Ehpad : les grands groupes du secteur privé se font-ils des marges énormes ?

C.Q
Publié le 7 février 2022 à 15h37
Un Ehpad du groupe Orpea, à Neuilly sur Seine
Un Ehpad du groupe Orpea, à Neuilly sur Seine - Source : ALAIN JOCARD / AFP

Dans la tourmente depuis la parution du livre "Les Fossoyeurs", les groupes privés à but lucratif gèrent un quart des Ehpad en France.
La question de leur rentabilité interroge plusieurs acteurs politiques.
Pour leur croissance, les trois plus gros groupes misent sur leur implantation à l’étranger.

Depuis les révélations sur les Ehpad privés gérés par le groupe Orpea parues dans "Les Fossoyeurs", une enquête interne est diligentée. Ce lundi 7 février, c’est au tour du groupe Korian d’être visé par une plainte. À but lucratif, ces groupes privés gèrent un quart des Ehpad, ces établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, en France. En 2014, ils représentaient 21,7% du secteur pour 49% d’établissements publics et 29,3% d’organisation de l’économie sociale et solidaire (ESS), selon la Drees, la cellule statistique du ministère de la Santé. 

Des chiffres d'affaires en hausse

En parallèle de ces soupçons de mauvaise gestion et de maltraitance envers des pensionnaires, il y a la question des profits qu’engrangent ces grands groupes, majoritaires dans le secteur privé. C'est le cas du président (LREM) de l'Assemblée nationale Richard Ferrand, qui trouve "choquant de faire de l'argent sur l'état de faiblesse de nos anciens" ou de Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, qui fustigeait le 1er février, un "système Orpea" axé sur le "profit maximum". Trois grandes entreprises se partagent le marché à ce jour : Orpea qui gère 372 Ehpad en France, Korian avec 298 Ehpad et Domus Vi avec 180 Ehpad. De statut privé, ces établissements appliquent d’abord un tarif plus important que les structures publiques. Comme le constate la Drees, en 2019, "les établissements privés à but lucratif appliquent des frais d’hébergement supérieurs à ceux en cours dans le public (en moyenne, +10 euros environ pour les places habilitées à l’aide sociale, et +23 euros pour les autres)".

 

Dans le secteur privé lucratif, les séjours sont facturés au prix fort, nous explique Ilona Delouette, de l’IMT Nord Europe de Lille, spécialisée dans le financement de la perte d'autonomie. "Ils coûtent 42% plus cher que dans le public, ce qui est beaucoup, calcule l'économiste. Ces établissements expliquent qu’ils sont souvent situés en milieu urbain, dans des communes où le foncier est cher et qu'ils ont plus de prestations externes, mais cela est loin de justifier une telle différence", assure-t-elle.

Début 2021, le bénéfice net Orpea bondit de 40%

Avant le scandale, sur l’année 2021, le groupe français Orpea a vu son chiffre d’affaires augmenter de 9% contre une hausse attendue de 7,5%, avec 4,27 milliards d’euros récoltés. Sur les six premiers mois de 2021, le groupe a même vu son bénéfice net bondir de 40%, à 102,4 millions d’euros, pour un chiffre d’affaires de 2 milliards d’euros en hausse de 8,7%. De son côté, Korian n’est pas en reste non plus. Le groupe prévoyait initialement une croissance de son chiffre d’affaires de +9% pour l’année 2021, qui a finalement été relevée à 10%. Avec un chiffre d’affaires de 2,1 milliards d’euros l’an dernier, la société a réalisé une marge équivalente à 13,2% de son chiffre d'affaires global. Korian explique d’ailleurs cette marge "par la dynamique de reprise d’activité et un moindre impact des coûts liés au Covid-19".

Domus Vi, qui se présente sur son site comme "le 3e opérateur privé français avec des résidences médicalisées et non médicalisées et des agences d’aide à domicile", a pour sa part réalisé en 2018 un chiffre d’affaires de 1,37 milliard d’euros. Preuve que les marges sont conséquentes, certains actionnaires de ces sociétés privées se retrouvent parmi les 500 plus grandes fortunes de France, selon le dernier classement annuel du magazine Challenges. Jean-Claude Maria, qui possède 23% du groupe Orpea, se retrouve ainsi à la 119e place avec une fortune estimée à 435 millions d’euros. À la 121e place, on retrouve Yves Journel, actionnaire à 30% de Domus Vi, avec 420 millions d’euros. 

Pour relancer leur croissance, ces trois gestionnaires ont notamment misé sur l’exportation de leurs établissements à l’étranger. Ainsi, près de 70% des établissements d’Orpea et 60% des établissements de Korian sont implantés hors de France, tandis que Domus Vi en gère 42% à l’étranger. Et malgré ces bénéfices, les grands groupes privés n’embauchent pas plus de personnels, a déploré l’économiste Ilona Delouette, ayant consacré une thèse au financement des Ehpad : "On ne peut pas s’étonner que des gens qui ont pour objectif de faire du profit fassent du profit. C’est leur métier".


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