"Ma compagne a trouvé formidable que je le fasse" : pourquoi de plus en plus d'hommes se font vasectomiser en France

par Charlotte ANGLADE
Publié le 22 février 2019 à 15h10, mis à jour le 25 février 2019 à 10h11

Source : Sujet JT LCI

CONTRACEPTION MASCULINE - Papa d'un garçon de 25 ans et d'une fille de 22 ans, Marc était convaincu qu'il ne voulait pas d'autres enfants. Pour s'en assurer, et pour soulager sa compagne qui supportait mal sa contraception, il a pris une décision radicale : la vasectomie. Depuis quatre ans, le nombre d'interventions de ce type a doublé en France. Le chirurgien-urologue Vincent Hupertan nous explique en quoi elle consiste.

Marc avait 50 ans lorsqu'il a pris la décision de mettre un terme à sa fertilité. Après avoir eu deux enfants d'un premier mariage,  il a choisi, en accord avec sa nouvelle compagne qui avait elle-même deux enfants, de recourir à une vasectomie. "Cela lui permettait de ne pas être soumise à la contraception, qu’elle supportait mal, et m'assurait aussi de ne pas aller à l'encontre de mes principes sur un coup de tête : j'ai toujours eu une mauvaise image des hommes qui font des enfants tardivement", nous explique-t-il. Membre d'une association visant à développer la contraception masculine, l'Ardecom, ce Lyonnais était déjà bien renseigné sur cette opération consistant à sectionner les canaux qui transportent les spermatozoïdes des testicules à la prostate. Son entourage, lui, s'est montré compréhensif, voire très enthousiaste. "Ma compagne a trouvé formidable que je fasse cette démarche", assure-t-il.

Après avoir fait part de son projet à un urologue en 2006 et passé le délai de réflexion, il se lance dans l'intervention, qui se fait sous anesthésie générale. "Je suis venu à 11 heures et ressorti vers 18 heures. C'est passé comme une lettre à la poste !", nous raconte-t-il, évoquant seulement "une petite gêne" dans les deux jours suivants. Ce qui n'est pas le cas pour la démarche de conservation de spermatozoïdes qu'il a faite en parallèle "pour faire plaisir" à sa compagne. Elle préférait, nous explique-t-il, garder une chance de côté malgré tout. "J’ai trouvé ça plus difficile d’aller dans une cabine absolument inconfortable où l'on vous donne des magazines pornos plastifiés que de subir cette opération." Depuis, il vit "dans un confort psychologique total". "La contraception n'est plus un sujet."

Près de 5.000 vasectomies en 2017 et "un nombre explosif" aujourd'hui

Comme Marc, les hommes sont de plus en plus nombreux à faire ce choix. Si les chiffres français n'ont rien de comparable avec ceux du Canada et du Royaume-Uni où, en 2013, 22 % et 21% des hommes avaient bénéficié d'une vasectomie, ils sont en nette progression. Ainsi, alors que cette même année ils n'étaient que 2.755 à s'être laissés convaincre dans l'Hexagone, ils étaient en 2017 4.836, soit près du double. Vincent Hupertan, chirurgien-urologue et membre du Comité d'andrologie et de médecine sexuelle de l'Association française d'urologie, assure ainsi à LCI pratiquer ces temps-ci "un nombre explosif de vasectomies" dans sa clinique. "L’année dernière, j’étais à un rythme de deux à trois vasectomies par mois, ce qui est déjà beaucoup parce qu’à l’hôpital public on en fait 10 par an. Là, je me limite à 20 par mois car je n'ai pas anticipé le nombre de demandes, et je n’ai donc pas le matériel disponible pour en faire davantage."

Des hommes en couple, avec enfants et âgés de plus de 40 ans

Dans huit cas sur dix, les hommes qui prennent rendez-vous pour une vasectomie sont âgés de plus de 40 ans, en couple et ont des enfants, décrit le chirurgien-urologue. "Ce sont des hommes qui décident de ne plus laisser le fardeau de la contraception à leurs compagnes et qui sont décidés à ne plus avoir d'enfants." Ainsi, même s'il les encourage fortement à congeler leur sperme avant l'opération, peu d'entre eux y voient un intérêt.

"Il y a aussi tout un courant avec un regard différent sur la société, qui considère que la situation actuelle de la planète n'est pas propice à faire des enfants", ajoute le professeur, qui reçoit donc quelques jeunes sans enfant et ne souhaitant pas en avoir. S'il estime cependant que la personne est trop jeune pour subir une telle intervention, dans les faits irréversible, il est en droit de l'informer de son refus d'opérer lors du premier rendez-vous.

Une opération légale depuis 2001 en France

Cette opération, seulement autorisée en France depuis 2001, est ouverte à tous et réalisable sous un délai obligatoire de quatre mois de réflexion. Elle peut se faire de deux manières différentes. La première consiste, sous anesthésie générale, à ouvrir la peau scrotale du patient à l'aide d'un bistouri et à en extraire les canaux qui transportent les spermatozoïdes pour les ligaturer et les couper. L'intervention se fait le plus souvent en chirurgie ambulatoire. Le problème, c'est qu'elle laisse des cicatrices longues d'environ trois centimètres.

La seconde, inventée au début des années 1970 par un médecin chinois, est faite sans bistouri, la plupart du temps sous anesthésie locale, et ne dure qu'une dizaine de minutes. Les canaux sont ici amenés sous la peau grâce à une manipulation scrotale, puis attrapés à l'aide d'une  pince spécifique. Une pince pointue, qui remplace le scalpel, permet ensuite de faire un trou dans la peau. Les canaux sont extraits, ligaturés puis sectionnés, comme dans la première méthode. "Le problème de cette technique, c’est qu’elle est plus complexe. On estime qu'il faut 10 à 20 procédures encadrées par un chirurgien expert pour être au point", explique le chirurgien-urologue. Second frein : les instruments spécialement conçus pour cette opération sont introuvables en France. "J’ai commandé des instruments à l'étranger et ça fait trois mois que je les attends", regrette le professeur.

Un renouveau de la vie sexuelle malgré une stérilisation définitive

"Il faut que cela soit dans l’esprit des demandeurs, il s'agit d'une stérilisation définitive", insiste Vincent Hupertan. S'il est possible de se faire opérer de nouveau (vasovasostomie) pour 'reperméabiliser' le canal obturé, le retour de la fertilité est loin d'être assuré. Ainsi, alors que le taux de fertilité affiché au Canada est de 40 % après cette intervention, le professeur les juge trompeurs. "Au Canada, on fait entre 300.000 et 400.000 vasectomies par an. Et parmi ces hommes, il y a beaucoup de jeunes", qui ont donc plus de chance de redevenir fertiles après l'opération. "En France, les hommes qui bénéficient d'une vasectomie ont environ 40 ans. S’ils changent d’avis, ils auront 50 ans et on sait que déjà, sans chirurgie, la fertilité à cet âge n’est pas du tout la même qu’à 40 ans."

Mais selon le professeur Hupertan, il y a peu de chances que les hommes changent d'avis face aux avantages que procure une vasectomie. Au-delà du passage d'une contraception parfois contraignante pour les femmes à un moyen sûr, définitif et sans effet secondaire, elle décuplerait en effet également le plaisir sexuel. "Je suis en train de faire une étude statistique avec des chiffres qui montrent que la sexualité s’améliore après la vasectomie. À partir du moment où l’homme prend ses responsabilités pour assurer la contraception, c’est très bien perçu par la partenaire. L’homme a fait ça pour elle. C’est une sorte de renouveau dans la vie sexuelle du couple", explique Vincent Hupertan. "J’ai des contacts, à titre individuel, de personnes qui me disent que c’est génial, qui n’imaginaient même pas que ça puisse être comme ça. Tout le monde me dit  regretter de ne pas l’avoir fait avant."

Deux freins majeurs à son développement subsistent

Malgré tous les avantages que comporte cette opération qui gagne en popularité en France, deux freins majeurs freinent sa progression, insiste le professeur Hupertan. Le premier concerne la mauvaise communication autour de la vasectomie. Une grande partie de la population l'associerait encore à la castration. Or pour beaucoup d'hommes de culture latine, perdre sa capacité de reproduction revient à ne plus être tout à fait un homme.

Le deuxième concerne le remboursement de l'acte par la Sécurité sociale, qui avoisine les soixante euros. "Le prix de l’acte est très bas par rapport à la responsabilité que prend le chirurgien, par rapport aux consommables que cela nécessite. Dans quel autre métier on est payé 60 euros pour une heure passée au bloc opératoire ?", s'interroge le chirurgien-urologue. Ce trop faible remboursement ne motive donc ni les praticiens, ni les cliniques à réaliser ce genre d'intervention. Une étude conduite au sein du CHU de Rouen démontrait d'ailleurs, rapporte l'Association française d'urologie (AFU) que, réalisée au tarif sécurité sociale - c'eest le cas lorqu'elle est pratiquée dans un hôpital public ou par un chirurgien en secteur 1 -, chaque opération engendrait un déficit de l'ordre de 136,13 euros par patient.


Charlotte ANGLADE

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