Comment parler de la pauvreté à son enfant ?

Publié le 17 octobre 2019 à 17h50, mis à jour le 17 octobre 2019 à 18h13
JT Perso

Source : La matinale Week-end

A HAUTEUR D'ENFANT - Une note de l'Insee publiée mercredi, à la veille de la Journée mondiale du refus de la misère, fait état d'une hausse de la pauvreté en France. Une réalité qui n'échappe pas au regard des enfants. A tel point qu'il devient difficile pour un parent de trouver les mots justes.

Ce sont des chiffres dont tout le monde parle en cette Journée mondiale du refus de la misère. Selon l’Insee, la pauvreté a augmenté en France en 2018 pour atteindre 14,7% de la population française. En d'autres termes, près de 9,3 millions de Français vivent environ avec moins de 1 050 euros par mois pour un célibataire sans enfant (voir l'article en lien ci-dessous).

Selon un sondage de l’Ipsos datant de septembre 2019, les 8-14 ans s’inquiètent beaucoup plus pour l’avenir que ce que nous pensons, 62% d’entre eux ayant peur de se retrouver un jour en situation précaire. Dans cette enquête, 51% des jeunes sondés estiment qu’il y a "beaucoup de personnes pauvres en France", soit 11 points de plus qu'en 2012, et ils disent les reconnaître par trois critères précis : une personne pauvre dort dans la rue, n’a pas assez à manger et fait la manche. La preuve, s'il en fallait une, que les enfants côtoient au quotidien la précarité (dans la rue, dans le métro, à la télévision...) et ne sont pas indifférents à l'égard de ceux que le système a violemment ostracisé. 

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Quand on est parent, que dire à son enfant face à cette violence sociale ? "Certains parents achoppent sur les questions de leurs enfants sur les SDF dans la rue parce que ce tabou les touche eux-mêmes", constate le psychopédagogue Alain Sotto, contacté par LCI. Un tabou aussi fort que la maladie ou la mort, auquel se greffent d'autres stigmates comme la peur de l'autre ou d'être considéré comme un marginal dans une société de plus en plus uniforme. Seulement, tous ces raisonnements d'adulte ne sont pas forcément ceux de l'enfant, qui pose juste des questions par curiosité, par empathie aussi, et ne perçoit pas cette pauvreté de la même façon : "Il faut écouter l’enfant avec intérêt lorsqu'il remarque un SDF et ne comprend pas pourquoi il ne vit pas comme lui, dans une maison, conseille Alain Sotto. Mais il faut se contenter de suggestions pour contrer le possible sentiment d'abandon pouvant naître en lui, et répondre sans aller plus loin, sans chercher à fournir plus d'explications que nécessaire." En somme, jouer la carte de la réassurance avec "ses mots à lui", quitte à mettre en opposition la malchance du SDF et la chance de l'enfant d'être bien entouré de ses parents.  

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Ne pas s'apesantir inutilement

La question de la pauvreté est intrinsèquement liée à celle de l'argent qui, parfois, jaillit devant les enfants au cours d'une discussion entre deux parents. C'est là un problème plus important, susceptible de créer des angoisses durables chez les petits, selon Alain Sotto : "Face aux crispations d'un parent sur ce sujet, par exemple s'il dit qu'il n'a pas de sou pour payer tel manège, l'enfant va avoir tendance à traduire les ressentis", note-t-il. "Ainsi, si les parents parlent beaucoup de problèmes d'argent devant les enfants, ces derniers vont y penser plus souvent que les autres. Autrement, dans les faits, aucun enfant n'en fait état, ne vit avec cette crainte d'être pauvre comme une épée de Damoclès". 

Pour le psychopédagogue, ce rapport anxieux à la pauvreté chez des enfants relève avant tout de la responsabilité des parents, qui doivent faire attention à ne pas trop en dire, et "laisser l'enfant développer lui-même son esprit critique en l'amenant à réfléchir à une situation ou à une valeur". "J'ai un gros doute sur le fait que ce soit réellement intéressant pour un enfant de comprendre les rouages d'une crise économique, de saisir que l'on peut être déclassé socialement et se retrouver à la rue", ajoute t-il. "D’autant que l’enfant n’a pas les moyens d'agir, ce qui le frustrera. Une information qui ne débouche pas sur une action reste parasite, elle empêche de dormir." 

On n’expose pas des problèmes devant un enfant, à partir du moment où il ne peut rien y faire et ne pourrait que le subir, n’ayant pas les ressources pour les résoudre.

Alain Sotto, psychopédagogue et neuropédagogue

Inutile, donc, de s'appesantir en expliquant précisément les tenants et aboutissants d'une crise sociale et en distillant ainsi un climat anxiogène dans sa tête : "On n’expose pas de tels problèmes devant un enfant, à partir du moment où il ne peut rien y faire et ne pourrait que le subir, n’ayant pas les ressources pour les résoudre. C’est un peu comme les chaînes d’info : on reçoit les infos en flux mais que peut y faire le téléspectateur ?" "La jeune génération, concède toutefois Alain Sotto, est moins passive face aux injustices du monde actuel." Les résultats du sondage sus-mentionné révèlent certes en effet une angoisse mais témoignent aussi, et c'est positif, d'une prise de conscience du monde tel qu'il est. Permettant justement, plus tard, de l'affronter à la manière d'une Greta Thunberg.

Reste qu'un enfant peut malgré tout ne pas abandonner pas son obsession, rester marqué par cette vision d'un adulte dormant sur un trottoir, voir ses parents malheureux au quotidien (pour cause de chômage, par exemple) et craindre que cela l'atteigne intimement, lui comme sa famille. Que lui dire dans ce cas ? "Plus l’enfant est intelligent, plus il a de l’imagination, plus il peut nourrir des angoisse : de mort, de disparition, de perte d’argent. Face à cela, c’est au parent de rassurer. Exactement comme avec un enfant se disant triste à l’idée que son grand-père ou sa grand-mère meure : on le raisonne, on le ramène à l'instant présent, là où vivent les enfants. A quoi cela sert d’être angoissé sur quelque chose qui n’a pas lieu ?"


Romain LE VERN

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