HORS DE CONTRÔLE - Vous l'avez sans doute remarqué et vous devriez de nouveau le faire sur la route des vacances : en voiture, on a tendance à se montrer beaucoup plus agressif que dans la vie de tous les jours. Mais pourquoi, au juste ? Tentatives de réponse avec le psychologue et expert des comportements sur la route Jean-Pascal Assailly.
"Tu as vu comme il me colle ?""Et celui-là, la queue de poisson, tranquille ?""Il s'est garé n'importe comment, attends que je lui raye sa voiture à celui-là"... Vous l'avez peut-être remarqué : quand vous prenez le volant, vous qui êtes plutôt de nature calme au quotidien, vous vous métamorphosez. Gestes déplacés, insultes... Le temps d'une conduite, vous devenez un autre. Et ce n’est pas qu’une impression. Une étude conduite par Vinci Autroutes établissait même début juillet 2020 qu'un conducteur sur cinq se jugeait "plus nerveux, impulsif ou agressif" que dans la vie quotidienne. Un chiffre qui grimpe à 28% en Ile-de-France, alors que 70% des automobilistes français reconnaissent qu'ils n'hésitent pas à insulter les autres usagers de la route. Soit le plus haut chiffre européen, partagé avec la Grèce, quinze points de mieux que la moyenne européenne (55%).
Un constat loin d'être nouveau, que a Sécurité routière avait tenté, à l'automne 2018, de contrecarrer dans une campagne visant à améliorer les comportements au volant, via des spots radio imaginant comment les choses se passeraient si l'on se comportait comme au volant lors d'un entretien d'embauche ou un repas de famille, et la diffusion d'un dessin animé, sur les réseaux sociaux et internet, mettant un scène un sage paresseux (l'animal).
Docteur Jekyll et Mister Hyde
Alors, pourquoi surréagit-on, dès que l’on claque la portière pour s'installer derrière son volant ? La voiture est-elle l’endroit où nous exprimons toutes les frustrations du quotidien ? Ou un objet dans lequel nous nous sentons tout puissant, désireux d’aller vite, d’être au-dessus des gens ? Dernier espace de liberté où nous pouvons laisser transparaître notre véritable personnalité ? Et bien, un peu tout ça en fait.
Ce qui est sûr, pour Jean-Pascal Assailly, psychologue, chercheur à l’IFSTTAR (Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux) et expert pour le CNSR (Conseil national de la sécurité routière), c'est qu'il y a effectivement une "dissociation" quand on passe derrière un volant. "Pour la grande majorité des gens, les comportements sur la route diffèrent du comportement dans la vie", explique à l'automne 2018 le chercheur à LCI. "Ils se permettent de faire des choses qu’ils ne feraient pas dans la vraie vie, dans la rue, sur les pistes de ski. Sur la route, on prend tous les risques, alors qu'on est prudent par rapport à son taux de cholestérol ou son compte bancaire."
On a transformé la voiture en un utérus
Jean-Pascal Assailly
La route génèrerait des attitudes différentes. Nous métamorphoserait. "La voiture est une machine à nous faire régresser, en nous faisant revenir à des réactions d’enfants, où l'on se sent maître du monde. C’est un stade de fonctionnement que l’on appelle chez le nourrisson la toute-puissance", décrit Jean-Pascal Assailly. "Le bébé est entièrement dépendant de son environnement pour sa survie, et est donc dans une position de toute puissance. C’est ensuite le travail de l’éducation de faire sortir l’enfant de cette toute puissance , en lui faisant prendre conscience d’autrui, en lui faisant intégrer les règles du monde social, de ses interdits, du vivre-ensemble."
Cet état régressif s’est, selon le psychologue, développé chez l'automobiliste à cause de l’évolution de la voiture, qui a individualisé les conducteurs. "Nos grand-père, dans leur deux-chevaux, n’était pas coupé des autres : il entendait tous les bruits du dehors, et avait une seule chose à faire, conduire. Son attention était dédiée à 100% à la conduite", détaille le chercheur. Petit à petit, sont apparus des autoradios, des GPS, des écrans, des vitres teintées... "On a créé une seconde maison, on a transformé la voiture en espèce de bulle ou d’utérus, dans laquelle les gens sont isolés les uns des autres. Ils n’entendent plus de bruit, ne ressentent plus les vitesses ni la présence d’autrui. Comme l’autre n’existe plus, on peut l’insulter, ou... le tuer. Plus on nous isole, plus on est tenté de faire n’importe quoi."
Du coup, quand les autres empiètent dans cette bulle, la sensation est la même que si quelqu’un rentrait chez vous, s’introduisait dans cet espace que vous estimez privé. D’où l’énervement. "L’évolution de la route et du trafic depuis une cinquantaine d’année joue aussi", complète Jean-Claude Assailly. "Les axes de circulations n’ont pas changé, alors qu’on y met dix fois plus de monde. Il y a 40 millions d'automobilistes. Cela génère un rapport territoire/frustration/agression, suscite des réflexes de l’ordre de l’animal : à partir du moment où l’on met trop d’humains dans un même espace, on augmente mécaniquement les phénomènes de frustration et donc d’agression. N’importe quel Parisien comprendra ce que je dis !"
Toujours de la faute de l'autre ?
Et le "dégoupillage" se fait d’autant plus facilement que la voiture est "l’un des derniers endroits où l’on peut se permettre d’être violent sans que cela soit perçu comme tel", développe le chercheur. "Quand on voit un règlement de compte dans la rue, cela nous touche, nous émeut, on supporte mal cette violence. Parfois on demande aux politiques de s’emparer du sujet. Mais en voiture, si quelqu’un vous colle, la sécurité routière aura un discours technicien, dira que c’est un non-respect des distances de sécurité."
Ironie de l’histoire, si chacun a donc tendance à réagir plus "animalement" sur la route, c'est par contre toujours de la faute de l'autre. Si l'on en croit toujours l’étude de l’Ipsos sur les comportements au volant, la quasi-totalité des conducteurs français (96 %) se décrit "vigilant", "calme", et "courtois". En revanche, les autres... Ce sont des "irresponsables", "dangereux", "agressifs", "stressés". De son côté, Jean-Pascal Assailly note une autre évolution récente, observée lors des stages de récupération de points : "Pour se justifier, les conducteurs ont beaucoup plus qu’avant tendance à mettre en avant le stress professionnel, lié à la précarité croissante du boulot, et la précarité croissante du couple." Mauvaise foi ? Ou vraie bonne excuse... ?
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