MÉDICAL - L'antidépresseur sous forme de spray nasal a été présenté comme une "évolution majeure dans le traitement de la dépression". Mais depuis la délivrance de son autorisation de mise sur le marché aux États-Unis il y a quelques mois, le Spravato suscite la colère et l'inquiétude. Sa commercialisation est en effet accusée d'être due à la pression des lobbies... et de Donald Trump lui-même.
Il devait faire souffler un vent de révolution dans le traitement de la dépression. Il récolte finalement une tempête de critiques. En mars dernier, l'agence américaine du médicament (FDA) a approuvé la mise sur le marché du Spravato, un antidépresseur sous forme de spray contenant de l'eskétamine, une molécule censée soulager des patients adultes d'une dépression résistante aux médicaments actuellement disponibles, comme le Prozac. Mais depuis cette approbation, le médicament produit par le laboratoire Janssen, qui regroupe les activités pharmaceutiques de Johnson & Johnson, est visé par des accusations de conflit d'intérêt, impliquant Donald Trump. Celui-ci a en effet vanté les mérites de ce nouveau médicament et serait allé jusqu'à proposer à un haut fonctionnaire du ministère des Anciens combattants de l'aider à négocier pour acheter "des camions entiers" de Spravato, rapporte le Guardian. Trois des connaissances du président auraient par ailleurs conseillé le ministère et interagi avec Johnson & Johnson concernant les programmes dédiés aux anciens combattants en difficulté.
Les méthodes de la FDA, elles aussi, posent question. Elle aurait en effet, pointe l'enquête du Guardian, approuvé la commercialisation alors que deux des trois études cliniques dont elle disposait ne prêtaient au médicament pas plus d'effets qu'un placebo. Pour ce type de traitement, l'agence exige habituellement qu'au moins deux études soient concluantes. Alors que le laboratoire Janssen a déposé une demande de mise sur le marché auprès de l'Agence européenne des médicaments en octobre 2018, nous avons voulu en savoir plus sur le Sparato.
Des effets pas aussi mirifiques que ceux annoncés
Interviewé en mars dernier par l'AFP, le docteur Pierre de Maricourt, chef de service de l'hôpital Sainte-Anne à Paris qui a participé à deux des essais cliniques de phase 3 financés par le laboratoire Janssen, estimait qu'il s'agissait d'une "évolution majeure dans le traitement de la dépression". "Notre programme de recherche très complet sur l'eskétamine sous forme de spray nasal démontre un profil risques-bénéfices positif pour des adultes souffrant d'une dépression résistant aux traitements" actuels, indiquait de son côté Husseini K. Manji, responsable des thérapies dans le domaine des neurosciences chez Janssen. Selon le laboratoire, la molécule permet de combattre les pensées suicidaires avec une rapidité d'action jamais vue : contrairement à la plupart des antidépresseurs commercialisés actuellement, qui peuvent mettre plusieurs semaines avant d'avoir un effet, il ne faudrait à l'eskétamine que quelques jours pour agir.
Mais, rapporte le Guardian, six personnes traitée avec le Spravato durant les essais cliniques sont décédées. Il s'agissait pour trois d'entre elles de suicide. Aucun mort n'a été déclaré dans le groupe des participants ayant bénéficié d'un placebo. De plus, selon des psychiatres et chercheurs cités par le média britannique, les preuves tirées des essais cliniques ne démontrent pas qu'il est efficace chez les personnes de plus de 65 ans, voire même chez les hommes. Or, la population des anciens combattants compte 90% d’hommes et 52% ont plus de 65 ans.
Les effets secondaires de l'eskétamine, également utilisée comme une drogue euphorisante intensifiant les perceptions sensorielles, seraient enfin si importants qu'une administration de ce traitement ne peut se faire que sous surveillance médicale dans un cabinet correctement équipé pour répondre à de possibles hallucinations et problèmes respiratoires et cardiaques. Des somnolences et un sentiment de dissociation, de sortie de son propre corps, ont également été observés. Des complications qui obligent le patient à rester deux heures dans le cabinet du médecin, sous surveillance, et à ne pas prendre sa voiture pendant les vingt-quatre heures suivantes.
"Une arnaque" qui pourrait rapporter gros
Il y a un mois, le 17 mai, trois psychiatres ont publié une tribune sur Vice.com, affirmant que cet antidépresseur était "une arnaque", alors qu'une seule dose coûte 800 euros et que le médicament n'a pas montré plus d'effets qu'un placebo dans deux des trois études cliniques. Mais "le plus gros problème n'est pas le médicament en soi", ajoutaient-ils. "C’est le fait qu’au lieu de représenter une révolution dans le traitement de la santé mentale, comme cela avait été prétendu, l’eskétamine n’est pas du tout une avancée". Pour eux, il s'agit plutôt "d'un moyen pour le groupe pharmaceutique Johnson & Johnson de dégager des bénéfices importants sur les compagnies d’assurance crédules et les patients vulnérables." D'après le Guardian, le groupe pourrait en effet gagner plus de 500 millions d'euros grâce au Spravato d'ici 2022.
Le ministère américain des Anciens combattants doit se réunir cette semaine pour décider s'il investit effectivement dans ce médicament.
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