"J'ai vu une femme de 32 ans déjà opérée dix fois" : un spécialiste dénonce l'excès de chirurgie face à l'endométriose

par Charlotte ANGLADE
Publié le 2 mai 2019 à 12h18

Source : JT 20h WE

PROGRÈS - L'endométriose touche une femme sur dix. Cette maladie gynécologique est pourtant encore mal connue et mal traitée. Pour des milliers de patientes, l'opération chirurgicale est ainsi l'une des seules solutions proposées pour soulager (temporairement) leurs souffrances. Une situation intolérable pour le spécialiste de l'endométriose et chercheur à l'Inserm Charles Chapron.

La recherche se met enfin en ordre de marche contre l'endométriose. Après des décennies de désintérêt pour cette maladie, longtemps considérée comme bénigne car non mortelle, les chercheurs se mobilisent pour améliorer sa connaissance. Encore largement entourée de mystères, elle touche pourtant 10 % des femmes en âge de procréer.

Ce mardi 30 avril, les gynécologues, spécialistes de la reproduction, épidémiologistes et généticiens de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) se sont ainsi réunis devant la presse pour faire état de l'avancée des recherches et des pistes pour améliorer le diagnostic, la prise en charge et le traitement de l'endométriose. Une nécessité pour Charles Chapron, spécialiste de cette pathologie et chercheur au sein de l'Unité Inserm de l'Institut Cochin (Paris), qui souhaite voir réduire la place de la chirurgie dans le traitement de la maladie.

Nous avons des médicaments, les FIV et la chirurgie. Nous pouvons jouer toutes ces cartes.
Charles Chapron, spécialiste de l'endométriose et chercheur au sein de l'Unité Inserm de l'Institut Cochin

"J'ai vu la semaine dernière une femme qui, à 32 ans, s'est déjà faite opérer dix fois. Il faut arrêter ce parcours du combattant", clame-t-il auprès de LCI. "Le diagnostic de l’endométriose est synonyme de chirurgie immédiate et il faut changer ce paradigme." Celui qui est aussi chef du service de gynécologie chirurgicale à l'hôpital Cochin estime que le corps médical devrait davantage s'appuyer sur toutes les options possibles pour traiter l'endométriose, et non seulement sur la chirurgie qui peut consister à ôter un kyste ou encore les lésions d'endométriose.

"Ce n’est pas parce que vous retirez un kyste endométriosique que vous traitez l’endométriose. Chez certaines femmes, il faudrait peut-être voir si on ne peut pas plutôt privilégier le traitement médical puis, si elles le désirent, tenter de les aider à obtenir des enfants et ensuite, à nouveau si elles le souhaitent, leur retirer l’utérus", ce qui les guérirait de la maladie. "Nous avons des médicaments, les FIV [fécondations in vitro, ndlr] et la chirurgie. Nous pouvons jouer toutes ces cartes", insiste-t-il. 

Mais pour suivre un tel parcours et ne pas voir arriver des femmes dont l'absence de prise en charge ou de multiples opérations auraient mis en péril la fertilité, il est nécessaire de faire bouger les lignes dès le départ. Car, alors que "l’enseignement de l’endométriose lors des études de médecine prend une dizaine de minutes", selon Charles Chapron, il est nécessaire d'éduquer les médecins généralistes, mais aussi les mères, les pédiatres et les infirmières. "Il n'est pas normal qu'à cause de cette méconnaissance, une gamine de 14 ans rate l’école tous les mois quand elle a ses règles", martèle-t-il. Le gynécologue et ses confrères, qui préparent une publication dans la revue Nature intitulée Rethinking Endometriosis,  espèrent aussi voir une évolution rapide des mentalités, face notamment à des chirurgiens "qui ne sont pas forcément ravis de voir changer les pratiques". 

Qu'est-ce que l'endométriose ?Source : Sujet JT LCI

Les femmes atteintes d'endométriose appelées à la rescousse pour faire avancer la recherche

Pour améliorer la prise en charge et le diagnostic, il est surtout, et avant tout nécessaire de faire avancer la recherche. Le nombre d'études sur cette maladie est encore très faible, malgré une augmentation notable de leur nombre ces cinq dernières années en France comme à l'international, "très certainement sous l’impulsion du travail des associations de patientes", souligne auprès de LCI l'épidémiologiste et chercheuse à l'Inserm Marina Kvaskoff.

Quelles sont les causes de l’endométriose ? Comment améliorer la prise en charge, le traitement et le diagnostic ? Quelle est l’histoire naturelle de la maladie ? Est-ce que les lésions peuvent progresser ou pas ? Toutes ces questions, pourtant basiques, restent encore sans réponse. "Pour l’endométriose, on part un petit peu de zéro", affirme la chercheuse. Pour tenter de répondre à ces interrogations et mieux cerner la maladie, l'Inserm a ainsi créé il y a peu de temps une cohorte spécifique à l'endométriose sur la plateforme de recherche collaborative sur les maladies chroniques ComPaRe (Communauté de Patients pour la Recherche). "Les patientes vont être suivies sur plusieurs années. Elles peuvent vraiment être actrices de la recherche sur la maladie, qu’elles aient de l’endométriose ou de l'adénomyose [endométriose interne à l’utérus, ndlr.]", explique Marina Kvaskoff. En moins de six mois, plus de 8.000 femmes se sont déjà portées volontaires pour participer à l'étude. À terme, les chercheurs voudraient réunir de 15 à 20.000 participantes.


Charlotte ANGLADE

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