Pas d'impact des vaccins sur les cas de Covid ? Prudence avec cette "étude", relayée par Didier Raoult

Publié le 9 octobre 2021 à 16h52
La publication relayée par le Pr Raoult laisse perplexes de nombreux observateurs, qui en critiquent la pertinence et les conclusions.

La publication relayée par le Pr Raoult laisse perplexes de nombreux observateurs, qui en critiquent la pertinence et les conclusions.

Source : CHRISTOPHE SIMON / AFP

CONTROVERSE - Biais méthodologiques, données étudiées sur une seule semaine, co-auteur encore lycéen... Une publication scientifique mise en avant par Didier Raoult interroge. D'autant que ce dernier présente de manière trompeuse la revue dont cette étude est extraite.

Relayée par des internautes, une publication mise en avant le 30 septembre par le European Journal of Epidemiology a gagné en notoriété après que Didier Raoult l'a partagée à ses abonnés. Une source jugée très fiable par le microbiologiste établi à Marseille - il s'agit, selon lui, du "journal le plus côté au monde en épidémiologie". Les conclusions de ces travaux, expose-t-il, mettent en avant "l'absence de corrélation entre politique vaccinale et nombre de cas".

Alors que certains partagent cet article en dénonçant l'inutilité des politiques gouvernementales misant sur la vaccination, des voix se sont élevées pour souligner les biais et faiblesses de cette publication. Des critiques qui ne se limitent pas aux frontières françaises. 

Des données observées sur 7 jours seulement

Au Canada, le chef du Parti conservateur du Québec Éric Duhaime a, lui aussi, mis en avant cette étude. La presse locale, sans tarder, a sollicité l'avis d'un médecin et pharmacologue pour en évaluer la fiabilité. "C’est un article très court qui n’est pas révisé par les pairs", constate le Dr Mathieu Nadeau-Vallée. "Généralement, ils sont acceptés après une lecture d’un éditeur de journal. C’est une étude observationnelle, donc, pas expérimentale. Ce type d’étude est excellent pour développer des hypothèses de recherche, mais pas très bon pour tirer des conclusions franches. L’étude est très biaisée et je ne suis pas sûr qu’on peut conclure quoique ce soit."

Ces biais, quels sont-ils ? Que ce soit outre-Atlantique ou en France, des observateurs se sont penchés sur cette publication et on en premier lieu souligné que pour analyser l'évolution des nouvelles contaminations par rapport au pourcentage de la population vaccinée, les auteurs ont sélectionné des données sur 7 jours uniquement. Une période jugée particulièrement courte et qui rend d'autant plus fragile toute interprétation. Notons également que les pays étudiés se trouvent dans des dynamiques épidémiques extrêmement variables, certains connaissant des périodes d'accalmie majeures lorsque d'autres font face à une flambée des contaminations. 

Parmi les autres limites majeures, il convient de souligner que les différences en matière de politiques de test n'ont pas été prises en considération. Problématique, notamment parce qu'un pays très volontariste dans ce domaine et qui testerait très massivement sa population aurait davantage de chance d'identifier des patients positifs, par rapport à un autre où seules les personnes qui présentent des symptômes sont invitées à réaliser un dépistage. 

Autre élément "oublié" par les auteurs, les variations qui s'observent d'un pays à l'autre au niveau des mesures sanitaires en vigueur. Port du masque, jauges dans les commerces, interdictions des rassemblements publics... À travers le monde, les politiques publiques de santé varient très largement, avec un effet indéniable sur les contaminations. L'exemple suédois, avec des autorités se montrant réticentes à la promotion du masque, a montré des variations majeures par rapports aux autres pays scandinaves, où l'épidémie s'est bien moins répandue. 

En cherchant des informations sur les auteurs de cet article, des observateurs ont noté que ces derniers n'étaient que deux, mais surtout qu'aux côtés d'un enseignant d'Harvard figurait... Un lycéen ! Cosignataire de la publication, Akhil Kumar est en effet présenté comme étudiant à Brampton, une ville canadienne de l'Ontario située en banlieue de Toronto. 

La présentation trompeuse de Didier Raoult

Sur ces réseaux sociaux, le Pr Raoult évoque au sujet du European Journal of Epidemiology un journal qui serait "le plus côté au monde en épidémiologie". Une assertion contestée, notamment par un docteur en biologie, qui s'est penché sur le "H-index" de cette source. Il s'agit d'un classement qui prend en compte les articles publiés ayant par la suite fait l'objet de reprises et citations dans d'autres revues scientifiques. En toute logique, si une revue met en avant des études jugées importantes par la communauté scientifique, celles-ci sont régulièrement prises en exemple et réutilisées, d'où un score élevé pour le H-index. 

En ce qui concerne le European Journal of Epidemiology, on constate qu'il ne figure qu'à la 20e place des revues en épidémiologie. De quoi relativiser les propos de Didier Raoult. Le professeur basé à Marseille indique par ailleurs qu'il est "éditeur" de cette revue, une affirmation à nouveau trompeuse puisqu'il ne l'est plus depuis janvier 2021. Le journaliste de Libération Florian Gouthière a contacté le responsable de la revue afin d'en avoir la confirmation. 

"Le congé de l'editorial board [le comité éditorial, NDLR] a été notifié à Didier Raoult par courriel dans la deuxième quinzaine de décembre 2020", apprend-on. Mais ce dernier "n'a pas apparemment accusé réception de ce message au rédacteur en chef. Neuf mois plus tard, il semble n'avoir toujours pas réalisé qu'il est sorti du board". Lorsque le journaliste a demandé les raisons qui avaient conduit au retrait de Didier Raoult de ce comité éditorial, le responsable de la revue a mis en avant un "renouvellement" de l'équipe, sans plus de précisions.

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Thomas DESZPOT

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