SANTÉ - Lors de l'examen du projet de loi bioéthique, les députés ont voté l'interdiction de la technique du DPI-HLA, dite du "bébé médicament". Nelly Frydman, biologiste de la reproduction, a mené les expérimentations en France entre 2009 et 2014 à l'hôpital Antoine Béclère à Clamart. Déçue de cette décision, elle regrette une législation "hypocrite" sur le sujet.
Jusque tard dans la soirée, le Professeur Nelly Achour Frydman, responsable de la biologie de la reproduction - CECOS de l'hôpital Antoine-Béclère à Clamart, a suivi les débats sur le projet de loi bioéthique à l’Assemblée Nationale. Puis est arrivé le moment du vote, et la déception. "La technique du DPI-HLA, dite du "bébé-médicament" n'est désormais plus autorisée. L'article du code de la santé publique qui l'autorisait est abrogé" a récité une voix mécanique à 22h30 passé, ce lundi 7 octobre.
Dix ans plus tôt, Nelly Frydman et une petite dizaine de généticiens et obstétriciens des hôpitaux Béclère et Necker lançaient les premières tentatives françaises de ce remède, désormais interdit. La technique du DPI-HLA, elle préfère appeler cela le bébé “double espoir”, consiste à avoir un enfant en bonne santé afin de guérir un précédent enfant malade.
En France, certains s'opposent à la technique
Mise au point aux Etats-Unis - "bien plus en avance que nous sur le sujet" selon Nelly Frydman - la technique doit permettre la guérison d’un enfant atteint d’une maladie génétique. Le plus souvent, ce sont des formes graves de Drépanocytose, Thalassémie, anémie de Fanconi ou de certains déficit immunologiques. Les parents dont l’aîné est malade sont accompagnés pour avoir un second enfant, conçu in vitro pour s’assurer qu’il ne porte pas la même maladie et qu’il est immuno-compatible avec son frère ou sa sœur. A la naissance, le corps médical récupère le sang du cordon ombilical, normalement jeté, et y prélève des cellules souches qui sont ensuite greffées sur l’enfant atteint. L’opération lui permettant de générer de nouvelles cellules sanguines, l’aîné guérit. Le nouveau-né lui, ne subit aucun geste intrusif, "ni même une prise de sang, rien", tient à rappeler le professeur.
Autorisée et largement développée à l’étranger, la technique dérange en France pour des questions éthiques. Les autorités redoutent l"instrumentalisation" d’enfants conçus "non pas pour eux-même mais au bénéfice d’un tiers". Plusieurs députés ont ainsi motivé l'interdiction par leur crainte qu’un enfant soit désiré pour sa seule capacité à guérir son frère ou sa soeur malade, et non pas désiré pour sa propre existence.
C’est hypocrite de croire que des parents dont l’enfant est malade ne vont pas concevoir le suivant en espérant qu’il soit compatible
Nelly Frydman, responsable de la biologie de la reproduction de l'hôpital Antoine-Béclère à Clamart
"C’est totalement hypocrite de croire que des parents dont l’enfant est terriblement malade ne vont pas concevoir le suivant en espérant tout au long de la grossesse qu’il soit compatible, de croire qu’ils ne seront pas déçus à la naissance s’il ne l’est pas. Le principe est le même, mais personne ne s’inquiète puisqu'il naît de grossesse naturelle, c’est ridicule", regrette Nelly Frydman. Si elle peut l’affirmer sans ciller, c’est que des couples dans cette situation, elle en a vu un grand nombre. "Si on ne les aide pas avec une PMA encadrée, ils feront plusieurs enfants naturellement dans le même but", assure-t-elle. "C’est même ce qu’on nous a appris à l’école : dire aux parents de faire un second enfant, de passer un simple test prénatal pour s’assurer qu’il ne soit pas malade, puis espérer. On ne se préoccupe pas une seconde de savoir s’ils en ont envie, s’ils ont un projet d’enfant ou comment ils vont l’accueillir".
18% de chance que cela fonctionne
Or voilà : l’embryon a 75% de chance de ne pas être porteur de la maladie de l'aîné et 25% de chance d’être immuno-compatible avec lui. "Vous arrivez à 18% de chance que ça fonctionne", conclut Nelly Frydman. "Lors de la conception in vitro, les probabilités sont les mêmes, mais idéalement, les embryons non compatibles ne sont pas implantés". Idéalement, car l’agence de la biomédecine ne l’a jamais permis. En 2004, le double diagnostic préimplantatoire (DPI) a été autorisé en France à titre expérimental, mais avec des conditions.
"Pour préserver l’idée que les parents n’allaient pas créer un enfant remède, on nous a obligé à leur faire signer des clauses de consentement. Ces attestations certifiaient que si on arrivait à développer un embryon sain, mais non compatible, ils l’accepteraient. Et que s’ils refusaient l’implantation, on ne recommencerait jamais une autre tentative", raconte Nelly Frydman. Avec le recul, elle s’estime "un peu naïve" de s’être lancée dans l’aventure en croyant que c’était un bon compromis. Très vite, la situation est frustrante à la fois pour les médecins, accusés de chantage, et pour les parents. "Bien évidemment que leur objectif premier était de sauver leur enfant et personne ne peut leur reprocher ça, personne. Alors ils signaient, mais ils espéraient".
25 couples candidats : 3 greffes réussies
Sur les 38 couples autorisés par l’Agence de biomédecine (ABM) à avoir recours à cette technique, certains ont renoncé, d’autres ont réussi à lancer des grossesses spontanées. Au final, 25 couples ont été pris en charge par les hôpitaux Antoine Béclère - Necker. A partir de ces 25 couples, c'est "222 embryons prélevés, 208 pour lesquels on a eu un diagnostic sûr, 111 atteints de la maladie génétique", énumère Nelly Frydman, replongée dans ses chiffres. "Sont restés 97 embryons sains, et seulement 11 compatibles".
Pour les couples ayant uniquement eu des embryons sains mais non compatibles, l’expérience s’arrêtait là. "On a fait 27 transferts d'embryon. Le jour de l’insémination, on avait l’impression de les emmener à l’abattoir", se rappelle-t-elle en s'excusant des termes employés. "Alors qu’à l’étranger, les équipes proposent de les congeler ou les détruisent, et recommencent jusqu'à avoir des embryons répondant aux deux critères", explique la praticienne, persuadée que c’est la bonne solution.
Le 26 janvier 2011, né finalement Umut-Talha, le premier "bébé double espoir" de France. Sa sœur Asya reçoit une greffe l’année suivante et guérit, la famille fait les gros titres. "Puis on s’est rendu compte qu’on avait de moins en moins d’embryons sains et compatibles", rapporte la biologiste. En comptant celle de la petite Asya, seules trois greffes d’enfants malades ont pu être réalisées grâce aux enfants nés de la technique DPI-HLA.
"La PMA connaît une ouverture sociétale, mais un appauvrissement médical"
L’utilisation de cette technique a cessé en 2014. "Suite à une PMA, un enfant sain mais non compatible est né, et deux mois après, son frère est mort", confie Nelly Frydman. Persuadées que si d’autres embryons avaient pu être développés, l’histoire aurait pu être différente, les équipes accusent le choc et décident d’ arrêter tant que les conditions législatives ne changent pas. Malgré leur demande auprès de l’ABM, tout est au point mort pendant des années. Aujourd'hui, alors que la France est le seul pays à interdire la pratique, la professeure a un sentiment de gâchis : "La PMA connaît une ouverture sociétale, mais un appauvrissement médical. Ce qui n'est pas éthique, c'est de s'attaquer à des maladies rares qui concernent un faible nombre de patients".
Pour compenser l'interdiction, la collecte et le stockage des unités de sang placentaire pourraient être améliorées dans les prochains mois. Mais pour Nelly Frydman cela ne suffira pas. "Entre un frère compatible et un étranger compatible, l’efficacité n’est pas la même". Un avis partagé par le rapporteur Jean-François Eliaou (LREM), qui a plaidé lundi soir pour le maintien de cette technique représentant "la seule possibilité pour traiter certains patients".
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