Plébiscité par le gouvernement, l'hydrogène est-il vraiment écolo ?

Pierre Gallaccio & Thomas Deszpot
Publié le 5 mai 2021 à 17h09, mis à jour le 5 mai 2021 à 17h16

Source : TF1 Info

ENVIRONNEMENT - Mis à l'honneur dans la récente loi Climat et au cœur d'un vaste plan d'investissement, l'hydrogène est à la mode. À l'heure actuelle, il reste pourtant difficile de parler d'une énergie "écolo".

Les énergies fossiles seront-elles bientôt ringardes ? S'il est sans doute trop tôt pour le dire, le gouvernement mise sur cette énergie pour préparer l'avenir. La loi Climat adoptée à l'Assemblée en ce début de semaine prévoit le développement de cette filière, un vote qui fait écho au déblocage de 7,2 milliards d’euros sur dix ans pour le développement de l'hydrogène décarboné. À la clef, "6 millions de tonnes d'émissions de CO2 économisés en 2030", assurait Barbara Pompili, la ministre de la Transition écologique.

S'il est en vogue, voire à la mode comme en témoignent la mise au point de récents concepts-car, l'hydrogène peut-il être au cœur d'une stratégie visant à décarboner l'économie ? Peut-on le qualifier d'écolo ? Pour le savoir, Les Vérificateurs se sont penchés sur les spécificités de cette filière (très) particulière. Une enquête de terrain qui montre les avantages de cette énergie, mais aussi ses limites qui, à l'heure actuelle, la rendent moins verte qu'elle n'en a l'air.

Seule de l'eau est rejetée

Contrairement aux moteurs thermiques qui rejettent dans l'atmosphère des gaz à effet de serre, les machines et véhicules qui fonctionnent à l'hydrogène ne rejettent... que de l'eau ! La pile à combustible qui est alimentée par cette matière (et qui produit l'électricité nécessaire au moteur), n'entraîne la production d'aucun polluant lors de son cycle de fonctionnement. Sans surprise, on observe donc le recours à ces systèmes pour des réseaux de transports, à l'instar de la ville de Pau qui a décidé d'investir dans des bus à hydrogène. 8% de la flotte est concernée aujourd'hui dans la ville et des industriels tels qu'Airbus planchent déjà sur des avions embarquant ces technologies.

À Pau comme ailleurs, on se heurte toutefois à quelques obstacles : outre le prix encore conséquent des piles à combustibles, il faut pouvoir assurer un approvisionnement conséquent en électricité. Pour cause, c'est elle qui permet de séparer la molécule H2 de celle de l'eau (H2O). Et les quantités requises s'avèrent considérables : du côté des responsables palois, on explique que la consommation d'électricité annuelle des bus est équivalente à celle de la moitié de l'éclairage public annuel pour une ville de 80.000 habitants. 

Si l'hydrogène entraîne une surconsommation d'électricité, il devient donc impératif de démultiplier les productions d'énergies renouvelables. Inutile, de fait, de développer des piles à combustibles non polluantes, mais dont le fonctionnement sera assuré par une électricité produite issue de centrales nuisibles pour l'environnement. À l'échelle mondiale, 95% de la production d'hydrogène est assurée par les énergies fossiles, c'est peu.

L'entreprise Air Liquide développe au Canada des projets de production industrielle d’hydrogène bas carbone. Une inauguration récente et des avancées rendues possibles grâce à l'énergie abondante disponible provenant des barrages hydroélectrique En France, nous n'en sommes pas encore là puisque si l'entreprise œuvre à une décarbonation progressive de sa production d’hydrogène, elle a toujours recours massivement à du gaz naturel aujourd'hui.

L'avenir de l'hydrogène est donc intimement lié à celui de la production d'électricité, ce qui implique de penser l'énergie comme un système global et interdépendant. Interrogé par TF1, Daniel Hissel, professeur-chercheur au CNRS, souligne que si la flotte automobile française ne devait être alimentée qu'en hydrogène "vert", il serait impératif de multiplier de cinq à sept fois notre production d'électricité issue du renouvelable.  

D'autres contraintes à prendre en compte

Pour interroger l'impact écologique de l'hydrogène, il est essentiel de prendre en compte tous les maillons de la chaîne. S'intéresser par exemple aux ressources nécessaires pour produire une électricité verte, que ce soit les cellules des panneaux photovoltaïques ou les pales des éoliennes. Mais également aux piles à combustibles, qui requièrent des matériaux spécifiques et rares pour être produites. 

Fort heureusement, le platine de ces piles - élément essentiel - est assez facilement recyclable. L'industrie automobile, qui en utilise pour les pots catalytiques, peut faire valoir ses compétences en la matière. Mais lorsque l'on se penche sur l'extraction de cette denrée rare, tout se complique. Les trois quarts de la production mondiale de platine viennent en effet d'Afrique du Sud, ce qui implique des flux de marchandises considérables pour le faire transiter à travers le globe. Sans compter la pollution induite par l'extraction minière, particulièrement nocive pour l'environnement. 

Rappelons enfin que si le développement de l'hydrogène fait partie des pistes pour réduire de manière drastique nos émissions de gaz à effet de serre, il sera important de parvenir à localiser en France une partie de cette filiale. Les piles à combustibles utilisées dans les bus de Pau sont pour l'heure produites à l'étranger. Des pièces qui transitent ensuite jusque dans l'Hexagone par le biais de moyens de transports polluants. 

Prometteuse, l'utilisation de l'hydrogène se heurte donc aujourd'hui à une série de contraintes. Les plans d'investissements décidés ces derniers mois doivent permettent d'accompagner une décarbonation progressive de l'industrie, mais il serait trompeur de voir dans l'utilisation de l'hydrogène une solution 100% écologique et pérenne. Outre les questions qui entourent la production des énergies vertes indispensables à sa production, étendre la réflexion aux approvisionnements en matières premières et pièces manufacturées semble pour le moins essentiel. 

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