ÇA S'EN VA OU ÇA REVIENT ? - Si les indicateurs sont loin d'être au vert, un reflux est observé sur les cinq continents, ou une stagnation comme dans le cas français. Comment l'explique-t-on, et peut-on s'en faire une raison d'espérer ? Les variants pourraient-ils inverser cette tendance positive ? Des éléments de réponse avec l'épidémiologiste Martin Blachier.
Ici ça baisse, là ça stagne. À l'échelle mondiale, l'épidémie semble légèrement marquer le pas, si l'on en croit les courbes publiées par l'université Johns Hopkins ou le blog scientifique Endcoronavirus. Il est toutefois difficile de discerner les facteurs à l'œuvre derrière ces courbes encourageantes. Les mesures de restrictions, le changement de saison, un déclin naturel de l'épidémie ?
Le nombre des contaminations n'est que le solde de mouvements sous-jacents multiples. Ainsi, de nombreux épidémiologistes redoutent que le reflux apparent soit celui de la souche d'origine, et qu'il masque la montée en puissance de variants beaucoup plus contagieux. Le docteur Martin Blachier ne croit pas à ce scénario alarmiste, dont les chercheurs de l'INSERM avaient publié le modèle dimanche dernier.
Cette baisse générale du nombre de contaminations est-elle réelle ?
Martin Blachier : Il y a effectivement une baisse dans différents endroits du globe, mais qui ne sont pas forcément reliés. Il y a surtout eu un apprentissage de cette épidémie. Aujourd’hui, pratiquement plus aucun pays n’a dans l’idée de la laisser filer sans contrôle.
Globalement, il a eu beaucoup de reprises épidémiques à l’automne, parce que les pays n’avaient pas anticipé le facteur de l’arrivée des mauvais jours. Certains ont tout de suite mis en place des mesures, d’autres ont un peu traîné, mais cette reprise épidémique est aujourd’hui jugulée dans la plupart des pays.
On est donc dans cette phase-là. Mais derrière ce constat du recul de l'épidémie, certains sous-entendent qu’il y aurait un phénomène tiers, qui agirait sur l’épidémie partout et en même temps. Or ça, je n’y crois pas trop. Le seul phénomène commun, c’est l’hiver, avec un relâchement général au mauvais moment qui a laissé repartir l’épidémie, avant que quasiment tous les pays ne mettent en place des mesures plus drastiques pour la contrôler.
Le scénario d'une reprise épidémique, cachée derrière un apparent reflux, est-il crédible ?
C’est loin d’être certain. Le modèle qui a été conçu par l'Inserm est beaucoup trop simpliste, ce n’est clairement pas comme ça que les choses sont en train de produire. On a un variant anglais qui domine l’autre, mais on ne sait pas exactement comment. Est-ce que c’est parce qu’il est moins sensible à l’immunité qui a été acquise dans la première vague ? Ou parce qu’il s’accroche mieux aux récepteurs, ou encore parce qu’il se développe au sein de communautés hyper-contaminatrices ? Franchement, on n’en sait rien. La seule chose qu’on sache, c’est qu’il domine. Dans les virus, il y a toujours un jeu entre des souches, certaines finissent par en dominer d’autres, pour des raisons assez complexes, et qui ne vont pas toutes dans le même sens.
La domination du variant sur la souche originelle a été trop associée avec une plus grande contagiosité
La vraie erreur de jugement dans le scénario d'une flambée épidémique, c’est que la domination du variant sur la souche originelle a été trop associée avec une plus grande contagiosité. En gros, ses tenants considèrent que vous avez deux souches virales, qui évoluent dans deux populations complètement indépendantes. C’est comme si vous lâchiez le virus dans une ville A, et le variant dans une ville B, avec un même niveau de mesures barrières. Le virus d’origine aurait un R à 0,9, et le variant à 1,2 (R étant l'indice de contamination, le nombre de personnes qu'un malade va infecter, NDLR). Le premier, ils le voient plonger doucement, pendant que l’autre part du bas et monte inexorablement. Les deux courbes se croisent indépendamment l’une de l’autre, en occultant complètement l’idée de compétition entre elles.
Le variant anglais va se retrouver plafonné au rythme de l’épidémie
Ce n’est pas du tout la lecture que je fais de ce qui est en train de se passer. Je pense que les deux souches sont réellement en compétition dans la population. Je me demande même s’il n’y a pas des gens qui portent les deux souches, et qu’alternativement, c’est l’une ou l’autre qui infecte des tiers. Je pense aussi que le rythme de l’épidémie est tempéré par le niveau des mesures barrières. Ce que fait le "variant anglais", c’est prendre la place du variant existant. Dès qu’il l’aura prise entièrement, il va se retrouver plafonné au rythme de l’épidémie, qui lui est déterminé par les mesures-barrière.
S’il y a une souche qui prend le dessus sur l’autre et qui l’éteint, c’est bien qu’il y a une compétition entre elles. Sinon, elles auraient chacune une histoire totalement indépendante, mais à aucun moment une souche n’écraserait l’autre. Au bout de leur scénario, l’épidémie viendrait s’étalonner sur le R 1,2 de la souche anglaise. Or, ce taux de reproduction n’est pas celui de l’épidémie elle-même, c’est celui de la prise de parts de marché de la souche anglaise sur la précédente.
Les tenants de cette théorie en viennent à estimer qu’il s’agit d’une nouvelle épidémie, qui va prendre le relais quand le "premier virus" sera devenu insignifiant. C’est beau sur le papier, mais clairement faux sur un plan virologique.
Danemark, le contre-exemple
Qu’est-ce qui se passera alors, quand le variant aura pris le pouvoir ?
Une fois que le variant aura éteint l’autre souche, en le prenant de vitesse et en profitant de toutes les interactions, il n’en aura plus autant. Il sera cantonné aux interactions à sa disposition, c’est-à-dire en gros 20.000 contaminations par jour. Il ne progressera plus, c’est lui qui sera calmé par le rythme de l’épidémie. Dès qu’il aura pris toute la place, il sera sur un R à 0,8.
Ça ne changera strictement rien sur le plan épidémique, sinon qu’on aurait dès lors 100% de ce variant... et toujours 20.000 cas par jour. C’est ma théorie, je pense que c’est ce qui va se passer. À l'inverse, suivons un instant ce modèle que je rejette : en Île-de-France, où la moitié des souches sont britanniques, on devrait avoir un taux de reproduction entre 1,1 et 1,2. Or on est toujours au-dessous de R-1 dans la région.
Au Danemark, on a un contre-exemple encore plus net : ils ont un taux de variant anglais qui augmente, et des courbes de contamination qui descendent nettement. L'épidémie ne fait que décroître, alors que le variant anglais est beaucoup plus haut que chez nous. On voit donc bien que ça n’a rien à voir. À l’inverse, dans les pays qui avaient rouvert les bars et restaurants, comme le Portugal ou le Royaume-Uni, le variant anglais a certes pris, mais en pleine période de contagion.
Et en France ?
On est sur un taux de reproduction de 1, grâce à l'équilibre un peu difficile à tenir qu'on a trouvé. Le variant anglais prend de la place, mais le taux de contamination se maintient. Ma théorie, c’est que le variant anglais n’a aucun impact sur la dynamique de l’épidémie globale, seulement sur le rythme de remplacement des souches les unes sur les autres.
C’est totalement cohérent avec ce qu’on sait des autres virus. Par exemple avec le VIH, vous avez des souches qui prennent le dessus sur d’autres, mais ce n’est pas ça qui détermine les rythme des contaminations de VIH, ce sont bien les relations non-protégées.
Il n’y a donc pas de "paradoxe danois". Il n’y a pas non plus eu une explosion des cas en Grande-Bretagne qu’on puisse attribuer au seul variant. Et on ne voit pas l’explosion annoncée en France. Je crois que dans trois semaines, ce scénario sera oublié, mais on se dira que c’est grâce au vaccin.
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