TRAUMA - Un enfant abandonné, négligé ou maltraité a davantage de chances de souffrir, plus tard, de troubles du comportement. Si jusque-là, ce phénomène n'était pas réellement expliqué scientifiquement, une équipe de chercheurs a réussi à déterminer la manière dont le stress infantile précoce retentit sur l'activité cérébrale.
"Sèche tes larmes, tout ça sera vite oublié." Ces mots de réconfort, régulièrement employés par les parents, ne sont en réalité pas applicables à toutes les situations. Selon une étude de l'Inserm, un stress infantile survenant lors des premières années de vie peut avoir de lourdes répercussions à long terme sur l'activité cérébrale en raison d'une modification de celle-ci. Les enfants ayant subi un abandon, des négligences émotionnelles ou matérielles, des maltraitances ou des abus sexuels sont en effet connus pour présenter une vulnérabilité accrue vis-à-vis du risque ultérieur de troubles dépressifs ou anxieux, de toxicomanie, de schizophrénie ou de troubles bipolaires.
Au travers de travaux menés sur des souris, des chercheurs de l'Inserm, du CNRS, mais aussi des scientifiques brésiliens, américains et indiens, ont cherché à définir l'origine de ces susceptibilités psychologiques. Anne Teissier, chercheuse au CNRS et auteure principale de l'étude, nous en dit plus.
Comment le cortex préfrontal est affecté par le stress infantile précoce
"L’enjeu de l’étude était de comprendre ce qui se passe dans le cerveau pendant, ou juste après le stress. Beaucoup de travaux portant sur le stress infantile précoce ont été faits au préalable, mais seulement sur les adultes. Ils ont permis de comprendre les conséquences du stress, mais pas le mécanisme", explique Anne Teissier. Pour cela, les auteurs de l'étude ont induit un stress chez des souris de laboratoire en séparant un petit de sa mère durant les deux premières semaines de sa vie. Ils ont ensuite analysé l’impact immédiat du stress pendant le développement de l'animal, via des études génomiques, soit de l’ensemble des gènes contenus dans nos cellules, et des analyses cellulaires menées sur le cortex préfrontal. Cette région du cerveau joue en effet un rôle important dans le contrôle émotionnel.
"Lors de ces observations, nous avons vu ressortir une modification précoce de la production locale de myéline, une protéine indispensable à une bonne conduction nerveuse. Cela serait dû à la maturation anticipée de certaines cellules, appelées les cellules progénitrices des oligodendrocytes, en charge de cette synthèse", détaille la chercheuse. Or, ces bouleversements sont directement associés à la modification de l’activité neuronale au cours du développement, des souris comme des humains.
La modification à long terme de l'activité cérébrale endiguée chez des souris
Dans la seconde partie de l'étude, les chercheurs ont réussi à inhiber l’activité neuronale du cortex préfrontal de souriceaux non stressés, ce qui a engendré une maturation accélérée des cellules progénitrices des oligodendrocytes (CPO). Ces animaux ont par la suite présenté, à l'âge adulte, des troubles de comportement similaires à ceux d'adultes exposés à un stress précoce. Les scientifiques ont également fait la manipulation inverse en augmentant transitoirement l'excitabilité neuronale. Cela a limité la maturation précoce des CPO et certains comportements associés à la dépression.
Des expériences d'adoption précédemment menées avaient d'autre part montré qu'il était aussi possible d'empêcher la modification du comportement à l'âge adulte de souris, préalablement soumises à un stress provoqué cette fois avant la naissance, en les plaçant dès leur venue au monde auprès d'une nouvelle mère, loin de toute négligence ou maltraitance. S'il est possible d'agir en s'y prenant dès la naissance, jusqu'à quel âge est-il vraiment possible d'endiguer un stress infantile précoce ? "Nous n'avons pas encore de réponse très précise à ce sujet, mais des travaux menés par le Robert Hill, un chercheur américain, ont montré que des défauts de myélinisation apparaissaient dans le cortex préfontal d'enfants abandonnés s'ils n'étaient pas placés en famille d'accueil avant 3 ans. Les mettre dans un centre ne suffisait pas, il fallait qu’il y ait une figure de l’attachement", répond Anne Teissier.
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Grâce à cette étude, qui devrait en amener d'autres pour confirmer et approfondir les résultats obtenus, la chercheuse espère arriver, un jour, à diagnostiquer très tôt les enfants ayant subi un stress infantile traumatisant et, ainsi, à compenser le défaut d'activité cérébrale qui lui est lié grâce à "la stimulation intellectuelle, environnementale, voire grâce à des médicaments".
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