Vaccins : ce que contient le contrat entre Pfizer et l'UE

Virginie Fauroux, Mathilde Verron et Corinne Ingold
Publié le 26 avril 2021 à 9h42

Source : TF1 Info

INFO TF1/LCI - Les accords conclus entre l'Union européenne et les sociétés pharmaceutiques pour acquérir des vaccins contre le Covid-19 sont pointés du doigt pour leur manque de transparence. Nous avons pu consulter l’un des plus importants d'entre eux : le premier contrat signé avec le laboratoire Pfizer/BioNTech.

Ils ont été conclus sous le sceau de la confidentialité, brassent des milliards d'euros et sont le maillon indispensable vers la sortie de crise du Covid pour des centaines de millions d'Européens : les contrats passés par l'UE avec les producteurs de vaccin suscitent la méfiance, sinon la colère tant l'omerta a régné sur leur contenu. TF1 et LCI ont pu consulter l'un d'eux, sans doute l'un des plus importants d'ailleurs, le premier contrat signé dès le 20 novembre entre Stella Kyriakides, la Commissaire européenne à la santé et Nanette Cocero, la patronne des vaccins Pfizer pour 200 millions de doses, assorties d'une option pour 100 millions supplémentaires - activée dès le 15 décembre. 

Un pari risqué pour l'UE

Au vu de l’enjeu, avec un vaccin utilisant une technique totalement nouvelle, l’ARN messager, chaque détail a son importance. Ce document ultraconfidentiel de 104 pages liste donc un certain nombre d’éléments à prendre en compte. Sont ainsi précisés les températures de conservation, le mode d’administration, les questions de dilution... et cela va jusqu'à définir les modes de livraison ou encore de packaging. Mais une fois ces aspects formels abordés vient le temps de la négociation. Car à l'époque l'UE joue gros, alors que le vaccin Pfizer/BioNTech est encore en phase 3 de développement. La Commission européenne accepte toutefois de prendre le risque que ce vaccin soit un échec, ou que le laboratoire n’obtienne pas d’autorisation de mise sur le marché pour son produit. 

La Commission reconnaît que les efforts du laboratoire pour développer et produire le vaccin sont audacieux par définition et donc sujets à des risques et incertitudes importants.
Extrait de l’Article I.6.7 Waiver

Mais elle demande en retour que le laboratoire fasse tout son possible pour développer son vaccin et le fournir à l’Union européenne, non seulement en utilisant des chaînes de production déjà existantes - il est d'ailleurs précisé dans le contrat que les premières livraisons au sein de l'UE devaient parvenir du site de Pfizer à Puurs, en Belgique - mais aussi en s’efforçant d’augmenter ses capacités de production.

Le laboratoire devra faire raisonnablement de son mieux pour construire des chaînes de production ou utiliser des chaînes de production existantes, afin de fabriquer et fournir à la Commission le vaccin, conformément aux clauses du contrat.
Extrait de l’Article I.5.2 Implementation of the APA

La Commission a également accepté de payer directement pour les États-membres une avance de frais de 700 millions d’euros (3,5 euros par dose), avant même l’autorisation de mise sur le marché, pour "sécuriser le volume commandé". Mais ce n’est qu’une partie de la facture. 

15,50 euros la dose

Après des documents révélés accidentellement à l'automne dernier par la secrétaire d'État belge Eva de Bleeker, on pensait que le prix du vaccin Pfizer/BioNTech avait été négocié à 12 euros, soit l'un des plus chers payés par Bruxelles, juste derrière la start-up Moderna. Mais en fait, le prix affiché dans ce premier contrat est encore plus élevé, à 15,50 euros la dose hors taxe. Mais c'est une moyenne. Dans le détail, les tarifs sont dégressifs : 17,50 euros les 100 premiers millions, puis 13,50 euros les 100 autres.

A l'époque, pour les potentielles commandes à venir, Pfizer avait prévu des tarifs différenciés pour inciter l’UE à commander au plus vite : 15,50 euros la dose si la commande était passée dans les trois mois suivant l’autorisation de mise sur le marché,  2 euros de plus si la commande tardait. A titre de comparaison, on est loin des moins de deux euros demandés par le britannique AstraZeneca qui a promis de ne pas faire de bénéfice sur son vaccin développé avec l'université d'Oxford, tant que durerait la pandémie.

(Ir)responsabilité du laboratoire

Le contrat stipule par ailleurs que les États-membres s’engagent à indemniser le laboratoire, ses filiales, sous-traitants, mais aussi ses directeurs, et employés en cas de poursuite à leur encontre pour tout dommage ou préjudice défini de la façon suivante dans le contrat : "décès, atteinte physique, mentale ou psychologique, maladie, infirmité, perte de propriété ou dommage à la propriété, préjudice économique ou cessation d’activité". 

Ainsi, si un citoyen européen venait à poursuivre en justice le laboratoire, l’État-membre en question pourrait avoir à prendre en charge les frais d’avocat de la firme par exemple. Sauf en cas d’erreur intentionnelle du fabricant ou défaut de qualité d’un produit.

Chaque État membre participant devra indemniser et dégager de toute responsabilité le laboratoire, ses filiales, sous-traitants, partenaires sous franchise, ainsi que ses dirigeants, directeurs, employés et autres agents et représentants de chacune de ces entités, en cas de plainte d’un tiers, relative aux dommages et préjudices, tels que définis par l’Article I.12.2, qui surviendrait lors de l’utilisation ou du déploiement des vaccins sur le territoire de l’État membre en question.
Extrait de l’Article I.12.1

L’inverse n’est pas vrai en cas d’action en justice contre un État-membre, et c’est précisé. Une absence de responsabilité justifiée plus loin par "le caractère sans précédent" de la situation et "les circonstances exceptionnelles" dans lesquelles doit être distribué le vaccin.

Malgré ces conditions drastiques, selon le géant américain Pfizer, les contrats signés avec l'UE constituent "en termes de volumes cumulés le plus important engagement conclu dans le monde à cette date" pour ce vaccin. La Commission vient d'ailleurs d'ouvrir de nouvelles négociations avec BioNTech et Pfizer pour commander 1,8 milliard de doses additionnelles - un troisième contrat - anticipant la vaccination de masse des enfants et les éventuels rappels nécessaires contre les variants actuels et futurs du coronavirus.


Virginie Fauroux, Mathilde Verron et Corinne Ingold

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