DÉCRYPTAGE - Selon les différents scénarios de déconfinement, une modélisation épidémiologique affirme que le Covid-19 pourrait faire 85.000 décès en France. Une étude prise "avec sérieux" par la Direction générale de la Santé, qui rappelle que le gouvernement veille à la protection de tous et peut ajuster sa stratégie "à tout moment".
Combien le Covid-19 fera-t-il de victimes en France ? Et quel serait ce bilan selon les stratégies de déconfinement adoptées par les autorités ? Une étude de modélisation révélée jeudi 30 avril par L'Opinion dresse un constat particulièrement alarmiste. Réalisé par Public Health Expertise, un cabinet français spécialisé dans la modélisation des risques sanitaires, le document, intitulé "Que donnera la stratégie actuelle du gouvernement ?", s'appuie sur les recherches d'une équipe d'épidémiologistes de l'AP-HP et de l'université américaine de Columbia University, agrémentées de données issues de l'Institut Pasteur.
D'après cette projection, qui se veut indicative, le déconfinement progressif, tel que proposé par le gouvernement à partir du 11 mai, pourrait avoir des impacts divers sur le nombre de décès en France. Plusieurs scénarios sont modélisés en fonction des courbes connues de la mortalité, de l'impact des mesures-barrières sur le risque de transmission du virus, de la capacité d'accueil en réanimation (14.000 lits) et, enfin, du taux d'immunisation (5,7%) calculé par l'Institut Pasteur. "C'est comme cela qu'on a compris le R0, l'impact de chaque interaction sur la transmission...", précise à LCI Martin Blachier, son auteur. "Le modèle fonctionne, colle à la réalité et permet de prédire l'impact des différentes mesures."
Une étude prise "avec sérieux" par la DGS
Ainsi, dans l'hypothèse d'un déconfinement sans "politique forte de gestes barrières", un retour "sauvage" à la vie d'avant le 17 mars, c'est-à-dire sans port obligatoire du masque, tests ni respect des gestes barrières, la mortalité s'envolerait avec près de 200.000 décès. Elle serait de à 165.000 décès dans l'éventualité d'un déconfinement, où la population serait dépourvue de masque. Enfin, en combinant tout l'arsenal à disposition (les tests, les gestes barrières et les masques), le bilan passerait à 85.000 morts. C'est la stratégie actée par le gouvernement pour sortir de la crise sanitaire actuelle. Toutefois, cela n'empêcherait pas que les services d'urgence et de réanimation arrivent de nouveau à saturation. Un possible reconfinement plus tard dans l'année ne serait pas non plus à exclure.
Une projection inquiétante avec laquelle le Pr Gilbert Deray, chef de service de néphrologie à l'hôpital de la Pitié Salpétrière à Paris, a pris ses distances. "Cela ne veut pas dire que ça va arriver. Cela veut dire : "regardez ce qui peut se passer si on ne fait rien", a-t-il déclaré jeudi sur LCI. Il a ainsi rappelé que, par le passé, d'autres modélisations sur d'autres épidémies ne s'étaient pas réalisées. C'était notamment le cas d'Ebola, maladie pour laquelle jusqu'à 2 millions de morts avaient été redoutés.
Contactée par LCI, la Direction générale de la Santé (DGS) prend "avec sérieux" cette étude. "L'objectif principal du gouvernement est bien évidemment d'éviter un tel scénario", indique-t-elle, même si "toute estimation est fondée sur de nombreuses hypothèses qui peuvent énormément évoluer car nos connaissances évoluent tous les jours." Et d'ajouter : "c'est dans ce contexte que le Premier ministre a annoncé que la décision de déconfiner ou non le 11 mai ne se fera que si les indicateurs sont au rendez-vous. Le confinement a permis de sauver 60.000 vies et de passer un pic épidémique. Le choix a été fait de progressivement rouvrir le pays, car le confinement ne peut être maintenu sans fin. En fonction de l'évolution des indicateurs, et avec l'affinement des modèles prédictifs, notre stratégie peut changer à tout moment."
Comment protéger les plus fragiles ?
Pour contrer une seconde vague dévastatrice, tant redoutée par les personnels soignants, l'étude modélisée préconise d'isoler les personnes les plus vulnérables "au-delà d'un certain âge et qui ont un certain nombres de risques, à savoir l'obésité, l'hypertension artérielle, une maladie chronique", soit 17 millions de personnes, explique le dirigeant de Public Health Expertise. Ces individus fragiles devraient être "surprotégées" pendant 38 semaines, ce qui nous ramènerait au 8 février 2021, affirme l'étude. Un scénario d'ores et déjà écarté par Emmanuel Macron, qui souhaite "pas de discrimination des aînés".
"Si vous ne respectez pas cette période donnée, vous allez avoir un virus qui va re-circuler dans une population vulnérable. Vous allez avoir ce qu'on a déjà eu sur la précédente vague. Les services hospitaliers vont se re-remplir de gens qu'on savait vulnérables et qu'on a "choisi" de ne pas protéger", affirme de son côté Martin Blachier. "Ce n'est absolument pas le "tracing", le découpage en départements ni même les masques qui vont empêcher le virus de circuler à nouveau dans la population et de toucher les gens fragiles. Il faut bien le comprendre. J'aurai aimé que ce soit le cas, mais cela ne suffit pas."
Tout est mis en place pour équiper (...) et protéger l'ensemble de la population
La Direction générale de la Santé à LCI
Un scénario dégradé, avec "75% des plus fragiles (ce qui représenterait tout de même 12 millions de personnes)" protégés selon l'étude, aurait l'avantage de permettre au système hospitalier de traverser la crise sanitaire sans être poussé à bout. "Si on en vient à mettre cette population vulnérable en dehors de la circulation du virus, il ne se passera plus grand-chose. Et quand l'immunité de groupe sera constituée dans la population peu à risques, celle avec plus de facteurs de risques va pouvoir ressortir. Elle sera protégée parce que le virus ne circulera plus", assure Martin Blachier. "Vous n'avez plus de saturation des services et vous avez un pays qui peut repartir. Vous avez 75% de la population qui peut revivre comme avant. Il n'y a pas lieu de l'empêcher de reprendre une activité. C'est vraiment la stratégie gagnante pour le social et l'économie, gagnante pour le sanitaire et les conséquences en termes de mortalité."
Ce à quoi la direction générale de la Santé répond que "tout sera mis en place" pour que les plus vulnérables "soient équipés, tout comme le reste de la population" pour faire face au virus, une fois déconfinée. "Après le 11 mai, ce sera l'action de chaque citoyen qui permettra ou non de réussir ce déconfinement. Chaque Français, à travers le respect strict des gestes barrières, le port de masque, la distanciation, aura le pouvoir de lutter contre l'épidémie, et éviter un nouveau pic. Nous comptons sur le civisme et la responsabilité de tous les citoyens, et notamment les plus fragiles. Tout est mis en place pour protéger l'ensemble de la population." Et, ainsi, éviter une seconde vague meurtrière.
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