TÉMOIGNAGE - Alors qu'un être humain émet des flatulences en moyenne 14 fois par jour, Dora Moutot est un cas extrême. Elle se décrit elle-même comme "une machine à gaz". Atteinte de la maladie de SIBO depuis dix ans, sa vie est devenue un enfer. Pour éveiller les consciences sur ce mal, elle a écrit un livre, "À fleur de pet" (éditions Guy Trédaniel), dans lequel elle décrit avec humour et beaucoup de connaissances sa situation. Nous avons pu l'interviewer.
Lorsqu'elle a décidé d'aborder le problème, Dora Moutot n'y est pas allée par quatre chemins. Atteinte de la maladie de SIBO (small intestinal bacterial overgrowth), ou maladie des hyperballonnés, cette journaliste a entrepris de raconter avec beaucoup d'humour et de connaissances acquises au fil de son parcours médical compliqué son quotidien empoisonné depuis dix ans par des vents intempestifs et des ballonnements dans un livre intitulé "À fleur de pet" (éditions Guy Trédaniel).
Grâce à cet ouvrage, elle espère faire découvrir au plus grand nombre cette maladie intestinale handicapante - encore très méconnue en France - et permettre aux malades, qui pourraient être plus nombreux qu'on ne le pense, de s'approprier leur SIBO. Une urgence de transmission qu'elle présente ainsi dans l'introduction : "Ce livre n’est pas un pet discret. C’est tout le contraire. Ce livre est un pet que je ne pouvais plus retenir, un pet qui vient du fin fond de mes entrailles, un pet qui a déjà fait le tour de la maison quinze fois et dont le temps est venu de sortir".
J’avais juste envie de disparaître, de me retrouver enfin seule et de pouvoir… péter.
Dora Moutot, auteure du livre "À fleur de pet" (Guy Trédaniel)
Tout commence il y a dix ans. Dora Moutot a 22 ans et se met tout à coup à ballonner, tout en étant victime d'une "constipation délirante". "Ma vie s’est transformée en une rafale de pets", résume-t-elle. Un dérèglement qui fait suite à la prise d'antibiotiques pendant 6 mois pour traiter des cystites à répétition et à une tourista attrapée lors d'un voyage en Inde. Déjà appauvri par les antibiotiques, son microbiote intestinal, soit les 40.000 milliards de bactéries ou levures qui vivent dans son système digestif, est alors déréglé "pour toujours".
Si elle ne s'inquiète pas tout de suite, mettant tout d'abord cela sur le compte de son alimentation, la situation s'envenime si rapidement que sa vie sociale et professionnelle en pâtissent. "Je vivais un cauchemar éveillé, j’hallucinais, et autant vous dire qu’il était assez compliqué pour moi d’en parler. J’étais remplie de gaz, du matin au soir. Et je passais ma vie à essayer d’agir normalement en société, lorsqu’en réalité, j’avais juste envie de disparaître, de me retrouver enfin seule et de pouvoir… péter.", écrit-elle.
Contrainte de faire d'incessants allers-retours aux toilettes et cherchant par tous les moyens à y faire le moins de bruit possible - "je n’ai jamais compris pourquoi la plupart des toilettes amplifient les sons, au lieu de les réduire", s'étonne-t-elle - elle finit par consulter différents médecins. Aucun ne la prend au sérieux. Après avoir tout de même vérifié qu'elle n'était pas atteinte d'un cancer du côlon, de la maladie de Krohn ou encore de rectocolite hémorragique, ils affirment qu'il s'agit d'une colopathie fonctionnelle. Ce syndrome, qui touche 10 à 15% de la population française, veut en réalité tout... et ne rien dire ! "Le diagnostic tombe par exclusion. Vu qu’il n’y a rien d’autre, on a ça. Ça signifie que fonctionnellement, il y a un quelque chose qui ne va pas, sans que l'on puisse expliquer ce que c'est", indique Dora Moutot.
Je ne savais plus ce que mon corps allait faire d’une seconde à l’autre
Dora Moutot, auteure du livre "À fleur de pet" (Guy Trédaniel)
Lors de cette errance médicale, pendant laquelle aucun des traitements prescrits ne la soulage, la vie de la jeune femme devient un cauchemar. "Je perdais le contrôle de mon corps. J’écoutais constamment la moitié de ce qu’on me disait, car il fallait que je réussisse à suivre, en parallèle, 'l’activité en moi'. Cette perte de contrôle était terriblement angoissante. Je ne savais plus ce que mon corps allait faire d’une seconde à l’autre", décrit-elle. La situation n'étant plus tenable au travail, la journaliste démissionne de la rédaction où elle travaille pour se lancer en freelance (et être enfin tranquille). L'un de ses petits amis la quitte aussi en partie à cause de sa situation. "Je passais ma vie aux toilettes et je n’étais pas bien dans ma peau. Et quand on ballonne tout le temps, la libido est impactée aussi. On a tellement d’air qu’on n'a pas très envie d’accueillir autre chose", résume-t-elle.
La dépression ne tarde pas à pointer le bout de son nez. Un symptôme normal d'un dérèglement intestinal, puisque les intestins entretiennent un lien étroit avec le cerveau grâce aux vaisseaux sanguins et au nerf vague. "En plus, on a entre 80 et 90% de la sérotonine, considérée comme l’hormone du bonheur, qui est produite dans l’intestin. Quand on est malade, il en produit parfois trop ou pas assez ce qui créé des problèmes au niveau de l’humeur", explique la journaliste.
La naturopathie pour soulager ses intestins
Après avoir consulté une cinquantaine de médecins et essayé toutes sortes de traitements, Dora Moutot se tourne vers internet pour tenter de comprendre son corps. C'est finalement sur les blogs, forums et groupes Facebook britanniques et américains qu'elle trouve la réponse : SIBO. Cette maladie, dont aucun médecin ne lui avait encore parlé, est causée par une pullulation bactérienne dans l’intestin grêle. "Chez quelqu’un de normal, le corps envoie après chaque repas une sorte de vague, qui s'appelle le complexe migrant-moteur", explique la jeune femme. "Cela fait en sorte que tout ce qui traîne, comme les bactéries du côlon qui se seraient un peu paumées dans l’intestin grêle, redescend au niveau du côlon. Sauf que chez les gens qui ont le SIBO, ce complexe ne fonctionne presque plus." Des bactéries qui n'ont donc rien à faire dans l'intestin grêle prolifèrent à cet endroit et dévorent certains aliments avant qu'ils ne puissent passer dans le sang, ce qui provoque fatigue et carences. En "digérant" ces aliments, les bactéries produisent d'autre part des gaz de façon massive et trop précoce. "Normalement, cela se passe quand la selle est presque à la sortie", assure Dora Moutot.
Forte de ce diagnostic, la jeune femme part en quête d'un hôpital équipé d'une machine qui permet de mesurer le taux de gaz sortant par la bouche. Car, comme elle l'explique, les gaz ne sortent pas que de l'anus, mais aussi par la respiration. Il ne s'agit pas forcément de rots. Si un SIBO lui est bel et bien diagnostiqué, le traitement, en France, n'est pas vraiment au point. Il s'agit d'une cure d'antibiotiques censés faire "le grand nettoyage de l’intestin grêle". Si cela fonctionne sur le coup, le dysfonctionnement réapparaît rapidement en raison du complexe migrant moteur défaillant. Dora Moutot se tourne alors vers des médecins aux États-Unis, pays dans lequel SIBO est bien mieux connu, avec lesquels elle communique par Skype. "Là-bas, beaucoup de naturopathes sont spécialisés dans le traitement de SIBO. Avec eux, j'ai mis en place des stratégies pour nourrir le moins possible ces bactéries pathogènes, dans l’espoir qu’elles meurent. Cela s'accompagne donc d'un régime très strict, qui exclut beaucoup d'aliments. Si cela m'aide beaucoup pour l'instant, ce n'est pas une solution viable."
La greffe fécale, dernier espoir ?
La patiente place désormais tous ses espoirs dans la greffe fécale, qui consiste à implanter médicalement de la matière fécale étrangère dans son propre tube digestif pour renouveler son microbiote. Pour l'instant cependant, la pratique est interdite en France, sauf dans le cas d'une maladie, le Clostridium difficile. Reste la solution de se rendre à l'étranger, pour un coût pouvant tout de même atteindre 10.000 euros. Cela sans compter sur les dangers de cette pratique, qui n'en est encore qu'à ses balbutiements. "Il y a récemment eu deux morts car, parfois les analyses de selles ne sont pas optimales", indique Dora Moutot.
En attendant, la journaliste rêve que son livre fasse l'effet d'une bombe dans le monde médical. "J’espère que ça aura un impact et que ça fera peut-être un tilt dans le monde médical. Mon rêve, c'est que cette maladie soit enseigné en médecine car pour l'instant, la plupart des gastro-entérologues de ville ou ceux de l’hôpital ne connaissent pas cette pathologie ou n’ont pas le matériel pour la diagnostiquer." À plus large échelle, elle espère aussi une prise de conscience de façon plus globale sur la façon dont fonctionne notre société. "Quand on consomme des antibiotiques et que l'on mange comme on le fait actuellement, il ne faut pas s’étonner que ces maladies se multiplient. Ma philosophie, c’est que si on tue la biodiversité externe, on tue aussi la biodiversité interne à travers notre alimentation et les antibiotiques." En France, le nombre de personnes atteintes de SIBO est à ce jour inconnu.
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