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Dans les Ehpad, est-il interdit aux aides-soignants de délivrer un simple Doliprane ?

Publié le 7 octobre 2022 à 17h33

Source : JT 20h WE

Un médecin a déploré sur les réseaux sociaux certaines situations ubuesques vécues dans les Ehpad.
N'ayant pas le droit de fournir des médicaments, même basiques, les aides-soignants seraient contraints de rediriger les résidents vers le 15.
Ces règles ne sont pas dénuées de sens, glissent les représentants de la profession, même s'ils appellent à les faire évoluer.

Dans les Ehpad, il arrive (notamment la nuit) que seuls des aides-soignants soient présents aux côtés des résidents, en l'absence d'infirmier ou de médecin. Un cas de figure qui conduit à des situations absurdes, dénonce un neurologue sur les réseaux sociaux. Il prend ainsi l'exemple d'une personne âgée qui aurait une douleur à l'épaule, et à laquelle on voudrait donner un Doliprane. Problème : il serait aujourd'hui interdit de fournir un tel médicament. "Une aide-soignante, après un an de formation, a le droit de prendre du Doliprane, a le droit d'en donner à ses enfants, a le droit d'en donner à ses parents, a le droit d'en donner à un inconnu dans la rue, mais du moment qu'elle exerce son métier, elle peut plus", apprend-on.

Dès lors, les aides-soignant(e)s n'auraient d'autre choix que d'appeler le 15. "Du coup, Mme X qui a un peu mal quand même, est amenée en ambulance à l'hôpital. Où on l'installe sur un brancard et où une aide-soignante lui donne un Doliprane... Mais c'est pas pareil parce qu'étant à moins d'un mètre d'une infirmière, l'aide-soignante est sous contrôle", raille l'auteur des messages, teintant son propos d'ironie et d'agacement.

Des précautions à double tranchant

Pourtant, au contact des résidents tout au long de l'année, les aides-soignants se voient-ils interdire la délivrance d'un simple petit cachet ? "Les médicaments, c'est très réglementé", reconnaît auprès de TF1info Guillaume Gontard, le président de la Fédération nationale des associations d'aides-soignants (FNAAS), "c'est au médecin qu'il revient de prescrire". Cela vaut "également en clinique", fait-il remarquer, "si quelqu'un nous dit qu'il n'arrive pas à dormir, il sera impossible pour un(e) aide-soignant(e) de donner un somnifère".

La loi est d'ailleurs assez claire sur le sujet. L’article R4311-1 à 4 du Code de la Santé Publique stipule que les actes professionnels spécifiques, comme les gestes de préparation et de distribution des traitements, doivent être effectués sous le contrôle et la responsabilité d'un infirmier. Celui-ci est le seul soignant habilité à assurer une distribution des médicaments, comme le précise le décret 2004-802 du 29 juillet 2004.

"Si quelqu'un est allergique à une molécule, il est légitime que de telles précautions existent", estime Guillaume Gontard. Le représentant de la FNAAS observe que "lorsque l'on commence une carrière d'aide-soignant, on réalise qu'il existe plein de gestes que l'on peut faire chez soi, mais qui ne peuvent pas être réalisés dans le cadre professionnel". Et ce, alors même que des aidants, les proches de patients ou de pensionnaires, sont amenés à prendre des initiatives de leur côté. "J'ai vu l'épouse d'un monsieur faire des allers-retours avec une sonde, mais nous n'en avons pas le droit en tant qu'aides-soignants." 

Notons que si une personne s'érafle la jambe légèrement et saigne, un aide-soignant aura tout de même la liberté de lui mettre un pansement sans avoir à attendre la présence d'un infirmier à ses côtés. "Personne n'ira nous intenter un procès pour ça", même si dans la majorité des situations, une forme de prudence et de réserve s'observe chez les aides-soignants.

Un besoin d'évolution

Si ces mesures de précautions ne sortent pas de nulle part, il est possible qu'elles soient amenées à évoluer. Guillaume Gontard espère que le volet santé du Conseil national de la refondation permettra de valoriser la fonction d'aide-soignants et de conduire à son évolution. "Pour prodiguer certains soins, nous sommes obligés de faire appel à une infirmière, les réaliser nous-mêmes ferait gagner du temps à tout le monde", estime-t-il. "Quand on inclut les aides-soignants dans les soins, cela permet aussi de mieux connaître les patients." Dans le même temps, "cela participerait aussi d'une valorisation du métier", un point non négligeable car "le grand public imagine simplement que nous assurons des soins d'hygiène auprès des patients, alors que les missions sont bien plus vastes". 

Pour que les aides-soignants puissent assumer sereinement de nouvelles missions, le président de la FNAAS plaide pour un renforcement des compétences à travers une évolution des formations. "Il sera indispensable de former davantage sur la pharmacologie à l'avenir, c'est une certitude", assure-t-il. Les arguments en ce sens, à l'écouter, ne manquent pas : "D'ici quelques années, il faudra des professionnels plus formés pour intervenir chez les patients, nous observons en effet tous le virage 'domiciliaire' majeur qui est enclenché".  Guillaume Gontard fait ici référence aux politiques de santé qui ont été suivies ces dernières années, avec la volonté de maintenir les patients à leur domicile et de recourir quand c'est possible à l'ambulatoire. Des orientations qui conduisent notamment à la réduction du nombre de lits dans les hôpitaux de l'Hexagone. 

Le chef de file de la FNAAS assure que les aides-soignants partagent cette volonté d'étendre leur champ d'action, et que cela permettrait par ailleurs d'éviter certaines incompréhensions avec les familles de patients et pensionnaires. "Dans les Ehpad, vous faites parfois face à des gens qui partagent leur incompréhension. Des proches qui ont du mal à entendre que l'on ne puisse pas toucher à un pilulier par exemple". D'où un certain optimisme à l'idée de voir le Conseil national de la refondation permettre d'aborder ces questions et les interactions globales des équipes de santé à travers le monde hospitalier ou les établissements paramédicaux. "J'ai le sentiment d'un volontarisme de la part du gouvernement", glisse Guillaume Gontard, qui espère désormais des évolutions pour l'avenir de sa profession.

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Thomas DESZPOT

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