Ma vie après... avoir retrouvé l'audition : "Ça me permet de vivre à nouveau"

par Mathilde ROCHE
Publié le 24 mars 2019 à 18h41, mis à jour le 28 mars 2019 à 13h45
Ma vie après... avoir retrouvé l'audition : "Ça me permet de vivre à nouveau"
Source : Maxime Rinna

TÉMOIGNAGE - Pour surmonter le handicap, les nouvelles technologies sont de plus en plus performantes. Maxime, 55 ans, a souffert de graves problèmes d'audition ces dix dernières années. Désormais "implanté cochléaire", cet ancien sourd raconte son parcours depuis ses opérations, qui lui permettent d'entendre et de vivre à nouveau.

Pendant près de dix ans, Maxime a connu la surdité et la "malentendance". Aujourd'hui, il peut tenir une conversation au téléphone, aller au cinéma et écouter de la musique. Si ce quinquagénaire lyonnais mène à nouveau une vie "normale" grâce à la technologie, cela n’a pas été sans mal : dépression, rejet du handicap, une prothèse, deux implants et des années d’orthophonie ont ponctué son long parcours pour retrouver l'audition.

La surdité, la malentendance, et enfin, l'opération

En 2009, Maxime, 45 ans, cadre dans une grande entreprise d’informatique, sans problèmes de santé ni antécédents médicaux, perd l’audition en une nuit. "Ça s’appelle la surdité idiopathique, ça porte bien son nom !", plaisante l’intéressé. Au réveil, la cochlée interne est détruite sans que l'on ne sache pourquoi, le silence est total. Le choc pour le cerveau est tel que des acouphènes invalidants apparaissent. "Un bruit de machine à coudre, comme si on allumait soudainement la télé avec le son au maximum, pendant une minute, puis de nouveau, plus rien, pas un son", décrit-il. Une situation qui le rend fou. Mis en arrêt maladie, Maxime sombre dans la dépression.

Mais trois mois plus tard, l’espoir : l’oreille gauche a retrouvé 30% d’audition. "Pas grand chose, mais on se dit que c’est mieux que rien, on a pu mettre une prothèse." Une prothèse auditive, qui capte le son ambiant et l’amplifie pour le rendre audible pour l’oreille interne. Cela lui permet de reprendre le travail, à un autre poste proposé en interne par son entreprise. "J'ai été sauvé par mon patron", reconnait Maxime. Mais tout est plus compliqué, de son rapport aux autres au travail, à son rôle de père de famille. "Je ne faisais aucun progrès", explique-t-il. "Ça ne me convenait pas. Sept ans de malentendance vous imaginez ? Je n'en pouvais plus".

En 2016, il amorce la conversation avec son médecin. Après une batterie de tests pour vérifier l’état du nerf auditif et évaluer les bénéfices attendus, Maxime peut enfin prétendre aux opérations d’implants cochléaires.

Implants cochléaires, une nouvelle ouïe à apprivoiser

Oticon Médical

L'opération est délicate, car l'implant cochléaires est en plusieurs parties. Il y a deux appareils à l'extérieur, et un implant électroniques - placé entre la boite crânienne et le cuir chevelu - qui s'enfonce dans le conduit auditif. Le tout est relié par un aimant, à travers la peau. L'appareil externe posé sur l'oreille enregistre le son et le numérise. La seconde partie externe agit comme une antenne et transmet le son numérique à l’implant. Une fois réceptionné, ce son est transformé par l'implant en signaux électriques, envoyés dans des électrodes insérées dans la cochlée. Le nerf auditif, stimulé par les électrodes, envoie alors ces signaux au cerveau, où ils seront traduits en informations !

Comme l'explique Catherine Daoud, présidente du Centre d'Information sur l'Implant Cochléaire (CISIC), "Il est très difficile d'obtenir des chiffres de la part des institutions. Aucune administration ne consolide ces statistiques de manière rigoureuse. Les hôpitaux connaissent bien leurs patients les plus récents mais perdent souvent contact avec une proportion significative des plus anciens." Fin 2016, après avoir enquêter auprès de chaque fabricant, elle avait pu arriver aux estimations de 20 000 implantés au total en France et 1400 implantés posés par an. Un chiffre a ramener aux plus de 4 millions de personnes souffrant d'un déficit auditif en Hexagone. 

A l'échelle mondiale, le fabricant MED-EL estime qu'il y 30 000 opérations pour de nouveaux implants par an, essentiellement en Europe, en Amérique et en Chine. Cet appareillage s'est particulièrement développé ces dernières années. En 2010, il y avait en tout, dans le monde, 200 000 personnes avec un implant cochléaire. Un chiffre qui a quasiment doublé en une décennie.

IFIC

L’opération de l’oreille droite est une réussite. Puisque sa mémoire auditive est encore riche, la récupération va être plus rapide. Car l’implant ne fait pas tout, il faut apprendre à réécouter, à traduire les signaux électriques transmis par l'implant en sons de la vie quotidienne. Un travail difficile, réalisé avec une orthophoniste quatre fois par semaine. "Un implant, c’est une nouvelle langue", explique Anne Le Bihan, une des deux orthophonistes ayant suivi Maxime. "Les patients vont entendre une bouillie de sons, où tout se mélange. Ils se mettent à réentendre tous les bruits désagréables, stridents. Les sons leur paraissent métalliques et plus exagérés." Perrine Cucuel, l'autre orthophoniste, confirme : "Il faut imaginer des patients dans une surdose de sons. Notre travail c’est de les accompagner pour qu’ils mettent du sens sur ces sons. Et il ne s'agit pas seulement la parole, il faut 'actualiser leur catalogue' auditif."

On doit réapprendre toutes les lettres de l'alphabet, tous les phonèmes
Maxime, implanté cochléaire

"Est-ce que c'est un D ou un P ? Un S ou un F ? On réapprend toutes les lettres de l'alphabet, tous les phonèmes", explique Maxime. "Et on réapprend à écouter les sons. Est-ce que c'est un bruit de porte ou un tambour ? Est-ce que c'est du bois, ou du fer ? Un ruissellement d’eau ou des billes ?" L’apprentissage est long, mais Maxime se rend avec plaisir à ses séances d’orthophonie. Au bout de trois mois, il a "80% de compréhension, cela veut dire que je ne loupe qu’une vingtaine de mots sur 100", se réjouit-il. "J’ai fait une progression fulgurante."

Cette progression est néanmoins ralentie par sa deuxième oreille, dont la prothèse auditive n'est pas aussi puissante. En 2017, Maxime décide donc de se faire réopérer, à gauche cette fois-ci, pour avoir un second implant cochléaire. Le risque est grand, car que l'opération soit un succès ou non, cela détruira le peu d'audition naturelle qu'il lui reste. Mais tout se passe bien.

J'ai pu profiter du concert comme tout le monde ! J'étais aux anges.
Maxime, implanté cochléaire

C'est un nouveau départ, un soulagement. "Aujourd'hui, en 2019, je suis quasiment à 98% de compréhension. Ce sont les médecins du CHU de Lyon qui m'ont opéré, et je leur dis merci tous les jours !" Bien sûr il faut que l'environnement soit calme. Les conversations par téléphone peuvent être contraignantes s'il y a des parasites, les réunions au travail sont parfois laborieuses, les discussions en extérieur aussi. "Mais ce sont de très petits problèmes par rapport à la joie que ça me donne", assure Maxime. "Je peux aller au cinéma, j'écoute de la musique, bon ce n'est pas la même qualité que vous... mais ça me permet de vivre à nouveau."

Un des plus beaux moments de cette nouvelle vie ? Le concert de Michel Sardou, l'année dernière à Lyon. "Je l'écoute depuis que je suis jeune, je connais toutes ses chansons", explique Maxime. Il détaille la scène : "Il avait un nouvel orchestre, avec une quinzaine de violons, une contrebasse, une batterie, des guitares électriques... Je les voyais, je les écoutais, je n'étais pas à côté en train d'essayer d'écouter, j'étais vraiment dans le spectacle." s'extasie-t-il. "Et c'est quelque chose qui m'a fait très plaisir parce que c'était la preuve que je suis sorti du handicap. J'ai pu profiter du concert comme tout le monde ! J'étais aux anges."

Entendre, mais pas comme tout le monde : un entre-deux parfois compliqué

Malgré les joies quotidiennes que lui procurent ses nouvelles "oreilles", le fait d’avoir partiellement retrouvé l’audition rend la situation parfois plus ambiguë qu'avant, notamment dans ses relations professionnelles. “Par exemple, lors d’une conversation au bureau, j’arrivais à suivre, mais soudain il y a eu un bruit de ventilation et tout s’est brouillé. Ça, mes collègues ne l’ont pas compris, ils m’ont dit 'ben qu’est ce qu’il se passe pourquoi tu nous fais répéter d’un coup ? Faut savoir, c’est bon ou c’est pas bon !'", raconte Maxime.

Des anecdotes de ce genre, il en a beaucoup. La voix très aiguë de sa supérieure lui est beaucoup moins compréhensible - perçue via ses appareils auditifs - que les timbres masculins. Parfois, il ne comprend pas ce qu’elle dit, alors qu’il saisit tout ce que disent ses collègues. "Cela crée des malaises, des non-dits qui sont un peu mal vécus", confie-t-il. "Un autre jour, concentré sur ma tâche, je n’ai pas entendu que les collègues proposaient d’organiser le déjeuner tous ensemble, alors je suis resté dans mon coin. J’ai réalisé à midi que tout le monde était parti, et j’ai raté le mâchon !", regrette-t-il.

Une forme d’exclusion involontaire qui s’explique, selon Maxime, par une méconnaissance de la malentendance. "Je pense que lorsqu'une personne handicapée arrive dans une entreprise, quel que soit le handicap, il faudrait que les managers et les collègues aient une séance d'information. Ça devrait être obligatoire." 

J'ai surmonté mon handicap, mais maintenant je veux apporter ma pierre à l'édifice
Maxime, implanté cochléaire

Désormais à mi chemin entre le monde des malentendants et des entendants, il se rend compte des injustices envers les malentendants. "Quand on fait des travaux pour installer une rampe PMR (personnes à mobilité réduite, ndlr), même si personne ne l'utilise après, on ne l'enlève pas. En revanche si pour une conférence on a dépensé des centaines d'euros dans un système de transcription, et qu'aucun sourd ne vient, la prochaine fois on en mettra pas ! Et ce n'est pas normal." Cette absence de matériel adéquat envoie un message négatif aux malentendants. "Même si la société est bienveillante envers les handicapés, la bonne volonté ne suffit pas pour faire apparaître des sous-titres ou des outils de transcription", assène Maxime. "Pour cela, il faut un cadre juridique, il faut des lois qui progressent." 

Pour lutter à son échelle contre ce manque, Maxime a décidé de consacrer son temps libre "à un petit projet fou pour essayer de changer le monde", comme il l'appelle. "Mes oreilles bioniques coûtent 40 000 euros, et ce sont vos impôts qui les ont payées !" dit-il en riant. "Alors soit je dis 'merci au revoir', soit je donne de mon temps et de mon savoir pour rendre à la société un peu de ce qu'elle m'a donnée" explique-t-il. Grâce à ses qualités d'informaticien, Maxime travaille donc depuis deux ans sur Scribovox,  une plateforme de transcription, accessible en ligne. Pour bien moins cher que ce que proposent les compagnies ayant déjà développé ce concept, il oeuvre progressivement pour équiper les entreprises et les universités. "J'ai surmonté mon handicap, mais maintenant je veux apporter ma petite pierre à l'édifice."


Mathilde ROCHE

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