IDIOCRATIE - Chacun a sa vision de la connerie humaine. Mais pourquoi ce mal (dont nous souffrons tous, certes plus ou moins) est-il à ce point répandu, parfois même glorifié ? Psys, philosophes, sociologues, écrivains tentent de plus en plus de comprendre pourquoi, des siècles après le mouvement des Lumières, la bêtise continue de penser et de triompher.
"Quand on mettra les cons sur orbite, t'as pas fini de tourner". Cette réplique culte, assénée par Jean Gabin dans le film Le Pacha de Georges Lautner, montre combien le Français aime rire de la connerie, un mal que nous partageons tous (selon la fameuse phrase, "on est toujours le con de quelqu'un"). On le constate tous, au point que les psychologues, spécialistes émérites du comportement humain, essaient désormais de définir cette nouvelle science qu'est la "connologie" (soit l'étude de la connerie, avec cette question sous-jacente : "sombrons-nous de plus en plus dans la connerie ?"
A voir certains développements contemporains (abrutissement des masses, théories du complot, indignation contre des bêtises sans intérêt, like et dislike sur un débat crétin, passion pour des lubies sans lendemain, on en passe), la question se pose en effet. Une préoccupation que partage l'écrivain Armand Farrachi : dans son livre Le triomphe de la bêtise, publié en mai dernier, il constate que "la civilisation a cru qu'en échappant à la condition des animaux et aux lois naturelles, elle s'acheminait vers sa perfection. Il semble qu'on puisse aujourd'hui penser le contraire ; on n'échappe pas à la nature sans verser dans l'erreur et plus souvent dans la bêtise."
Alors, à une heure où nous sommes cernés par l'idiocratie, pléthore de questions nous taraudent : que se passe-t-il vraiment dans la tête d’un con ? Quelle est sa philosophie de la vie ? Pourquoi nous exaspère-t-il et, pour les plus masos (et les scénaristes de comédies), pourquoi fascine-t-il à ce point ?
Ce n'est pas que le con méprise les autres, c'est plutôt qu'ils ne semblent pas mériter son attention. A partir du moment où on ne comprend pas en quoi il est extraordinaire, on ne mérite pas son intérêt".
Aaron James, professeur de philosophie
Le journaliste Jean-François Marmion a pris ces questions de bipèdes au Q.I. de protozoaire très au sérieux. Dans son introduction à "Psychologie de la connerie", qui vient de paraître, il met d'emblée en garde : "Vous qui entrez ici, laissez toute espérance". Comme il l'écrit lui-même, effectivement, la connerie, chacun la connaît ("nous la supportons tous au quotidien"). Pour mieux la comprendre et ainsi mieux la combattre ("même si nous sommes vaincus d’avance", dit l'auteur), il a donc passé le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, le professeur de philosophie à l’Université de Californie Aaron James ou encore le scénariste de Luis Buñuel, Jean-Claude Carrière, à la question.
Différentes formes de connerie
Premier constat, et pas des moindres : il existe autant de formes d'intelligence (linguistique, logico-mathématique, spatiale, intra-personnelle, interpersonnelle...) que de formes de connerie : du "con génétique" au "con pulsionnel" en passant certainement par le "con tout court" ou le "con de service", il y a l'embarras du con. Mais comme mentionné par Aaron James dans le livre de Jean-François Marmion, l’exemple typique du bon gros connard reste celui qui "ignore la file d’attente à la Poste" : "Ce n'est pas qu'il méprise les autres, c'est plutôt qu'ils ne semblent pas mériter son attention. A partir du moment où on ne comprend pas en quoi il est extraordinaire, on ne mérite pas son intérêt".
Eric Schwitzgebel, professeur de philosophie américain, auteur d'un long article pour le site Aeon sur le sujet baptisé la Théorie des cons, confirme : "Le con est incapable de comprendre le point de vue de ceux qui l’entourent et les traite comme des outils à utiliser ou des idiots à gérer plutôt que des semblables sur le plan moral". Et si l'on devait donner l'antithèse parfaite du con, ce serait le gentil qui "voit les autres, même les étrangers, comme des personnes distinctes avec des points de vue ayant une valeur, dont les désirs et les opinions, les intérêts et les objectifs méritent l’attention et le respect."
Donald Trump, "uber connard"
Toujours dans le livre de Jean-François Marmion, le professeur de philosophie Aaron James considère ainsi Donald Trump comme le "uber connard", soit "un connard qui inspire à la fois respect et admiration pour sa maîtrise de l’art de la connerie malgré la compétition de ses pairs". Mais le psychiatre et spécialiste des thérapies comportementales et cognitives Jean Cottraux met de son côté en garde contre une espèce plus sournoise encore, celle du "sale con" ("Deux intellectuels assis vont moins loin qu’une brute qui marche", assénait Michel Audiard dans Un taxi pour Tobrouk).
D'après l'enquête publiée en 2008 par le psychologue cognitiviste René Zazzo, "le con serait quelqu’un qui manque d’intelligence émotionnelle et reste abusé de lui-même tout en abusant des autres du fait de son égocentrisme." Un trouble de la personnalité narcissique "culturel banal et contemporain", qui trouve son origine "dans la société de consommation depuis les années 1960 et le développement récent des technologies de communication de masse" et qui touche, selon une étude américaine, 0,8 à 6 % de la population et serait de plus en plus fréquent dans les jeunes générations nées après la généralisation d’Internet.
Il n’existe que deux choses infinies : l’univers et la bêtise humaine… mais pour l’univers je n’ai pas de certitude absolue.
Albert Einstein
Une connerie particulièrement à l'épreuve dans le monde du travail... Le connard en entreprise jouit "de la soumission et de la souffrance des autres, et fait carrière pour assouvir sa passion pour l’humiliation". Pour stopper l'hémorragie, Jean Cottraux vante la "No Asshole Rule" (soit la "règle du non au sale con") consistant à voir au-delà du CV si le futur salarié que l'on souhaite embaucher n'est pas un sale con dont la toxicité narcissique peut constituer un vrai fléau.
Mais peut-on éradiquer pour de bon la connerie de la planète Terre ? Impossible, car la vie ne ressemble malheureusement pas à une chanson humaniste de Michael Jackson. D'autant que, comme l'assure la professeure de psychologie clinique Stacey Callahan, citée dans "Psychologie de la connerie", celle-ci "est inévitable, car nous sommes tous des êtres humains. Nos conneries sont nos propres produits – et nos réactions à ces dernières le sont aussi". Reste, pour le con, "l’acceptation inconditionnelle de soi", qui peut nous aider à "accepter nos déficiences, apprendre par le vécu et se résoudre à progresser – tout en gardant une attitude bienveillante d’acceptation inconditionnelle de son être". Laissez toute espérance, nous disait Jean-François Marmion en préambule.
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