LE POUVOIR DES COULEURS - Il est traditionnellement peu apprécié, mais on n'aura jamais autant entendu parler du jaune que ces dernières semaines. Comment le mouvement des Gilets jaunes donne-t-il un nouveau sens à cette couleur ? LCI a posé la question à deux spécialistes.
Personne n'avait vu venir le mouvement des Gilets jaunes, ou en tout cas n'avait imaginé qu'il prendrait une telle ampleur loin des syndicats et des partis. Pourtant depuis plusieurs semaines, il est au centre de l'actualité. Parti d'une page Facebook appelant à un blocage national contre la hausse du carburant puis d'une pétition en ligne, le mouvement s'est propagé à toute la France et les appels à manifester s'enchaînent. Et sa couleur emblème, ce jaune fluo qui saute si facilement aux yeux, s'affiche désormais partout.
A la base, le jaune, symbole de puissance comme de trahison, est pourtant une couleur très peu appréciée. C'est même "la plus détestée dans le monde", nous assure le designer Jean-Gabriel Causse, auteur de "L'étonnant pouvoir des couleurs" (éditions J'ai Lu) : "Ce n'est pas un hasard si les les Juifs ont dû porter une étoile jaune pendant la Seconde Guerre mondiale, si on considère que Judas était habillé en jaune et que cette couleur renvoie au fait d'être cocu". "C'est une couleur qui a évolué malgré sa mauvaise réputation, nuance toutefois Olivier Guillemin, directeur créatif et président du Comité français de la couleur. Etant la couleur de la Poste, elle a aussi été assimilée aux services publics. En cyclisme, elle représente également la victoire avec le fameux maillot jaune".
Lire aussi
Gilets jaunes : vers un acte 4 ?
Lire aussi
Gilets jaunes : les Français sont-ils solidaires ?
Lire aussi
Des stars au soutien des gilets jaunes
C'est le mouvement qui a donné une symbolique à la couleur
Jean-Gabriel Causse
Mais avec le mouvement des Gilets jaunes, cette couleur prend une tout autre dimension. Le jaune s'inscrit comme une "couleur d'appartenance", analyse Jean-Gabriel Causse, comme a pu l'être l'orange avec la "Révolution orange" en Ukraine, ou encore le rouge avec le 'Mouvement des bonnets rouges" en Bretagne. Le spécialiste des couleurs note d'ailleurs que ce n'est pas la première fois que le jaune fait son apparition dans les revendications politiques et sociales en France. En 1902, Pierre Biétry, député de Brest, avait en effet créé "La Fédération nationale des Jaunes de France". A l'époque, ce syndicat, dont les idées ont ensuite dérivé de plus en plus vers l’extrême droite avec la "défense du travailleur français", comptait plus de 100.000 inscrits.
En résumé, d'une façon générale, la couleur, dans un mouvement de contestation, permet de rassembler. Encore plus dans un mouvement qui se revendique sans chef à sa tête...
Dès lors, la perception du jaune évolue. "Quand on croise un gilet jaune dans la rue, ce n'est pas l'histoire du Judas ou autres que l'on voit, c'est celle de la France qui souffre, de la France délaissée", poursuit le designer. Mais, souligne-t-il, "c'est le mouvement qui a donné un sens à la couleur. Celle-ci ne fait que résumer le mouvement".
Et elle lui va comme un gant. "Avec cette couleur, si l'on ose dire, les Gilets jaunes s'affirment en quelque sorte comme 'les cocufiés de la République', ceux qui en ont marre de se faire duper par l'Etat", note Olivier Guillemin. Le jaune fluorescent, ajoute-t-il, "c'est aussi une couleur qui inspire la toxicité, qui fait mal aux yeux, une couleur qu'on n'est pas prête d'oublier". Exactement l'objectif des Gilets jaunes, qui ne veulent plus être ignorés.