Les livres qui proposent de "vaincre le Covid" via des médecines alternatives sont-ils légaux ?

Publié le 10 juin 2021 à 21h31
Divers ouvrages étaient proposés lors de cette "université citoyenne" à Avignon.
Divers ouvrages étaient proposés lors de cette "université citoyenne" à Avignon. - Source : Capture écran Twitter

RÉGULATION - En marge de l'épidémie, des médecins "alternatives" sont parfois plébiscitées par des opposants aux autorités sanitaires et à la médecine moderne. En matière de littérature et de santé, il n'est pour autant pas possible de tout écrire.

Il y a quelques jours du côté d'Avignon, une "université citoyenne" s'est déroulée à l'initiative d'un collectif nomme Convergence Citoyenne Du Sud. Une manifestation derrière laquelle on retrouvait d'anciens gilets jaunes, et qui a également rassemblé certaines figures du mouvement anti-vaccins. Le Dr Louis Fouché par exemple, mais également Francis Lalanne, accusé de violence à cette occasion par une équipe de "Quotidien".  

Le journaliste de France Télévisions, Julien Pain, était également présent, allant à la rencontre des participants pour connaître leurs motivations et la nature de leur mobilisation. Faisant figure d'intrus avec son masque, il a échangé avec des personnes opposées aux mesures sanitaires ou aux vaccins, déplorant la "dictature sanitaire" qui nous serait imposée depuis plus d'un an. Lors de ce rassemblement, il a partagé quelques images d'un stand où étaient vendus divers ouvrages. "Pasteur l'imposteur ?" ou encore "Vaincre le Covid-19 et autres virus par la médecine traditionnelle chinoise", étaient proposés à la vente aux citoyens présents. "L’éditeur m’explique qu’il se sent en danger à cause d’autres livres qu’il a publiés", a relaté le journaliste. Des ouvrages qui interrogent sur ce qui est (ou non) publiable en matière de santé. 

Une liberté d'expression qui peut se heurter au droit

La santé, par nature, se révèle un sujet sensible. S'il peut sembler assez inoffensif de publier quelques conseils de grand-mère contre des maladies bénignes dans un livre, on peut toutefois se demander si tout un chacun peut délivrer à grande échelle des recommandations médicales. Proposer dans un ouvrage de soigner des pathologies graves par des médecines alternatives pourrait en théorie se révéler dangereux, en particulier si cela conduit des patients à se détourner de traitement éprouvé qui pourraient augmenter leurs chances de guérison. 

Pour en savoir davantage sur les règles qui entourent le milieu de l'édition dans le domaine de la santé, LCI a sollicité la Direction générale de la santé (DGS). Elle note en préambule que "le principe qui prévaut est celui de la liberté d’expression et en l’occurrence la liberté de publication". Dès lors, "il n’existe pas de contrôle a priori de la mise sur le marché d’un ouvrage quels qu’en soient le contenu et l’objet". Un principe clair, bien qu'il convienne "toutefois de vérifier la qualité de l’auteur de l’ouvrage en cause". 

Un auteur, "s’il n’est pas médecin ou professionnel de santé, peut-être réprimé l’exercice illégal de la médecine en application de l’article L. 4161-1 du code de la santé publique", poursuit la DGS. Par le passé, "il a été jugé qu’un ouvrage préconisant, pour certaines affections déterminées, une thérapeutique précise nécessitant un appareil vendu par l'auteur, et dont l'application est contrôlée au cours de visites au moyen d'un 'carnet de visite' constituait un cas d’exercice illégal de la médecine".  Et de citer une décision de la Cour de cassation datant du 7 mars 1973. "L’arrêt précise que l’article du code de la santé publique ' implique toujours un rapport individuel entre le soignant et un malade déterminé'. Notons que "pour qualifier un exercice illégal de la médecine", il faut que "l’auteur de l’ouvrage ou de la brochure entretienne des relations individuelles avec son lecteur".  Soulignons par ailleurs que le fait d’inviter ses clients à cesser le traitement prescrit par leurs médecins traitants est un cas de participation à un acte de traitement qui revêt la qualification d’exercice illégal de la médecine.

Si l'auteur de l'ouvrage est médecin, "il doit non seulement en faire état dans son ouvrage, mais respecter les obligations déontologiques qui s’imposent à lui, sous peine de poursuites devant les instances disciplinaires ordinales", ajoute la DGS. "Ainsi ne peut-il pas vanter des techniques qui ne sont pas scientifiquement éprouvées ou dissuader des personnes de suivre les traitements qui sont nécessaires à leur prise en charge."

Dans les deux cas, il faut signaler que "l’auteur d’un ouvrage vantant des traitements pourrait également être poursuivi pour mise en danger de la vie d’autrui, sur le fondement de l’article 223-1 du code pénal". Pour qu'une telle infraction soit caractérisée, il faudra prouver "que la personne ait été exposée 'directement à un risque immédiat de mort ou de blessure' du fait de la violation d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement'. Elle ne pourra être caractérisée tant que l’auteur de l’ouvrage n’incite pas les clients à se détourner de la médecine conventionnelle et des traitements prescrits par leurs médecins traitants." Lorsque l'on transmet à la DGS les références des ouvrages présentés à Avignon, elle estime que s'ils "restent dans les généralités, la circonstance qu’il soit utilisé par des personnes opposées aux vaccins ne rentre pas dans les critères susmentionnés, dès lors par ailleurs que la vaccination anti-covid n’est pas obligatoire".

Une auteure vendue à Avignon se dit "surprise"

LCI a réussi à joindre Angelina Jingrui Cai, auteure de "Vaincre le Covid-19 et autres virus par la médecine traditionnelle chinoise". Elle n'était pas au courant que son livre, paru en juillet 2020, était présent parmi ceux vendus lors de "l'université citoyenne", et partage sa "surprise" en voyant qu'il est relayé dans une sphère anti-vaccins. Elle explique avoir pensé cet ouvrage dans une période où "à l'arrivée du Covid, plein d'établissements ont été sous tension". À défaut d'une prise en charge, ajoute-t-elle, des "produits alimentaires peuvent nous aider". Et de citer "des infusions de citronnelle", la "peau d'orange séchée" ou encore les "bâtons de réglisse". 

Au téléphone, elle confie qu'à ses yeux, l'idéal se trouve dans "un mariage entre médecine traditionnelle chinoise et médecine occidentale". Et estime que pour lutter contre certains symptômes (voies respiratoires encombrées, fièvre), il est utile de se tourner vers les plantes "quand les gens n'arrivent pas à être soulagés". En cas de symptômes graves, "il faut contacter les médecins, les secours", tranche-t-elle.

Auto-entrepreneuse, elle se désole que la Sécurité sociale ne reconnaisse pas officiellement la médecine chinoise. En conséquence, elle n'est pas répertoriée à l'Ordre des médecins et n'est pas tenue aux mêmes obligations. Puisqu'il ne vise pas à détourner les patients atteints du Covid d'une prise en charge plus "conventionnelle", cet ouvrage n'a en principe aucune raison de voir sa diffusion perturbée. Elle est d'ailleurs effectuée via de grandes plateformes en ligne. 

Si des livres venaient à prôner des traitements inutiles en invitant les patients à s'opposer à des prises en charge par des professionnels reconnus de santé, la DGS confirme que le droit pourrait mettre en avant un exercice illégal de la médecine et/ou une mise en danger de la vie d'autrui. Et pourraient ainsi valoir aux auteurs et éditeurs des poursuites. 

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Thomas DESZPOT

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