Des bières à 14 degrés "rhabillées pour plaire aux plus jeunes" : les dangers de ces boissons expliqués par un addictologue

par Charlotte ANGLADE
Publié le 30 septembre 2019 à 14h58, mis à jour le 23 octobre 2019 à 11h07

Source : JT 20h Semaine

ALCOOL - Dans un article paru dans Le Parisien, Axel Kahn, nouveau président de la Ligue contre le cancer, alerte sur les dangers des bières ultra-fortes que les fabricants destinent de plus en plus aux jeunes. Interviewé à ce sujet par LCI, l'addictologue Jean-Pierre Couteron se joint à ses inquiétudes, estimant que ces produits ne font qu'inciter le jeune public à boire plus que de raison.

Un "attentat à la santé des jeunes". Voilà comment Axel Kahn, le nouveau président de la Ligue contre le cancer, qualifie les bières ultra-fortes. Dans un article du Parisien paru ce lundi, celui qui est aussi médecin généticien dénonce la trop grande accessibilité de ces boissons, qui peuvent aisément contenir 14, voire presque 17 degrés d'alcool. Pour lui, ces canettes colorées au graphisme évoquant celui des BD ou des jeux vidéo ne sont autre qu'un "piège tendu aux jeunes", contre lequel il demande aux autorités de légiférer.

Mais quels dangers ces boissons représentent-elles, par rapport aux traditionnels alcools forts régulièrement consommés lors des fêtes étudiantes ? Le danger est-il si considérable ? Nous avons posé nos questions à Jean-Pierre Couteron, addictologue et porte-parole de la Fédération Addiction.

Marketing, packaging et recette de fabrication, les 3 dangers de ces boissons

Pour le professionnel, les inquiétudes d'Axel Kahn sont loin d'être infondées, ces boissons représentant un réel danger pour la jeunesse. Il s'articule autour de trois problématiques. "Il y a tout d'abord tout un code marketing qui entoure ces produits. Ces bières, qui ciblaient initialement une clientèle plutôt composée de patients alcooliques et présentant quelques difficultés financières, ont été rhabillées pour plaire aux plus jeunes", fait-il remarquer. Ce nouveau design s'accompagne dans le même temps de campagnes publicitaires ciblées, entre autres visibles sur les abris-bus, et d'un placement stratégique en rayon. Soit les signes d'une nouvelle stratégie marketing qui, pour Jean-Pierre Couteron, ne trompe pas. "Quand vous avez un relooking, une campagne publicitaire qui met en avant des codes plutôt graphiques et une accessibilité dans les boutiques, clairement vous visez un jeune public."

Le deuxième problème, poursuit-il, concerne la contenance des canettes. Celles-ci peuvent renfermer jusqu'à un-demi litre de bière, "ce qui est quand même énorme". Contrairement à une bouteille, ces canettes ne peuvent d'autre part pas se refermer, ce qui incite le consommateur à consommer la totalité de la boisson d'une traite. "Il y a une espèce d’obligation à boire qui est créée par le packaging. Cela implique que vous allez avoir une expérience d’alcool que vous n’allez pas pouvoir gérer tout à faire comme vous auriez voulu", regrette l'addictologue. Couper sa consommation avec un verre d'eau de temps en temps par exemple, est ici rendu moins évident. Or, boire l'entièreté de l'une de ces canettes revient à boire une bouteille de vin.

La dernière problématique provient de la composition de ces boissons. "On va appeler ces produits 'bière', mais la fabrication n’est pas tout à fait celle d’une bière puisque le fabricant a décidé de renforcer artificiellement leur degré d’alcool par l'ajout de sucres et de levures", note le porte-parole de la Fédération Addiction. Pour lui, ces boissons placées dans le rayon des bières devraient plutôt se trouver auprès d'alcools plus forts ou "en haut des rayonnages avec un avertissement particulier".

La notion de limite brouillée par la stratégie des fabricants

Selon Jean-Pierre Couteron, la commercialisation de ces boissons va purement et simplement à l'encontre de la politique publique actuellement menée. "Les autorités de santé font de grandes campagnes pour éviter le binge-drinking et là, on incite les jeunes à boire une quantité d’alcool pour laquelle, avec d’autres produits, ils auraient dû ouvrir deux ou trois canettes. Le fait de mettre une grosse quantité dans une canette, de piéger un peu le goût et la présentation a pour but d’éloigner le plus possible le jeune de la réflexion sur sa consommation."

Pour autant, précise l'addictologue, si une consommation occasionnelle ne va pas forcément plonger le jeune dans l'alcoolisme, "on sait que la précocité et l’intensité de l’usage va augmenter la dangerosité". "Et il s'agit d'un produit qui va jouer sur ces deux critères", souligne-t-il. Dans le centre d'accueil, de soins et de prévention en addictologie (CSAPA) où il exerce, il affirme voir de plus en plus de patients arriver avec ce type de boissons à la main ou dans leur sacoche. 


Charlotte ANGLADE

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