DÉCRYPTAGE - Suite à l'adoption en deuxième lecture d'un amendement demandant la prise en compte de la détresse psychosociale dans l'examen des demandes d'Interruption médicale de grossesse (IMG), des personnalités et internautes pro-vie ont dénoncé ce qu'ils considèrent comme la fin du délai de trois mois pour l'IVG. A tort.
Tard dans la soirée du vendredi 31 juillet, les députés ont adopté en seconde lecture le projet de loi bioéthique, avec la légalisation de la PMA pour toutes au cœur des discussions. Mais dès le lendemain, l’association pro-vie Alliance Vita a pointé du doigt un autre sujet discuté cette nuit-là : la prise en compte de la détresse psychosociale des femmes s’engageant dans un processus d’interruption médical de grossesse (IMG).
L’amendement 524, présenté par une vingtaine de députés, s’attire depuis les foudres des anti-avortements, qui voient ce motif de détresse psychosociale comme un "critère invérifiable", une "excuse" pour avorter jusqu’au terme de la grossesse.
Interprétation du texte comme une prolongation de l’IVG
Le communiqué d’Alliance Vita - relayé par Valeurs Actuelles - dénonce un amendement adopté, selon ses rédacteurs, "à la sauvette en pleine nuit" à la fin de l’examen du projet de loi bioéthique. L'association argue que "l’histoire a montré que, la notion de détresse étant difficile à objectiver, elle était utilisée pour détourner la loi". Le résultat, selon eux : "L’IVG est présentée comme issue obligée de toute grossesse imprévue ou difficile".
Sur Twitter, de nombreux internautes se sont insurgés suite aux différents messages du délégué général d'Alliance Vita depuis 1994, Tugdual Derville. Il décrit comme un "grave abus", ou encore un "piège", cet amendement qui "détourne le dispositif de l’IMG (permis pendant 9 mois) quand le délai de l’IGV est passé…" et ce "au nom d’une prétendue détresse psychosociale".
Voilà l’amendement crucial, adopté avec l’aval du gouvernement, qui détourne le dispositif de l’ #IMG (permis pendant 9 mois) quand le délai de l’ #IGV est passé... Ceux qui savent qu’on n’a JAMAIS pu vérifier la détresse, ancien mobile de l’ #IVG , comprendront le piège. #Bioethique pic.twitter.com/kejWhgCGN2 — Tugdual Derville (@TDerville) August 1, 2020
Les commentaires sous ces "alertes" parlent de meurtres, de boucherie, de marchandisation de l’être humain. L’un avance que "si la raison n'est plus médicale mais psychosociale (rappel IMG : Interruption MÉDICALE de Grossesse) cela devient 1 IVG autorisée jusqu'à 9 mois ! La France devient ignoble et Simone Veil se retourne dans sa tombe", un autre que "sous cet argument de détresse psycho-sociale, n'importe qui peut avorter n'importe quand sous n'importe quel prétexte". Un troisième conclut que "on peut tout imaginer : je ne serai pas belle sur la plage avec mon gros ventre et ça m'angoisse, c'est un exemple possible".
Plus tard, alors qu’une internaute écrit : "Avorter à 9 mois au motif de détresse psychosociale ? Tous les verrous sautent! (...) Comment peut-on voter pour quelque chose d'aussi monstrueux ?", un autre lui répond que l’Etat a besoin de fœtus pour servir de cobaye aux vaccins contre le Covid.
Quel est (vraiment) l’objet de cet amendement ?
Il faut d’abord faire la différence entre l’Interruption volontaire de grossesse (IVG), qui doit se dérouler avant la douzième semaine de grossesse, et l’interruption médicale de grossesse (IMG) qui selon la loi, peut être déclenchée sans restriction de délai, soit jusqu'à terme. Beaucoup plus rare, cette pratique concerne entre 200 et 300 avortements par an, contre 215.000 à 230.000 IVG annuelles.
L’IMG, comme le rappelle le texte présenté vendredi, "est un acte médical intervenant lorsqu'il existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic ou bien lorsque la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme enceinte". L’amendement doit permettre d’ajouter : "Ce péril pouvant résulter d’une détresse psychosociale". Dans tous les cas, la décision est prise par un collège médical, une équipe pluridisciplinaire composée de quatre professionnels de la Santé : un médecin qualifié en gynécologie obstétrique membre d’un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal, un praticien spécialiste de l’affection dont la femme est atteinte, un médecin ou une sage-femme choisi par la femme et une personne qualifiée tenue au secret professionnel qui peut être un assistant social ou un psychologue.
"De fortes inégalités territoriales"
Le motif de détresse psychosociale est déjà compris dans la législation encadrant l’IMG. Seulement, les députés déplorent "constater trop souvent des interrogations et des divergences d’interprétation" de ce terme. L’amendement est porté par Marie-Noëlle Battistel, députée PS de l’Isère, vice-présidente de la délégation aux droits des femmes et co-rapporteur de la mission d’information sur l’IVG. Contactée par LCI, elle explique en effet avoir constaté lors de ses différentes missions sur le terrain, "de fortes inégalités territoriales quant à l’accès à l’avortement". L’objectif du texte est à la fois une clarification du cadre législatif de l'IMG, afin de systématiser la prise en compte des causes psycho-sociales lors de l’examen d'une demande d'interruption médicale de grossesse par le collège médical.
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"Aujourd'hui, il n’y a pas de définition précise de péril grave pour la santé de la femme", insiste Mme Battistel. "La signification de la détresse psychosociale, en particulier, n’est pas entendue partout de la même façon sur le territoire national." Or selon elle, un contexte de danger personnel, de violences conjugales ou familiales, de difficultés psychologiques majeures ou d’extrême précarité, menant parfois à de l’automutilation ou au suicide, peut constituer un péril extrêmement grave pour la santé de la femme enceinte et de l'enfant à naître. Une position partagée par le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), qui s’est officiellement positionné sur le sujet en 2019.
L'amendement 524 doit encore essuyer une lecture au Sénat, puis être étudié en dernière lecture à l'Assemblée Nationale, avant d'avoir son décret d'application. "Même si son action n'est pas immédiate, le but de ce texte est simplement de mettre en lumière la nécessité d’étudier, plus en détail et au cas par cas, la situation personnelle de chaque femme réclamant une IMG, et non pas seulement leur état de santé physique", assure Marie-Noëlle Battistel. "Ensuite, la décision du collège médical peut bien évidemment être favorable ou défavorable."