Des bébés qui "vomissent" à trop pleurer ou qui "hurlent de faim" : ces maltraitances en crèche dénoncées par un rapport

Publié le 11 avril 2023 à 20h01

Source : JT 20h Semaine

Après quatre mois d'investigations, l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) dénonce de nombreux dysfonctionnements dans certaines crèches.
Dans son rapport, publié ce mardi, on y découvre les témoignages accablants de parents et de professionnels de la petite enfance.
Beaucoup décrivent des situations s'apparentant à de la maltraitance.

C'était un rapport très attendu puisque c’est un fait de maltraitance extrême qui avait déclenché sa commande par le ministre des Solidarités, en juillet dernier, trois semaines après la mort d'un bébé de 11 mois dans une crèche à Lyon. L'Inspection générale des affaires sociales (Igas) a donc rendu ses conclusions, ce mardi 11 avril, à l'égard du secteur de la petite enfance et elles sont plutôt sévères.

Après quatre mois d'investigations dans 36 établissements publics et privés à travers la France et la diffusion de trois questionnaires au niveau national, à destination des directeurs d’établissements, des professionnels assurant l’accueil des enfants et des parents, la mission a recueilli plus de 2 000 témoignages de situations de maltraitance. Un quart des répondants au questionnaire "professionnels" ont indiqué avoir déjà travaillé dans un établissement qu’ils considéraient comme maltraitant à l’égard des enfants. 

Une très grande disparité

"Ceci ne signifie toutefois pas qu’un quart des établissements connaîtraient des faits de maltraitance : une telle interprétation serait abusive et erronée", tempèrent les auteurs du rapport. Car il n'est pas question à leurs yeux de jeter l'opprobre sur toute une profession, mais plutôt de mettre en lumière "des zones de risque et des types de maltraitance possibles", pour permettre la mise en place de mesures de prévention. Au cours de ses investigations, la mission a d'ailleurs constaté une très grande disparité des établissements en termes de qualité, et des écarts importants sur tous les plans (formation des personnels, moyens budgétaires, réflexion pédagogique…). 

Cependant, pour les inspecteurs, il est certain que "ce type d’accueil soumet tout individu, quel qu’il soit, à des risques de dérives". "L’accueil de personnes dépendantes est en effet une situation dans laquelle un individu est placé en situation de pouvoir vis-à-vis d’une personne en incapacité de se défendre, et, dans le cas de plus jeunes enfants, de s’exprimer", soulignent-ils. Une maltraitance institutionnelle qui reste en grande partie impensable pour les parents comme pour les responsables, car ce secteur a longtemps été considéré sous le seul prisme du manque de places. Et pourtant... 

Négligence et paroles humiliantes

Parmi les catégories ayant fait l’objet de remontées les plus importantes, le rapport liste : la négligence, la violence physique et psychologique, et le forçage alimentaire qui a fait l’objet d’un nombre conséquent de témoignages. Le rapport restitue un certain nombre de verbatims les illustrant. Ils tournent autour du non-respect des rythmes de sommeil ("des agents réveillent les enfants, il est l’heure de goûter et on n’aura pas le temps de prendre nos pauses après" ; "bébés comme plus grands au lit à midi, que l’enfant ait dormi le matin ou non" ; "les coucher parce que c’est l’heure et les laisser hurler dans leur lit"...). 

Ou encore des pleurs des enfants laissés sans réponse ("des enfants laissés en pleurs jusqu’à ce qu’ils s’endorment d’épuisement" ; "laisser pleurer un enfant dans la salle de sieste jusqu’à ce qu’il en vomisse" ; "mettre des enfants de plus de 2 ans dans des chaises hautes pour qu’ils ne bougent plus" ; "des bébés qui hurlent de faim" ; "mettre un enfant dans un lit en interdisant à l’équipe d’aller le chercher sous prétexte 'qu’il hurle ici ou dans le lit, c'est pareil'"...).

Beaucoup d'adultes interrogés ont par ailleurs décrit des changes non réalisés faute de couches ou de temps ("laisser un enfant avec une couche souillée, car ce n’est pas le moment des changes" ; "couches pas changées pendant plus de 5h" ; "ne pas donner à boire comme ça on change moins les couches"…) , mais aussi des paroles humiliantes ou dévalorisantes prononcées ("enfant insulté, 'tu chouines pour rien', 'tu sens mauvais', 'tes parents sont trop riches'" ; "dire à un enfant qui a une couche uniquement pour la sieste et qui demande au réveil d’aller aux toilettes 'tu as une couche fais dedans'" ; "menace d’être mis sous la douche s’il ne s’endort pas"...). 

La directrice la forçait à manger, à la faire vomir, j’ai vu la directrice lui redonner son vomi.
Un témoignage cité dans le rapport

Sans parler des enfants que l'on nourrit de force en leur pinçant le nez pour qu'ils ouvrent la bouche ("la directrice la forçait à manger, à la faire vomir, j’ai vu la directrice lui redonner son vomi" ; "forcer un enfant à manger en lui maintenant la tête" ; "forcer un enfant à manger en lui soufflant sur le nez pour qu’il avale" ; "appuie sur les joues de l’enfant pour lui forcer à ouvrir la bouche pour lui mettre la nourriture dedans et le laisser à table jusqu’à ce qu’il finisse son assiette"...). 

Le rapport pointe aussi la violence physique ("un verre d’eau jeté à la figure d’un enfant" ; "attacher les enfants aux chaises avec des sangles pour éviter qu’ils bougent pendant les repas" ; "mettre une claque à un enfant qui ne voulait pas faire pipi aux WC" ; "soulever les enfants par les bretelles de leur salopette" ; "tirer les cheveux à un enfant pour lui montrer ce que ça fait" ; "prendre violemment un enfant par le bras et le soulever de terre en criant et en le secouant" ; "poussent les bébés avec leurs pieds" ; "s’asseoir sur un enfant pour qu’il reste dans son lit au sol"…).

Ces témoignages qui ne peuvent s’inventer sont évidemment terribles. Et ils sont peut-être en dessous de la réalité. Le rapport note en effet la difficulté des professionnels à signaler des faits ou comportements jugés inappropriés, au quotidien, par manque de soutien de leur hiérarchie, par peur de déstabiliser l’équipe, mais aussi par méconnaissance de la place des PMI dans ces cas de maltraitance. Ce qui a amené la mission à faire des propositions pour faciliter les signalements. L'Igas souhaite notamment un renforcement des contrôles, un relèvement des taux d'encadrement, ainsi que du niveau de qualification des professionnels.

Les rapporteurs soulignent également la nécessité de remédier au manque d'attractivité des métiers de la petite enfance, qui entraîne un sous-effectif chronique et donc un épuisement des professionnels en poste. Il s'agit là d'un "facteur aggravant autant que (d'un) symptôme" des difficultés à bien accueillir les enfants, selon eux. 


Virginie FAUROUX

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