Médicaments : comment expliquer l'actuelle pénurie (dont certains traitements contre le cancer) ?

par Hamza HIZZIR
Publié le 17 septembre 2020 à 14h04
JT Perso

Source : TF1 Info

DECRYPTAGE - Les pénuries de médicaments touchent toutes les catégories de traitement, y compris les anticancéreux. Le phénomène, aggravé par la pandémie, est récurrent. Comment ces produits essentiels viennent-ils à manquer ?

"On tire sur la corde et au bout d'un moment... Avec la Ligue contre le cancer, nous craignons une rupture d'un médicament majeur, qui entraînerait une diminution de la qualité de vie de nos patients, voire une diminution de leur durée de vie". Interrogé par TF1, le docteur Nicolas Bertrand, oncologue et chef de clinique au CHU de Lille (Nord), lance l'alerte. 

Sur place, les personnels confirment, en décrivant d'énormes manques et l'obligation désormais de compter sur la solidarité entre médecins et pharmaciens pour s'approvisionner. Forcément, les patients s'inquiètent également. "Le stress monte beaucoup car le médicament que je n'arrive plus à me procurer en pharmacie est vraiment vital", confie ainsi un malade du cancer.

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Certes, cette pénurie de médicaments n'est pas récente. Mais elle s'est nettement aggravée, ces derniers mois, avec la crise sanitaire. Elle s'étend désormais à toutes les catégories de médicaments, bien au-delà des seuls anticancéreux. Les corticoïdes, par exemple, notamment utilisés contre le Covid-19, mais aussi pour traiter de nombreuses pathologies neurologiques, sont vite devenus une denrée rare en cette année 2020. Comment l'expliquer cette situation ? Plusieurs raisons se dégagent.

La délocalisation de la production

C'est l'une des raisons majeures des pénuries, que la pandémie a davantage encore mises en exergue. L'industrie pharmaceutique a amplement délocalisé sa production depuis plusieurs décennies. Elle fait appel à des sous-traitants pour faire baisser les coûts et trouver des contraintes réglementaires moins strictes.

Résultat : les chaînes de production sont disséminées et près de 40% des médicaments commercialisés dans l'Union européenne proviennent de pays situés hors d'Europe. Il suffit donc d'un problème dans une usine quelque part en Asie pour que l'ensemble de la production en pâtisse. Et, en cas de défaillance d'un fournisseur, l'effet domino entraîne des ruptures en cascade.

Une demande en forte hausse

La demande mondiale en médicaments a fortement progressé ces dernières années, avec une hausse d'environ 6% par an soutenue par les besoins des pays émergents. Le lancement d'une campagne de vaccination massive dans un pays comme la Chine peut ainsi entraîner des tensions mondiales. Et ce d'autant plus que, parallèlement, le secteur connaît une forte concentration. Il ne reste par exemple parfois qu'un ou deux producteurs au monde pour tel ou tel traitement. Là encore, l'effet domino est rapide. Lors de la pandémie, le monde entier a eu besoin des mêmes molécules au même moment, d'où la difficulté pour les producteurs d'approvisionner tous les acheteurs au même moment.

L'épineuse question de la rentabilité

"Pour favoriser l'innovation, on attribue des prix très élevés aux médicaments nouveaux et innovants et en contrepartie, on baisse les prix des médicaments plus anciens", expliquait il y a quelques mois à l'AFP l'économiste de la santé Nathalie Coutinet. Conséquence : un laboratoire peut décider de cesser la production d'un médicament jugé pas assez rentable. Dans ce cas, les autorités doivent être averties en amont. Mais des tensions d'approvisionnement peuvent apparaître, surtout s'il existe peu d'alternatives dans des laboratoires concurrents. Plus largement, les mécanismes de fixation des prix sont à prendre en compte et peuvent desservir la France, où les médicaments sont généralement plus bas que dans les pays voisins.

Le gouvernement prêt à agir pour le paracétamol

Toutefois, le gouvernement s'est dit prêt à agir, en tout cas pour le paracétamol. Si son principe actif "coûte 20% plus cher lorsqu'il est produit en France", a indiqué lundi 14 septembre la ministre déléguée à l'Industrie Agnès Pannier-Runacher, "ce surcoût, on est prêt collectivement à l'assumer (...) parce que c'est une assurance d'avoir cette molécule de manière permanente"

Le gouvernement n'a, en revanche, jamais évoqué le cas du BCG, fondamental pour le traitement de certains patients souffrant de cancers de la vessie. Et qui manque, lui aussi, cruellement.


Hamza HIZZIR

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