Saybie, prématurée de 245 grammes, est sortie de la maternité : jusqu'où pourra aller la néonatalogie ?

Recueilli par A. Le Guellec
Publié le 31 mai 2019 à 8h11, mis à jour le 31 mai 2019 à 8h25

Source : JT 20h Semaine

EXTRÊME PRÉMATURÉ - Les nouvelles rassurantes d'un prématuré américain, sorti en bonne santé de la maternité cinq mois après sa venue au monde, alors qu'il ne pesait que 245 grammes à l'accouchement, interroge sur l'étendue des prouesses désormais possibles en néonatalogie. Où en sommes-nous ? Quels sont les prochains défis ?

Le plus petit bébé du monde, une petite fille prénommée Saybie, née en Californie avec un poids de 245 grammes, est sorti de l'hôpital, mercredi 29 mai, a annoncé l'établissement, après cinq mois de soins intensifs : "C'était un joyeux nourrisson de cinq livres (environ 2,3 kilos), en bonne santé". Une prouesse qui vient supplanter celle réalisée sur un bébé de sexe masculin né à Tokyo et sorti de l'hôpital en février 2019, alors qu'il était sorti du ventre de sa mère en ne pensant que 268 grammes.

Si des précédents cas de sortie de l’hôpital après plusieurs mois sans problème de santé "d'extrêmes prématurés" garçons nés avec un poids de moins de 300 g avaient été enregistrés en Allemagne en 2009 (274 g) ainsi qu’au Japon en 2009 (297 g), 2011 (294 g) et 2015 (289 g), ce récent cas marque un nouveau record dans le domaine de la néonatalogie. Que change cette nouvelle prouesse médicale ? Et jusqu'où peut aller la néonatalogie désormais ?  LCI avait interrogé, en février 2019, Jean-Christophe Rozé, professeur de pédiatrie à l'Université de Nantes, et vice-président de la société française de néonatalogie.

La rédaction de LCI. Le cas de ce bébé né en dessous de 300 grammes marque-t-il un nouveau cap dans les progrès de la néonatologie ?

Jean-Christophe Rozé, néonatalogiste : De manière générale, on travaille davantage en termes d’âge gestationnel que de poids du bébé, mais il y aussi d’autres facteurs qui entrent dans le pronostic et qui vont déterminer la prise en charge ou non d’un extrême prématuré : le sexe de l’enfant, la raison pour laquelle il est prématuré (infection foudroyante de l’œuf qui fait que l’enfant est expulsé ou au contraire hypertension artérielle très sévère de la maman qui nécessite de provoquer l’accouchement).

Partout dans le monde, on considère qu’un enfant en dessous de 22 semaines d’aménorrhée n’est pas viable, cela s’explique par un problème physiologique de développement du poumon. Donc malgré tous les progrès accomplis et à venir, 22 semaines est une limite certaine pour encore très longtemps, voire définitive. 

Contrairement à l’exemple du Japon où des enfants sont pris en charge dès 22 semaines d’aménorrhée, en France la limite inférieure de prise en charge se situe à 24 semaines d’aménorrhée du fait d’un certain nombre de complications dont on pense qu’elles ne seraient pas acceptées concernant notamment des troubles de cécité. 

Pour en revenir au cas de ce bébé prématuré au Japon, je ne pense pas qu’une équipe française par exemple aurait pris en charge un bébé si petit, notamment pour des raisons éthiques qui différent en Allemagne et au Japon du fait de leur histoire. Il y a eu des périodes d’eugénisme telles, qu’ils n’en sont toujours pas remis et la prise en charge des bébés prématurés est de fait plus importante et plus précoce dans ces pays. La France est quant à elle plutôt considérée comme une société handicapophobe, c’est-à-dire qu’elle fait peu de place au handicap. Or, dans la prise en charge des extrêmes prématurés la question n’est pas de faire survivre un poumon, un cœur, deux jambes et deux bras mais bien d’assurer le meilleur développement possible à l’enfant. En d’autres termes, il convient de mesurer les conséquences ultérieures associées à la prématurité.

La rédaction de LCI. Quels sont ces risques majeurs associés à l’extrême prématurité ?

Jean-Christophe Rozé, néonatalogiste : Les anciens prématurés ont des troubles du neuro-développement qui s’associent à quelques difficultés par exemple d’attention ou quand il s’agit de faire plusieurs choses en même temps. Globalement,  l’information circule un peu plus lentement dans leur cerveau que dans celui d’un enfant qui s’est développé complètement in utero. Les problèmes commencent en général dès la maternelle.

La plus grande préoccupation, c’est qu’ils ne développent pas de lésion cérébrale et que leur cerveau, qui est très fragile, connaisse une bonne croissance, une bonne maturation. C’est l’élément clé. En outre, il faut que  leur tube digestif mature bien, le canal artériel doit notamment se fermer.

En matière pulmonaire,  ils ont souvent des difficultés également mais un des grands progrès a été l'administration plus large de surfactant, une substance qu’on a au fond de nos poumons dont manque le prématuré au début. Mais en l’injectant, il y a un risque d’abîmer le poumon donc on fait tout pour ne pas l’abîmer pour éviter une dysplasie broncho-pulmonaire.

La rédaction de LCI. Vous évoquiez des progrès grâce à l'administration plus large du surfactant. Avez-vous d’autres exemples qui ont marqué un tournant pour la prise en charge des prématurés ?

Jean-Christophe Rozé, néonatalogiste : Pour résumer, dans les années 90, on a connu les gros progrès techniques à commencer par l’apport des nouvelles modes de ventilation qui, avec l'administration plus large du surfactant, ont nettement amélioré le problème de mortalité. A titre d’illustration, l’an dernier dans notre établissement, on a enregistré un seul décès parmi la vingtaine de bébés nés à 26 semaines d’aménorrhée. Après s’être concentré sur la mortalité, on s’est plus focalisé sur l’amélioration du développement de l’enfant en soignant mieux la relation mère-enfant , en développant l’allaitement en étant le moins agressifs possible.

L’autre différence, c’est qu’aujourd’hui l’obstétricien croit à cette prise en charge et donc il va mieux préparer l’accouchement, donner des corticoïdes pour mieux préparer les poumons de l’enfant. Auparavant, il était démontré que les médecins étaient pessimistes par rapport au devenir de ces enfants, l’obstétricien en premier lieu. Or on sait qu’en médecine, si vous ne croyez pas à une situation, la personne a moins de chance.

On a également récemment fait des progrès pour remédier à cette peur du handicap et de difficulté développementale. On est train d’évoluer. C’est tout l’objet de la première étude EPIPAGE dans le cadre de laquelle on était intervenus sur des enfants prématurés nés en 2011. Les résultats initiaux à la sortie de la maternité mettaient en évidence qu’en France, nous étions un peu en retard par rapport à d‘autres pays c’est-à-dire dans tous les centres on ne prenait pas en charge ou peu entre 24 et 25 semaines d’aménorrhée. Pour résumer, comme on n’avait pas de bons résultats, on ne proposait pas aux familles la prise en charge comme on ne prenait pas en charge activement on ne préparait pas bien le fœtus à la naissance, donc on n’avait pas de bons résultats et on était ainsi dans un raisonnement circulaire. On s’est posé beaucoup de questions après cette étude, qui ont conduit à prendre en charge de manière plus active ces enfants à 24 semaines un peu partout en France. Et depuis, progressivement, on abaisse le seuil de prise en charge.

La rédaction de LCI. Comment pourrait-on encore améliorer la prise en charge des bébés très prématurés ?

Jean-Christophe Rozé, néonatalogiste : Il y a un élément majeur qu’on a du mal à faire entendre aux autorités, c’est de parvenir à un ratio soignant-soigné extrêmement élevé, c’est-à-dire quasiment une infirmière pour un patient. Actuellement dans la loi c’est une infirmière pour deux patients. Ensuite, tout repose sur un meilleur suivi de ces enfants né prématurés sur le long terme.


Recueilli par A. Le Guellec

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