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Vaccin anti-Covid : Pfizer fait-il vraiment 95% de marge ?

Publié le 9 mai 2023 à 16h52
JT Perso

Source : Sujet TF1 Info

L'intervention d'une économiste de la santé est largement relayée ces derniers jours.
Elle explique que Pfizer réalise une marge de 18,5 dollars sur chaque dose de vaccin Covid vendue 19,5 dollars.
Si la firme pharmaceutique a réalisé des profits considérables grâce aux vaccins, sa marge sur chaque dose est bien inférieure.

"L'arnaque du siècle". C'est par ces mots que des internautes décrivent les contrats signés entre les autorités européennes et les laboratoires pharmaceutiques lors de la crise Covid. Et pour cause : sur chaque dose de vaccin, les industriels du médicament prendraient des marges colossales. 

Interrogée par France 2 dans le cadre d'une enquête sur le laboratoire Pfizer, l'économiste de la Santé Nathalie Coutinet a expliqué que la firme américaine ne dépensait que 80 centimes environ pour produire une dose de vaccin. Dans le même temps, cette dernière est facturée "19,5 dollars". Conclusion ? Cela représente "18,5 dollars de marge sur chaque dose de vaccin", glisse-t-elle. Une opération "extrêmement profitable pour Pfizer", comme elle la décrit. Si l'entreprise s'est considérablement enrichie grâce à son vaccin, calculer ainsi les marges réalisées se révèle toutefois problématique. 

De gros profits, mais pas de marges aussi élevées

Soulignons-le d'emblée : la pandémie s'est révélée très profitable à Pfizer et aux autres entreprises qui ont réussi à produire et vendre des vaccins Covid. Pfizer a "généré 19 milliards de chiffre d’affaires en 2022 et devrait dépasser ce montant en 2023", soulignait il y a peu un expert à Capital, tout en voyant son cours en bourse progresser depuis 3 ans d'environ 35%. Des résultats financiers que certains jugent excessifs et dénoncent, mais qui ne sont pour autant pas la conséquence de marges aussi importantes sur les vaccins que celles évoquées dans l'extrait relayé sur les réseaux sociaux.  

Il faut noter tout d'abord une légère confusion : le fait que les sommes citées sont en euros et pas en dollars comme le dit l'économiste (l'UE s'approvisionne en vaccins Pfizer à raison de 19,5 euros la dose, et ce depuis l'été 2021). En revanche, le coût de production est bel et bien inférieur à 1 euro. S'il n'est pas évalué avec certitude, les spécialistes s'accordent pour dire que celui-ci reste modique. 

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La limite majeure du raisonnement se situe sur le différentiel entre le coût de production (faible) et le prix de vente bien plus élevé : les prétendus 18,5 euros de marge. "Ce qui coûte cher, c'est la recherche que demande la mise au point d'un vaccin", souligne auprès de TF1info l'avocate en droit pharmaceutique Joyce Valencia, spécialiste de l'accès au marché des produits de santé. "La plupart des molécules, en soi, ne sont pas chères."

"Le développement d'un médicament prend souvent beaucoup de temps", rappelle l'experte, même si pendant la pandémie des vaccins ont été produits rapidement. Il ne faudrait pas oublier dans ce cadre que des firmes "se sont appuyées sur des recherches de plus de 20 ans, pour l'ARN messager notamment, et ont capitalisé dessus". Des périodes de travail très longues à l'issue incertaine et durant lesquelles les médicaments/vaccins pas encore commercialisés "ne rapportent en général rien du tout aux labos". 

Une multitude de coûts annexes réduisent les marges

Joyce Valencia ajoute que Pfizer, comme toute autre firme de l'industrie pharmaceutique, doit couvrir des dépenses annexes, en parallèle du seul coût de production brut des vaccins. "Régler les salaires de tous les salariés, rémunérer le travail des juristes qui vont s'occuper d'enregistrer les droits, de gérer les brevets... On peut aussi évoquer le coût lié au contrôle qualité sur les chaînes de production, qui requiert des compétences très spécifiques, ou bien encore les dépenses liées au transport. A fortiori quand certains vaccins avaient besoin d'être conservés dans des milieux réfrigérés à basse température."

Ce n'est pas tout : "Il faut aussi financer la communication médicale, c'est-à-dire les gens qui vont informer la communauté médicale sur la manière de bien administrer une molécule par exemple. Sans compter les services qui recueillent les informations de pharmacovigilance et vont mettre à jour les notices." À l'instar de nombreux autres entreprises dans des secteurs d'activités variés, Pfizer et ses concurrents assument des frais liés aux locaux, à l'énergie, s'acquitte d'impôts... Bref, il est particulièrement réducteur d'avancer que la marge réalisée sur la vente d'un vaccin peut s'obtenir simplement en soustrayant son coût de production du montant auquel il est acheté. 

Un dernier point à ne pas négliger est la dépense relative aux essais cliniques. "À la charge des laboratoires, comme l'impose le Code de santé publique", souligne l'avocate. Le journal Le Monde, qui tentait de disséquer voilà deux ans le prix des vaccins, avançait que "Pfizer pourrait avoir dépensé au moins 300 millions de dollars (246 millions d’euros)" pour les seuls essais de phase 3. Si la marge que réalise la firme sur chaque dose vendue à l'UE demeure confidentielle, il est donc trompeur d'affirmer qu'elle avoisinerait les 95% du prix de vente final pour chaque vaccin.

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Thomas DESZPOT

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