Le ministère de la Santé se retrouve sous le feu des critiques après le lancement d'une campagne de prévention loin de faire l'unanimité parmi les professionnels de santé.Destinée aux jeunes, cette campagne dispense plusieurs conseils pour éviter tout comportement dangereux lors de consommation d'alcool pendant une fête.Une démarche qui banalise cette consommation, selon plusieurs médecins, quand d'autres préfèrent ces messages plus positifs à la "culpabilisation".
Un verre d'eau entre chaque verre d'alcool, un plat de pâtes avant de partir en soirée... Lancée cette semaine, une campagne de santé publique à destination des jeunes, portée sur les bons comportements à adopter lorsque l'on consomme de l'alcool, divise le monde médical et les associations. Pour certains professionnels de santé, ces clips, affiches et spots radio banalisent cette consommation, tandis que le gouvernement, lui, défend une volonté d'alerter sur les risques plutôt que de chercher coûte que coûte à promouvoir l'abstinence auprès d'un public qui, en majorité, a déjà recours à la boisson.
[ #Addiction ] 🆕 @Sante_Gouv et Santé publique France lancent une nouvelle campagne d’information pour sensibiliser les #jeunes aux risques de consommation de l’ #alcool et des drogues 🗞️ Communiqué de presse https://t.co/AVINeYiSdH pic.twitter.com/b4A4uxhKQG — SantépubliqueFrance (@SantePubliqueFr) September 26, 2023
C'est avec des photos festives que l'agence Santé publique France a voulu alerter dans cette campagne baptisée "C'est la base" : plusieurs visuels de jeunes en soirée, verres d'alcool à la main, entrecoupés de conseils pour assurer sa sécurité et celle de ses amis lors d'une sortie arrosée. La campagne recommande ainsi d'adopter plusieurs comportements pour réduire les risques liés à la consommation d'alcool, notamment boire de l'eau entre chaque verre pour minimiser les effets, ne pas encourager à boire quelqu'un qui ne le désire pas, "garder un œil" et raccompagner des amis qui ont trop bu, bien manger avant de boire de l'alcool... De quoi "sensibiliser les jeunes aux risques de consommation de l'alcool et des drogues", défendent les autorités sanitaires dans un communiqué de présentation de la démarche.
Mais le message ne fait pas l'unanimité auprès des professionnels de santé. "Alcool et fête semblent faits l'un pour l'autre dans cette campagne", a ainsi jugé sur X (ex-Twitter) le pneumologue François Vincent, tandis que le généraliste Bernard Jomier, également sénateur écologiste (apparenté PS), a dénoncé "du jamais-vu" dans une campagne qui "ne contient aucun message de réduction de consommation" et jugé que "les alcooliers peuvent être tranquilles".
Messages "ambigus"
Du côté des associations aussi, la campagne ne passe pas. "Il y a des messages qui peuvent être mal interprétés car ils sont ambigus. À partir du moment où on boit de l’eau, ce n’est pas très grave de boire beaucoup d’alcool ?", a regretté auprès de Radio France Bernard Basset, médecin et président de l’association Addictions France. "Les conseils sont excellents, ils sont très bons", a abondé auprès de la radio Yves Daubannay, président de l'association Stop addiction alcool. "Mais ils banalisent la consommation d’alcool. Ils ne disent pas une seule fois qu’il faut arrêter de consommer."
Si la démarche suscite une telle défiance, c'est que cette polémique intervient dans un contexte déjà inflammable, après de précédentes critiques visant le ministère pour avoir retoqué ces derniers mois deux projets de campagnes anti-alcool, dont une autour de la Coupe du monde de rugby. Selon Radio France, qui a révélé l'information début septembre, l'une de ces campagnes devait afficher un ton bien plus incisif, notamment avec le slogan choc "Si tu bois un coup, ta santé prend un coup", et devait comporter des messages d'alerte pour tous les publics.
Un projet enterré par le gouvernement, d'après le média, selon qui ces décisions seraient liées à des pressions du cabinet d'Emmanuel Macron, confronté directement au mécontentement de la filière viticole. "Maintenant, on regarde toutes les campagnes de prévention avec la grille de ce que le lobby de l’alcool a considéré comme acceptable et pas acceptable", a glissé Bernard Basset à la radio, confiant toutefois être "peut-être trop suspicieux" à ce sujet. De son côté, le ministère de la Santé n'avait nullement confirmé cette influence, se contentant d'évoquer une révision des "priorités" face au "nombre important" de campagnes de santé publique actuellement menées.
"La stratégie de dire 'l’alcool, c’est mal' ne fonctionne pas"
Mais pour d'autres organisations, les autorités ont choisi le bon ton pour s'adresser aux jeunes qui consomment déjà. Dans un communiqué publié ce mercredi, le réseau d'associations Fédération Addiction salue ainsi "une campagne positive, avec des messages motivationnels plus susceptibles d’inciter à des changements de comportement que la culpabilisation". "Inviter les jeunes à faire attention à eux et entre eux, nous savons qu’en prévention, cette méthode fonctionne", a insisté auprès de L'Obs sa vice-présidente Catherine Delorme, qui souligne à l'inverse que "la stratégie de dire 'l’alcool, c’est mal' ne fonctionne pas auprès d’un public jeune".
L'association estime toutefois que cette campagne serait "plus efficace si elle s’intégrait dans une politique globale visant à la réduction de la consommation d’alcool dans notre pays", en rappelant qu'en France, "24 % des 18-75 ans dépassent au moins un des repères de consommation à moindre risque".
De son côté, le gouvernement a maintenu sa ligne. "La santé publique, c’est définir des priorités et choisir des messages. Ils peuvent se discuter bien sûr... pas notre détermination à lutter contre ce fléau de santé publique", a réagi dès lundi le ministre de la Santé Aurélien Rousseau. Interrogé par l'AFP, son entourage a défendu le choix stratégique d'encourager les jeunes à éviter les risques, plutôt que les inciter de manière illusoire à l'abstinence. "La réalité est là", a insisté un responsable du ministère : selon des chiffres de santé publique, quatre cinquièmes des jeunes de 17 ans ont déjà consommé de l'alcool.
Lancement auj. de la nouvelle campagne contre la banalisation de la consommation d’alcool chez les jeunes. La santé publique, c’est définir des priorités et choisir des messages. Ils peuvent se discuter bien sûr…pas notre détermination à lutter contre ce fléau de santé publique. pic.twitter.com/zQ6uVUsV84 — Aurélien Rousseau (@aur_rousseau) September 25, 2023
Santé publique France a aussi souligné qu'elle évaluait régulièrement la manière dont les messages de santé publique sont reçus par les jeunes. "On s'appuie sur nos données d'observation : c'est parce que cette stratégie de réduction des risques fonctionne bien qu'on a voulu la poursuivre", a déclaré à l'AFP Viêt Nguyen Thanh, responsable de l'unité dédiée aux addictions au sein de l'agence. "Ne faisons pas semblant de ne pas comprendre : cette campagne est une action de réduction des risques", a abondé sur le réseau social X Luc Ginot, médecin directeur de la santé publique à l'Agence régionale de santé d'Île-de-France. "Et on a besoin, aussi, (pas que, mais aussi)" de ces messages "dans le champ de l'alcool", a-t-il insisté.