Produire en France les vaccins des autres... la solution rapide pour avoir davantage de doses ?

Publié le 5 février 2021 à 16h42, mis à jour le 6 février 2021 à 13h51
Mettre sur pied une nouvelle chaîne de production demande de long mois.
Mettre sur pied une nouvelle chaîne de production demande de long mois. - Source : STR / AFP

LOGISTIQUE - Face à la pénurie de doses, le bon sens inviterait à produire en France des vaccins déjà développés à l'étranger et homologués. Une idée qui se heurte en réalité à d'énormes contraintes logistiques.

Sollicités de toutes parts, les laboratoires pharmaceutiques tentent de produire un maximum de vaccins pour honorer au plus vite leurs commandes. Si l'Europe a sécurisé plusieurs milliards de doses, elle demeure toutefois tributaire des rythmes de production, si bien que la chaîne d'approvisionnement se trouve à flux (très) tendu. 

Afin d'accélérer la cadence, toutes les options peuvent être envisagées, notamment celle d'une forme de transfert de compétences d'un laboratoire vers un autre. En théorie, il semblerait en effet logique que des entreprises pharmaceutiques puissent trouver des arrangements afin de récupérer la "recette" de vaccins déjà mis au point et validés. Elles pourraient alors les produire elles-mêmes, et démultiplier le nombre de disponibles. "Il faut aller voir monsieur Pfizer et madame Moderna et discuter avec eux et négocier l'achat de la licence", plaide ainsi Philippe Juvin, chef des urgences de l'Hôpital européen Georges Pompidou à Paris et maire Les Républicains de la Garenne-Colombes. Une opportunité qui se heurte en réalité à une série d'obstacles.

Un temps incompressible

De prime abord, la question des brevets semble un écueil potentiel à une telle mesure. Développer un vaccin coûte en effet de l'argent, et l'on pourrait imaginer que les laboratoires rechigneraient à partager leurs connaissances. Ce n'est pourtant pas forcément un frein : outre la possibilité de trouver des accords financiers, des entreprises pourraient très bien transmettre leur savoir dans un contexte de crise sanitaire comme celui qui nous observons aujourd'hui.

Slate signale que dès l'automne dernier, la firme Moderna a publié un communiqué "mettant l'accent sur l'importance du respect des brevets et de la propriété intellectuelle dans les investissements futurs", mais dans lequel elle "annonçait qu'elle renonçait, le temps de la crise, à poursuivre les entreprises faisant usage de ses découvertes pour produire leurs propres vaccins". Tout en se montrant "ouverte à un système de licence, permettant à des entreprises tierces d'utiliser son savoir pour produire leurs sérums".

Un geste à souligner mais qui ne suffira pas à résoudre le "problème (réel) d’approvisionnement en vaccins", aux yeux d'Antoine Flahault, directeur de l'Institut de santé globale à la faculté de médecine de l'université de Genève. Sur Twitter, il explique que la situation "ne peut pas se résoudre rapidement par un achat de licences comme suggéré". Et pour cause : Sanofi ou Novartis, explique-t-il ne fabriqueraient pas des vaccins à ARN messager "en moins d’un an".

Contacté par LCI, il apporte quelques précisions et souligne que le secteur des vaccins est "très complexe". D'ailleurs, "il faut bien savoir qu'il n'y a que 5 gros producteurs à travers le monde. Des sous-traitants participent, mais on observe qu'il n'existe pas de génériques pour les vaccins". Cela montre pour lui que "n'importe qui ne peut pas s'improviser producteur". Développer une nouvelle chaîne de production requiert "en général 3 ans et environ 500 millions de dollars". La comparaison avec une recette de cuisine ne fonctionne pas : si le cuisinier peut se contenter de rassembler les ingrédients et de suivre quelques consignes, les laboratoires sont eux contraints de développer des chaînes de production spécifiques et de se plier à des règles très strictes. "Le fait que Moderna renonce en quelque sorte temporairement aux brevets ne change rien en réalité, puisque ce processus prend du temps quoi qu'il arrive. Plusieurs mois au minimum, certainement une année", tranche le spécialiste.

"Tous les laboratoires sont concernés, que ce soit Sanofi ou d'autres", assure Antoine Flahault. Il souligne que si des laboratoires sont parvenus à produire assez rapidement des vaccins sans devoir patienter trois ans, c'est qu'ils ont nécessairement détourné des chaînes de productions qui étaient en phase de développement pour d'autres projets. Priorisant ainsi le vaccin contre le Covid-19 au détriment d'autres traitements. Dès lors, quand bien même les industriels partageraient leurs connaissances, il serait impossible de produire de A à Z un vaccin développé par d'autres en l'espace de quelques semaines.

Embouteiller, une option à privilégier

À défaut de réaliser de A à Z des vaccins étrangers dans des laboratoires français, une autre option est privilégiée. Il s'agit d'intervenir en bout de chaîne, afin d'accélérer la procédure dite d'embouteillage. En pratique, Pfizer, Moderna ou AstraZeneca peuvent s'accorder à livrer du "vrac", des vaccins déjà produits mais qui nécessitent une mise en flacon pour que puisse être étendue la distribution. Des laboratoires de différents pays peuvent alors joindre leurs forces afin que de plus nombreuses doses soient accessibles. 

"C'est tout à fait possible", note Antoine Flahault, des accords de ce type ayant d'ailleurs déjà été conclus. "Pour autant, même si c'est faisable, il faut garder en tête qu'il faut 4 ou 5 mois pour que la chaîne de montage soit reconfigurée et qu'elle se conforme aux besoins, au niveau de la conservation par exemple". Un processus là encore assez complexe, réalisé "sous le contrôle de l'Agence européenne du médicament mais aussi du laboratoire d'origine, qui a produit le vaccin". Les exigences sont multiples, en matière de stérilité notamment, et si aucun "souci majeur" ne doit en théorie venir contrarier ces démarches, il est nécessaire de "réaliser des études et de remplir des dossiers".

En pleine pandémie, ces délais incompressibles n'arrangent pas les affaires des autorités, mais Antoine Flahault y voit plutôt la preuve d'un système très ordonné et gage de sûreté, "où l'on ne peut pas court-circuiter d'étapes". Seuls les processus administratifs, souligne-t-il, peuvent être potentiellement accélérés, "avec des dossiers qui se retrouvent en haut de la pile"

En résumé, il est donc très long pour un laboratoire de s'adapter afin de produire à 100% un vaccin déjà mis au point par d'autres. Plutôt que de réaliser ces aménagements dans les chaînes de production et d'attendre un an, les spécialistes jugent aujourd'hui plus opportun de récupérer des vaccins "en vrac" déjà produits, afin d'en accélérer la mise en flacon et la distribution. Des opérations qui permettent de gagner du temps, mais qui nécessitent tout de même plusieurs mois avant d'être lancées. Une série d'agréments et de démarches sont en effet nécessaires afin de garantir que les vaccins seront distribués dans des conditions optimales, garantissant leur efficacité et leur sûreté.

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Thomas DESZPOT

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