Alunissage réussi pour Chang'e-5 : pourquoi la Chine s’intéresse-t-elle autant à la Lune ?

Publié le 1 décembre 2020 à 17h37, mis à jour le 2 décembre 2020 à 18h08

Source : Sujet TF1 Info

CONQUÊTE SPATIALE - L'alunissage de la sonde Chang'e-5 s'est déroulé avec succès ce mardi. Avec sept engins chinois autonomes sur et autour de notre satellite naturel, la Chine est de loin le pays qui explore le plus la Lune actuellement.

Depuis 20 ans, la Chine reproduit méthodiquement les étapes que les Etats-Unis et l’Union soviétique ont franchies dans l’exploration spatiale au cours des années 60 et 70. Depuis l’annonce de son programme d’exploration lunaire, dont le coup d’envoi a été lancé en 2007 avec la mission Chang’e-1, la Chine démontre qu’elle peut aujourd’hui prétendre, sans avoir à rougir, au statut de grande puissance spatiale. Il y a un peu moins d’un an, Pékin a réussi l'exploit de faire alunir l'atterrisseur Chang'e-4 et son robot motorisé Lapin de Jade 2 sur la face cachée de la Lune, ce que personne n'avait encore réussi jusqu'à présent.

Rebelotte moins d’un an plus tard, mais cette fois-ci sur la face connue de l’astre. Partie de la Terre le 24 novembre dernier, depuis la base spatiale chinoise de Wenchang dans le Hainan, le vaisseau chinois Chang’e-5 (du nom de la déesse de la Lune dans la mythologie chinoise) a effectué ce mardi une chute vertigineuse de plusieurs centaines de kilomètres avant d'alunir en douceur à 16h15 (heure de Paris) comme prévu dans la zone du Mont Rümke, un massif montagneux volcanique situé à une altitude de 1100 mètres. La température qui y règne est si glaciale que la sonde et son robot ne pourront y séjourner que 14 jours, le temps d’une journée sur la Lune. 

La Chine lance une rare mission pour ramener des roches lunairesSource : Sujet TF1 Info

Une première depuis la mission soviétique Luna 2

Après s'être posé sur la Lune, contrairement à son prédécesseur, Chang’e-5 aura pour mission de creuser à 2 mètres de profondeur puis d’extraire deux kilos de roches du sol lunaire pour ensuite les ramener sur Terre. Une opération périlleuse et une première depuis la dernière tentative soviétique, avec la mission inhabitée Luna 24 menée avec succès en 1976. Sauf qu’à l’époque, le trajet Lune-Terre avait été effectué directement. La Chine utilisera pour sa part une méthode bien plus complexe. Les roches devront tout d'abord être placées dans un module de remontée (lequel devra regagner l'orbite lunaire) puis transvasées dans une "capsule de retour", qui effectuera le voyage vers la planète bleue. Le retour des roches devrait intervenir avant la mi-décembre, en Mongolie-intérieure (nord de la Chine).

Pékin ne compte pas s'arrêter en si bon chemin, deux autres missions sont déjà en préparation. Après Chang'e-5, l'Administration spatiale nationale chinoise (CNSA) prévoit de lancer l’an prochain Chang’e-6 qui, tout comme cette mission, aura pour but de recueillir des échantillons et les ramener sur Terre. La France fera d’ailleurs partie du voyage, quinze kilos de matériel français, servant à effectuer des expériences scientifiques sur le satellite naturel de la Terre, seront à bord de la future mission Chang'e-6. Ce partenariat fait d'ailleurs de la France le pays du monde ayant le plus de coopérations spatiales avec la Chine, un pari sur l'avenir. 

Pourquoi la Chine s'intéresse-t-elle autant à la Lune ?

Car depuis plusieurs années, l'Empire du Milieu investit des milliards d’euros dans son programme spatial, piloté par l’armée. Pékin ambitionne même d'envoyer des taïkonautes sur la Lune et d'y établir une base à l'horizon 2030. "Le terrain lunaire est considéré comme un laboratoire, un champ d'expérimentation idéal pour tester les technologies, appareils et véhicules, ainsi qu'un terrain d'entraînement pour les astronautes. Les connaissances acquises serviront aux futures missions martiennes", comme le soulignait auprès de LCI Athéna Coustenis, directrice de recherche au CNRS au sein du Laboratoire d'études spatiales et d'instrumentation en astrophysique (LESIA) à l’Observatoire de Paris et présidente du comité européen des sciences spatiales. 

L’été dernier, une sonde chinoise avec à son bord un robot téléguidé ont quitté la Terre en direction de la planète rouge, dans le cadre de la mission Tianwen-1 ("Question au ciel" en mandarin) n’est pas la première tentative chinoise d’aller vers Mars. Un précédent essai avait eu lieu en 2011 lors d’une mission conjointe avec la Russie. Mais à l'époque, la sonde envoyée avait cessé de fonctionner juste après son lancement. "En dix ans, la Chine a fait pratiquement ce que le domaine spatial a mis cinquante ans à réaliser. C'est assez impressionnant", souligne la chercheuse. Mais de nombreuses étapes préparatoires seront nécessaires avant d’envisager d'y envoyer des humains. Et la Lune fait donc figure de tremplin, d'où la volonté chinoise d'y multiplier les missions. 

Et si le prochain Neil Armstrong était un taïkonaute chinois ?

Dans ce "remake" des années 1960, où l’empire du Milieu tient la place de l'Union soviétique, rien ne dit que les Américains seront les premiers à toucher au but. "Certes, les Américains visent 2024. Mais rien ne garantit qu’ils y parviennent. Il est donc tout à fait possible que la Chine devance les Etats-Unis. Ils ont pris le train de la conquête spatiale en marche. Mais ils arriveront peut-être au terminus avant les autres. La volonté politique est là, tout comme les moyens financiers et humains", comme l'expliquait à LCI Athéna Coustenis. Au-delà du prestige politique, retourner sur la Lune présente un réel intérêt scientifique. 

La découverte d’eau sous la surface de notre satellite a ouvert de nouvelles perspectives, ce qui explique en partie ce retour en grâce et la multiplication des missions robotiques. L’une des grandes questions dans l'exploration du Système solaire est d’étudier les conditions d’habitabilité. Et l’eau en est l’un des principaux critères. La Lune offre également un environnement unique pour se pencher sur l’histoire précoce de notre planète. Comme il n’y a pas d’atmosphère ni d’érosion à sa surface, les sédiments qui s’y trouvent ont été préservés depuis des milliards d’années. C’est un peu comme un fossile qui nous apporte des éléments de réponse sur la manière dont est apparue la vie sur la Terre. Notre histoire commune, pour ainsi dire.


Matthieu DELACHARLERY

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