Des hôpitaux aux transports en passant par les cinémas, les alertes aux punaises de lit s'enchainent en France depuis la rentrée.Si ce contexte peut conduire à une forme de psychose, l'impact psychologique est bien réel chez les personnes ayant déjà été infestées.Un spécialiste de cet insecte et des troubles qu'il induit chez ses victimes livre son éclairage à TF1info.
"C'est une catastrophe, je deviens hyper parano, même dans le métro, je n'ose plus m'asseoir sur les sièges". Les récentes alertes aux punaises de lit, dans des hôpitaux, des cinémas, des chambres d’internat, mais aussi dans les transports en commun ou encore la zone d'attente pour étrangers de Roissy, ont réveillé le vent de panique autour du nuisible. Comme cette femme, interviewée dans le reportage en tête de cet article diffusé ce mardi, nombreux sont les passagers à avouer s'être mis à scruter les banquettes des trains après que certains ont affirmé avoir observé le nuisible à bord.
"La particularité des punaises de lit, c'est qu'elles n'épargnent absolument personne", rappelle le docteur Pascal Delaunay, parasitologue et entomologiste médical au CHU de Nice. Le praticien est confronté quasi quotidiennement à cette peur des punaises de lit. "S'il arrive qu'on se sente prémuni contre certains phénomènes ou certains évènements dans la vie, ce n'est pas possible avec cet insecte et le cerveau l'intègre tout de suite ; d'où le fait que tout le monde en a peur et se sent exposé", poursuit celui qui est également membre de l'Institut National d'Études et de Lutte contre la Punaise de lit (INELP), et s'est formé à la psychologie tant ce domaine est prégnant quand il est question du petit insecte suceur de sang.
"Je rencontre des gens effondrés psychologiquement"
En témoignent ces récits de personnes qui ont déjà dû faire face au Cimex lectularius. "J'ai l'impression qu'elles ne vont jamais partir de chez moi, qu'elles sont intouchables, invincibles", expliquait dans un autre reportage une ancienne victime du nuisible. "Socialement, j'avais même peur d'inviter des gens chez moi de peur qu'ils en ramènent avec eux, on s'isole un peu, on est stressés", se souvient-elle. "Comme elles n'aiment pas la lumière, elles sortent entre 2h et 6h du matin donc je me réveillais la nuit, c'était difficile", poursuit-elle. Une autre victime abonde : "on a du mal à redormir dans le même lit pendant quelque temps".
Stress, isolement, manque de sommeil... autant de symptômes familiers aux victimes de punaises de lit que Pascal Delaunay, connait là encore parfaitement. "Je rencontre des gens effondrés psychologiquement", résume le spécialiste qui reçoit cinq à huit patients par semaine. "Je vois encore des gens qui ont des cauchemars, des reviviscences (une réapparition d'un état psychique déjà éprouvé, ndlr) permanentes de leur infestation et il y a une stratégie d'isolement et d'évitement qui est très connue dans le traumatisme", détaille-t-il, alors que l'insecte peut piquer jusqu'à 150 fois par nuit. "On passe quasiment en état de stress post-traumatique".
"L'évènement passé devient leur temps présent"
En d'autres termes, les personnes concernées par ce syndrome revivent l'infestation continuellement comme si elle était encore en cours. "L'évènement passé devient leur temps présent à elles", poursuit-il, précisant que ces dernières "basculent en hypervigilance et restent en état de survie". Ce qui induit bien souvent de continuer à mettre en place des stratégies de lutte comme nettoyer leur lit avec des insecticides.
Outre ces symptômes de stress chronique, certaines victimes peuvent développer une dépression nerveuse nécessitant un accompagnement psychologique, voire un traitement médicamenteux. "Selon l'ampleur du traumatisme, il m'arrive de proposer de l'hypnose conversationnelle qui est une stratégie d'apaisement parmi d'autres comme la méditation ou le yoga dans la gestion de traumas", explique le spécialiste soulignant que, bien souvent, ces personnes ont avant tout besoin d'écoute et qu'on reconnaisse ce qu'elles ont enduré. "Très souvent en consultation, je leur dis : vous avez mené une lutte de six mois ou plus, soyez indulgent avec vous-même et accordez-vous le temps nécessaire pour redescendre", poursuit-il. Mais il arrive que le traumatisme soit trop important. "Les personnes pour lesquelles ces outils n'ont pas d'effet parce que les troubles sont trop conséquents, je les oriente vers des collègues psychologues ou des psychiatres qui sont à même de prescrire des anxiolytiques, par exemple quand c'est nécessaire".
Un nuisible qui déclenche une spirale infernale
Mais comment expliquer qu'une si petite bête puisse générer un tel impact psychologique ? Pour répondre à cette question, Pascal Delaunay renvoie à la fameuse pyramide des besoins, dite pyramide de Maslow. "Cette pyramide organise les priorités pour être heureux dans la vie, or on s'aperçoit qu'une infestation de punaises de lit affecte tous les niveaux quasiment en un coup". Et de détailler : "pour être heureux, il faut avoir la santé ; or, la punaise de lit gratte, nuit au sommeil, impose de lutter physiquement pendant une longue période. Pour être heureux, il faut se sentir en sécurité, or la punaise pénètre non seulement le logement puisqu'elle s'infiltre chez vous, mais aussi l'intimité puisqu'elle s'immisce dans le lit. Le besoin de créativité est aussi touché parce que tout ce qui fait votre personnalité (décoration intérieure, vêtements...) disparait en partie ou est souvent malmené du fait des traitements. Elle impacte aussi le besoin de sociabilisation, puisqu'elle isole les victimes, les rend parfois agressives à cause du stress et du manque de sommeil, les transforme aussi souvent en coupables. En bref, en voulant aider, les proches souvent culpabilisent les victimes avec des phrases comme 'pourquoi tu n'as pas fait ça', 'tu aurais dû faire ça'..."
Évoquant un "effet domino" et une "sorte de spirale infernale" du fait de facteurs qui interagissent entre eux, comme le manque de sommeil qui favorise l'agressivité qui favorise elle-même l'isolement, le spécialiste constate sur le terrain qu'une infestation aux punaises de lit est "potentiellement traumatisante pour tout le monde" et que "toutes les couches sociales" sont concernées par cet impact.
À titre de repère, selon un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) publié fin juillet, un foyer français sur dix a été infecté entre 2017 et 2022.