Femmes poignardées après un différend avec une automobiliste : quand circuler en voiture dans Paris rend fou

Publié le 17 décembre 2019 à 11h02, mis à jour le 17 décembre 2019 à 12h44
Femmes poignardées après un différend avec une automobiliste : quand circuler en voiture dans Paris rend fou
Source : iStock-

SELF-CONTROL - Un drame s'est produit lundi après-midi à Paris : deux jeunes femmes ont été poignardées par une automobiliste avec lesquelles elles venaient d'avoir un différend. Le docteur en psychologie Jean-Marc Bailet nous explique les ressorts de la "rage au volant" qui s'empare de plus en plus des automobilistes, surtout dans ce contexte de bouchons récurrents.

Bon nombre de personnes ont déjà été confrontées à des disputes mineures lors d'un embouteillage ou lors d'un refus de priorité, mais parfois, cette frustration et cette colère peuvent entraîner des conduites extrêmes, appelées "rage au volant" ou "rage routière" (en anglais : "road rage"). Des comportements qui peuvent être exacerbés en temps de grève des transports et de circulation difficile. 

Lundi après-midi ainsi, un drame s'est noué dans le VIIIe arrondissement de Paris entre une automobiliste, sa passagère et deux jeunes femmes qui venaient de traverser la rue devant son véhicule. Une source proche de l'enquête a indiqué à LCI que selon les premiers éléments de celle-ci, la conductrice, "visiblement pressée", n'avait "pas apprécié d'attendre et aurait dit quelques mots sur le ton de la colère à ces personnes. L'une d'entre elle a peut-être répondu, ou donné un coup sur la carrosserie de la voiture. L'automobiliste est alors sortie de son véhicule avec une arme blanche, sans doute un couteau, et a poignardé les deux personnes sous les yeux de sa fille, qui était côté passager. La fille aurait aussi porté des coups manu militari aux deux jeunes femmes."

Le terme de "rage au volant" a surtout été popularisé depuis quelques années par les nombreuses vidéos diffusées sur Internet après des altercations entre conducteurs. En juin dernier, une personne malvoyante et son frère qui l'accompagnait avaient été agressés dans une rue de la capitale par un automobiliste dont ils avaient tapé la voiture après s'être vus refuser la priorité à un passage piéton. La scène, filmée par un cycliste, était devenue virale en quelques heures et avait suscité de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux. Le chauffard en question, un Espagnol de 68 ans, avait ensuite été condamné à  2.000 euros d'amende dont 1.000 avec sursis et 18 mois de suspension de permis pour avoir menacé le piéton aveugle, ainsi qu'à deux amendes, de 750 euros pour violences sans ITT sur le frère jumeau de l'aveugle, qu'il avait giflé, et de 250 euros pour le refus de priorité. "Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, je me suis très mal comporté", avait déclaré à la barre le prévenu, contrit et demandant "pardon". "J'étais dans un état de colère". "Il me semblait que j'avais le temps de passer" sans marquer l'arrêt, avait expliqué ce retraité du bâtiment, ajoutant que le coup frappé sur sa voiture avait rendu son épouse nerveuse. 

Mais que se passe-t-il dans la tête de certains conducteurs pour en arriver à de telles situations ? Pour le savoir, nous avions interrogé, au moment de cette agression, Jean-Marc Bailet, docteur en psychologie du conducteur, et auteur de plusieurs guides sur les comportements au volant, dont le récent : "Les hommes pilotent... Les femmes conduisent !" (Editions L'Harmattan). "Cette scène, c'est de l'agressivité pure et dure, avançait tout de go notre spécialiste. Ce sont des comportements qui deviennent malheureusement communs, surtout à Paris. On n'a pas ça à Lyon ou à Marseille. Cela s'explique notamment par les difficultés de conduite dans la capitale, avec les nombreux travaux, les camions qui livrent, les deux roues qui se faufilent... Résultat, on a déjà enregistré 6 morts à Paris en cinq ans suite à des bagarres sur la route. Ce n'est pas un phénomène récent, mais c'est inquiétant de voir qu'il y a une montée en puissance de l'agressivité au volant".

Il faut considérer la voiture comme une pièce supplémentaire de son appartement ou de sa maison. Il y a dans la voiture tous les caractères de l'intimité.
Jean-Marc Bailet, docteur en psychologie du conducteur

Pour expliquer ces attitudes extrêmes, Jean-Marc Bailet insistait sur le fait qu'un véhicule n'est pas qu'un simple morceau de tôle avec quatre roues qui roulent sur le bitume. "Il faut considérer plutôt ça comme une pièce supplémentaire de son appartement ou de sa maison. Il y a dans la voiture tous les caractères de l'intimité. On n'accepte pas, par exemple, que quelqu'un passe la tête à l'intérieur de l'habitacle quand la fenêtre est ouverte; on n'accepte pas que quelqu'un se colle derrière notre véhicule, car il rentre dans notre espace d'intimité arrière; pour l'avant, on n'accepte pas que quelqu'un fasse une méchante queue de poisson. On peut rajouter que pour certains, la voiture c'est un peu comme une seconde peau, sans parler du côté érotique de la couleur et de la forme du véhicule", expliquait-il.

"Pour toutes ces raisons, cette affaire de coup de canne sur la voiture du chauffard, poursuivait le psychologue, c'est un peu comme si ce conducteur avait été frappé sur son propre corps. Quand on se sent agressé, il y a donc cette réaction naturelle de réagir. On hurle, on descend de sa voiture, on se bat avec l'intéressé et ainsi de suite. Mais ce qui m'interpelle, c'est que là il s'agit d'une personne vulnérable qui traversait sagement sur un passage piéton. On a d'ailleurs beaucoup d'accidents mortels à Paris sur les passages piéton". 

Un profil type ?

Pour autant, y-a-t-il un profil  type pour être sujet à la "rage au volant" ? "En fonction des circonstances, elle peut apparaître chez tout le monde. Ainsi, on peut avoir quelqu'un de parfaitement aimable dans la vie, un cadre bienveillant avec ses salariés, mais qui derrière son volant, devient un fou furieux, grossier et vindicatif. A l'autre bout de l'échelle sociale, on peut aussi avoir le cas de l'employé ou de l'ouvrier qui en bave avec un chefaillon sur le dos toute la journée, et qui une fois dans l'espace routier va enfin pouvoir rivaliser avec les autres dans une sorte de défouloir social. Et que l'on soit sur une moto, dans une voiture ou dans un camion, c'est la même chose", prévenait Jean-Marc Bailet. 

En revanche, notre spécialiste s'accordait à dire - ce que le fait divers de ce lundi à Paris ne vérifie pas - que le rapport aux risques est très différent selon que l'on est un homme ou une femme. "Les femmes ont un meilleur comportement pour gérer le stress au volant. Elles font preuve de beaucoup plus de patience. Un exemple : quand elles se trouvent à 150 mètres d'un feu qui vient de passer à l'orange, elles ont tendance à penser à s'arrêter, alors que les hommes, eux, se disent qu'ils vont quand même essayer de passer ! La femme joue donc un rôle important dans l'habitacle". 

"Cette différence de comportement s'explique en partie par l'éducation et les schémas que l'on impose aux enfants dès leur plus jeune âge, ajoutait le psychologue. Encore aujourd'hui, c'est aux petits garçons et non aux petites filles que l'on offre comme jouet des petites voitures. La voiture n'a donc pas la même symbolique selon que vous êtes un homme ou une femme. Pour l'homme, la voiture est un jouet qui sert à s'amuser, c'est quelque chose à laquelle on est souvent très attaché, qui forge une identité et donne une certaine stature. La conduite est un enjeu de fierté. Les femmes, elles, ont un rapport plus détaché à la voiture, et donc plus rationnel".

Parmi ses différents travaux sur le stress au volant, Jean-Marc Bailet rapportait par ailleurs avoir fait une expérience intéressante : après avoir disposé des capteurs sur la poitrine de conducteurs de 18 à 80 ans pour mesurer les écarts dans les battements du cœur, il avait constaté qu'une fois derrière un volant, celui ci s'emballe. Ce qui l'a amené à la conclusion suivante : "il est clair qu'on conduit avec ses yeux, mais aussi (et surtout ?) avec son cœur. Sans compter tout ce qui peut se passe dans la tête". Ainsi, sans s'en rendre compte, on aurait tendance à enchaîner un continuum de gestuelles : "d'abord, on grommelle ('sale con, tu mets ton clignotant pour tourner à droite et tu vas à gauche'), puis on parle, ensuite on ouvre la fenêtre et enfin on descend pour s'expliquer avec des mots de plus en plus forts".

Que faire pour enrayer cette mécanique, finalement si bien huilée ? Dans son livre, "Zen au volant, Guide du mieux conduire" (Editions L'Harmattan), Jean-Marc Bailet conseille d'abord de disposer sur le tableau de bord la photo d’un être cher (enfant, compagne, parents…) pour se ressourcer en cas de difficulté. Ensuite, de mettre, près du levier de vitesse, un objet fétiche : "En le touchant on reste en contact avec celui ou celle qui nous l’a offert". On peut aussi apporter dans sa voiture ses musiques préférées pour recréer une ambiance. Enfin, on n’oublie pas le pouvoir des parfums qui donnent une sensation de bien-être. Et si vous n'êtes pas tout à fait convaincu, sachez que des recherches récentes ont démontré que ce n'est en moyenne qu'à 42 ans qu'on acquière une certaine sagesse au volant. "C''est-à-dire qu'on se respecte soi-même, qu'on respecte les autres, mais aussi et surtout, qu'on respecte le code de la route". 


Virginie FAUROUX

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