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Les propos d'une dirigeante de Pfizer prouvent-ils que le pass sanitaire a été instauré sans fondement scientifique ?

Publié le 12 octobre 2022 à 18h54

Source : Sujet TF1 Info

Les déclarations d'une responsable de Pfizer sont relayées en masse parmi les opposants à la vaccination et aux mesures sanitaires.
L'absence d'études préliminaires sur la transmission prouverait, selon ses mots, que le pass sanitaire n'avait aucun fondement scientifique.
Un raisonnement trompeur, qui fait notamment abstraction des résultats d'études en vie réelle.

L'actualité est dominée par le conflit en Ukraine, mais les questions relatives au Covid continuent de susciter des débats intenses. On l'a encore observé ces derniers jours sur les réseaux sociaux, à la suite d'une audition devant les instances européennes de représentants de l'industrie pharmaceutique.

"Janine Small, présidente chez Pfizer, vient d'avouer que leur vaccin n'avait jamais été testé sur la transmission du Covid", peut-on lire. Ainsi, "les pass sanitaires n'ont jamais eu aucune base scientifique", assurent les militants opposés aux mesures mises en place par les gouvernements pour lutter contre l'épidémie. Il s'agirait d'un "nouveau scandale", si l'on en croit le député Nicolas Dupont-Aignan. Si la séquence partagée en ligne est authentique et récente, l'analyse qui en est faite se révèle biaisée et trompeuse.

Des études en vie réelle à grande échelle

La vidéo qui s'est propagée sur les réseaux sociaux date d'il y a quelques jours seulement. Le 10 octobre, des représentants de l’industrie pharmaceutique étaient invités à venir échanger avec les eurodéputés à Bruxelles. Leur point commun : avoir "travaillé sur le développement de vaccins et de thérapies durant la pandémie". Cette audition s'est tenue devant la commission spéciale du Parlement sur le Covid-19 (COVI) et a été filmée, d'où la diffusion d'extraits au cours des jours qui ont suivi.

La femme mise en avant dans l'extrait se nomme Janine Small, elle est interrogée en tant que présidente des marchés internationaux développés chez Pfizer. Au cours des échanges, elle indique en effet que la firme, lorsqu'elle a mené des essais cliniques pour démontrer l'efficacité de son vaccin, n'a pas cherché à savoir si une vaccination induisait une réduction des risques d'infection. Faut-il pour autant y voir un quelconque "scandale", comme l'assurent certains ? Non, rétorque à TF1info l'immunologiste Stéphane Paul, par ailleurs membre de la Commission technique des vaccinations de la HAS. "La communication de Pfizer est cohérente", assure-t-il, "puisque les essais cliniques n'étaient pas mis au point pour vérifier la transmission". Pour l'entreprise, "comme d'ailleurs pour Moderna et les autres, l'objectif clinique était de mettre au point un vaccin qui protégeait des formes symptomatiques 15 jours après la 2e dose."

Lorsque les autorités sanitaires en charge des médicaments ont autorisé les vaccins en Europe, c'est bien leur capacité à réduire de façon significative les formes graves qui a été jugée. Ce n'est que par la suite, lorsque les populations ont commencé à être massivement vaccinées, que l'impact sur la transmission a été mesuré. Les chercheurs ont réalisé, partout dans le monde, des études dites "en vie réelle". Ces dernières ont permis de constater que les vaccins parvenaient à diminuer non seulement les cas graves, mais aussi la transmission du virus. En l'espace de quelques mois, "on a observé un consensus scientifique sur le fait qu'il y avait une réduction de la transmission", tranche Stéphane Paul. L'expert note que si "les chiffres sont inférieurs à ceux de la réduction des formes graves, ils restent intéressants malgré tout". Depuis le début des campagnes de vaccination, assure-t-il, "nous disposons de données prouvant cette protection contre l'infection. Elle n'est pas parfaite, mais mieux vaut 40% ou 50% de risque en moins que rien du tout !"

De nombreuses études, relayées en 2021, faisaient état des observations scientifiques en la matière. L'Institut Pasteur concluait par exemple que "les personnes non vaccinées" contribuaient "de façon disproportionnée à la transmission", ce qui traduisait en négatif l'impact positif des vaccins via leur capacité à réduire les contaminations. Plus récemment, la HAS a mis en avant le fait que "les données en vie réelle montrent qu’une dose de rappel est efficace pour réduire à la fois la transmission et le risque de forme grave, quel que soit l’âge", justifiant à ses yeux une dose de rappel. 

Il convient toutefois de rappeler, comme le fait l'immunologiste Stéphane Paul, que cette protection des vaccins contre l'infection diminue avec le temps et qu'elle n'est pas infaillible. L'arrivée de nouveaux variants (Delta, Omicron...) peut également changer la donne et multiplier les cas chez des personnes vaccinées. Les experts le reconnaissent volontiers : "Avec les vaccins, vous pouvez malgré tout attraper le virus et développer une forme légère. Nous avons tous, autour de nous, des exemples de gens triplement vaccinés qui ont été contaminés. Mais ne négligeons pas dans le même temps tous ceux qui ont évité une infection grâce au vaccin, alors même que des gens dans leurs foyers, au sein de leur famille, avaient attrapé le Covid."

Le pass sanitaire au service de plusieurs objectifs

Dans sa communication, le gouvernement a mis en avant une réduction des contaminations pour justifier l'instauration d'un pass sanitaire. "Dire que se faire vacciner diminue le risque d'être infecté, aujourd'hui encore, ça reste vrai", tranche Stéphane Paul, "et ce n'est pas l'industrie pharmaceutique qui le revendique." Le spécialiste fait aussi remarquer que le pass instauré par les autorités poursuivait d'autres objectifs, à commencer par une réduction des cas graves et de l'engorgement du système de santé.

La dimension contraignante du pass, indispensable pour se rendre dans certains lieux, devait aussi remplir une autre mission : convaincre un maximum de Français de se faire vacciner. L'impact a été significatif puisque le rythme des injections s'est accru à la suite de l'annonce de sa mise en place. Durant les mois qui ont suivi, les conséquences en matière de santé publique ont été scrutées avec attention. Le chercheur de l'Institut Pasteur Simon Cauchemez, contacté par TF1info, renvoie sur ce sujet à une étude parue dans la revue Nature. Celle-ci montre qu'en France, les "certificats COVID – attestant d'une vaccination, d'une guérison ou d'un test négatif récent" ont contribué encourager la vaccination et, par extension, à sauver des vies. Les chercheurs évaluent à environ 4000 le nombre de décès évités entre juin et décembre 2021 grâce à l'instauration des pass dans l'Hexagone.

En résumé, il est donc trompeur d'assurer que le pass sanitaire a été déployé sans le moindre fondement scientifique. Si les laboratoires pharmaceutiques ne s'intéressaient pas à la transmission du virus lors des essais cliniques, les essais en vie réelle ont rapidement permis de constater que le vaccin réduisait partiellement les risques de transmission. Cette protection contre l'infection n'est pas parfaite ni durable dans le temps, mais il faut aussi rappeler que les vaccins n'ont pas été développés afin d'empêcher les individus d'attraper le virus. Leur but premier a en effet toujours été de diminuer de manière majeure les formes graves, susceptibles d'entraîner hospitalisations et décès. 

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Thomas DESZPOT

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