Pourquoi souffrons-nous de plus en plus du "FOBO", cette incapacité à faire des choix ?

Publié le 4 janvier 2019 à 12h41
Pourquoi souffrons-nous de plus en plus du "FOBO", cette incapacité à faire des choix ?

NÉOLOGISME - Difficile de choisir la bonne paire de chaussures ? Impossible de sélectionner le bon programme sur Netflix ? Incapacité totale à choisir un plat au restaurant ? Vous souffrez du "FOBO", soit le "syndrome des indécis", inhérent à la profusion d'offres et au choix des possibles que permet l'époque. Un sociologue nous éclaire.

C'est un fait, plus il y a de choix, plus on hésite. Et, parfois, plus on souffre. Un terme existe pour qualifier cette frustration des temps modernes : le FOBO ('Fear Of Better Options" en anglais, "Peur d’une Meilleure Option" en Français). Un trouble caractérisé par cette inaptitude, face à la multiplicité des services proposés par les plateformes de réservation ou d’achat (de Booking à Foodora en passant par les sites de rencontres), à faire un choix net, rapide, tranché. En d'autres termes, notre peur de louper la meilleure option possible.

Le terme FOBO a été utilisé pour la première fois en 2004 par un étudiant de Harvard dans un article écrit dans le Harbus (le journal de l'école), arguant que ses camarades de classe et lui étaient comme "paralysés à l'idée de s'engager concrètement dans quoi que ce soit, par peur de ne pas choisir l'option la plus parfaite d'entre toutes (...) Soit les conséquences d'un monde hyper-encombré et hyper-connecté où tout semble possible et où par conséquent, on a l'embarras du choix." La faute à ce "trop d'options" préfigurant la peur panique de passer à côté de l'essentiel propre à la génération Z en germe

Le FOBO illustre bien un des paradoxes de notre époque : l’abondance des biens conduit à une impasse

Rémy Oudghiri, sociologue

Le sociologue Rémi Oudghiri parle, lui, de "plateformisation des usages" pour faire nos choix de consommation ou de loisirs : "C’est la problématique de l’hyperchoix qui était vécu, il y a encore quelques années, comme une promesse positive (la possibilité pour chacun de trouver son bonheur) ; aujourd’hui, cet hyperchoix est vécu comme un fardeau : que choisir dans cette infinité de possibilités qui évoluent tout le temps ? Car, à l’abondance s’ajoute l’accélération du rythme de lancement des nouveautés. Non seulement il existe plein d’options possibles, mais celles-ci changent régulièrement (elles sont actualisées, améliorées, complétées, etc…)."

Lire aussi

"Digitalisation de nos pratiques"

Force est de constater que ce phénomène de FOBO a des racines très contemporaines, liées à la digitalisation de nos pratiques et à l’influence croissante des réseaux sociaux, et qu'il s'est largement amplifié avec, par exemple, l'offre culturelle proposée par une plateforme comme Netflix ou encore avec la pression qu’exercent les réseaux sociaux : "L’identité des individus sur les réseaux sociaux est largement définie par leurs choix, constate le sociologue. Ce qu’ils montrent sur les réseaux correspond à ce qu’ils sont. D’où l’importance, là encore, de faire les bons choix. Cela implique de ne pas se tromper. Mais quoi montrer pour se différencier des autres, pour ne pas paraître ringard, pour faire mieux que son voisin ? La mise en concurrence généralisée sur les réseaux sociaux complique les choix et, du même coup, augmente la peur de se tromper."

Lire aussi

Peur de renoncer à sa jeunesse

Selon le sociologue, un autre phénomène plus profond, déjà perceptible dans les années 60-70, serait la source de ces maux : "Nous avons de plus en plus peur de choisir car, en choisissant, nous avons le sentiment de perdre notre jeunesse et de passer à côté de notre vie. Ne pas choisir, c’est rester jeune. Choisir, c’est devenir adulte. On voit cela très bien dans les films de François Truffaut des années 60. Son personnage, Antoine Doinel, est un irrésolu. Il n’arrive pas à choisir : un emploi, une femme, une situation… En un mot, il n’arrive pas à grandir. C’est le premier "adulescent" de l’histoire contemporaine. les adulescents vont se multiplier dan les années 90 avec le "phénomène social Tanguy"", ces jeunes adultes tardant à se séparer du domicile familial.

Ainsi, derrière le très contemporain FOBO se cache la peur de devenir adulte, c’est-à-dire de faire des choix, de décider d’une voie unique, de s’enfermer dans une case. En d'autres termes, de mettre une croix sur sa jeunesse et devenir une "grande personne" : "Les fameux 'Millennials' n’ont pas envie de devenir des "grandes personnes", remarque Rémy Oudghiri. Chez eux, l’indécision est très répandue. On préfère vivre sa vie en 'mode projet' plutôt que de construire quelque chose de durable et d’enfermant comme une carrière ou un couple."

L’indécision est l’expression d’une société qui a du mal ou ne veut pas ou ne veut plus grandir.

Rémy Oudghiri, sociologue

Alors, quelle solution adopter ? Un chroniqueur du New York Times suggère une solution simple et donc un nouvel acronyme  issu de la langue de Shakespeare : la "MFD", Soit la "Mostly Fine Decision", comprendre "prendre la première décision qui vous rend heureux" et "arrêter de se prendre la tête". Bref, d'accepter que la perfection ne sera jamais de ce monde. 


Romain LE VERN

Tout
TF1 Info