles, jouer avec eux. C’est une nécessité pour eux au même titre que boire, manger et dormir.

Les contacts physiques sont également très importants entre les enfants. Lorsque l'on voit des enfants de 2 ans qui ne s’autorisent plus à faire des bisous par crainte de se contaminer, ou quand les parents courent derrière pour le leur interdire, cela risque de créer une peur de l’autre dès le plus jeune âge. De la même manière qu’on lui interdit de frapper l’autre, il va intégrer le fait de toucher l’autre au nombre de ces interdits. C’est très problématique, non seulement pour l'enfant, mais aussi pour la société en général.

Enfin, le fait d'être élevé, à la crèche, par des éducateurs et des auxiliaires de puériculture masqués, risque aussi d'avoir des effets négatifs. C'est en effet grâce aux interactions avec son environnement que l'enfant développe, au cours des cinq premières années de sa vie, son réseau neuronal. La relation à l'autre à travers les expressions du visage, les rires, les sourires sont un prérequis, notamment à l'accès au langage. Si, pendant une bonne partie de ses journées, le bébé n’a plus accès au visage de l’autre et à ses émotions, cela pourrait avoir des conséquences sur le neurodéveloppement et dans la manière dont l’enfant interagit avec les autres.

Plus les adultes iront mieux, plus l'enfant ira mieux
Catherine Zitoun

Est-il possible de limiter les dégâts ?

Il faut rassurer l’enfant, lui dire que tout cela n'est que passager, que les choses vont s’arranger, qu’il faut avoir confiance. C'est également important de continuer à le porter, à lui faire des papouilles, à jouer avec lui plutôt que le mettre devant les écrans. Dans la mesure du possible, il faut aussi préserver le moment du repas, qui est un moment d’échange structurant pour l’enfant et qui peut l'aider à se décharger de certaines tensions, et de certaines peurs. Continuer à aller à l'extérieur avec les enfants est également primordial.

De manière générale, il faut faire confiance aux grandes capacités de résilience des enfants. Cependant, celles-ci ne sont pas innées. Elles prennent appui sur l'environnement. Plus les adultes iront mieux et plus l'enfant ira mieux.

* Catherine Zittoun a participé à l'ouvrage Du confinement au déconfinement : nouvelles perspectives en pédopsychiatrie.


Propos recueillis par Charlotte Anglade

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