"Envoyer des hommes sur Mars, ce n’est pas de la science, c’est du spectacle"

Publié le 27 novembre 2018 à 10h28, mis à jour le 20 décembre 2018 à 10h59
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Source : Sujet JT LCI

INTERVIEW - Apollo était le programme emblématique du XXe siècle, la conquête de Mars sera le challenge du XXIe siècle. Oui, mais quand ? Alors que le module américain InSight s'est posé lundi soir à la surface de la planète rouge, LCI a posé la question à Francis Rocard, responsable du programme Système solaire au Cnes.

"Touchdown confirmed !" (en français, "Atterrissage confirmé !"), s'est exclamée la contrôleuse de la Nasa depuis le centre de contrôle de la mission, à Pasadena en Californie (Etats-Unis). Après une longue odyssée spatiale de plus de six mois et sept minutes d'angoisse durant sa périlleuse descente, la sonde américaine InSight a atterri comme prévu ce lundi 26 novembre à la surface de la planète rouge. La Nasa l'assure : au cours de ce siècle, l'homme marchera sur Mars. Oui, mais quand exactement ?

Car il reste tout de même à surmonter de lourds défis techniques et à résoudre la question épineuse du financement. Apollo était le programme emblématique du XXe siècle, la conquête de Mars sera le challenge du XXIe siècle, selon les astronomes. LCI a interrogé Francis Rocard, responsable du programme Système solaire au Cnes, pour faire le point sur la conquête de Mars.

LCI : Allons-nous, d’ici la fin du siècle, envoyer un homme pour fouler le sol de Mars ?

Francis Rocard : Ma conviction est que nous foulerons le sol martien au milieu du XXIe siècle. Difficile d’être plus précis, car cela va dépendre de beaucoup de paramètres, y compris celui de la volonté politique américaine de poursuivre. Quand la Nasa parle d’envoyer des hommes vers Mars au cours de la décennie 2030, cela ne veut pas dire qu’ils vont se poser à sa surface. Je pense que l’homme va s’installer tout d'abord en orbite martienne,  avant même de s'y rendre.

Grosso modo, le plan de la Nasa est d’établir une base en orbite lunaire et d’en faire le point départ des missions habitées vers des astéroïdes et les lunes de Mars ?

La priorité de la Nasa est en effet d'établir une station spatiale en orbite lunaire. C’est l'étape qui a été retenue pour préparer l’homme sur Mars. Dans l’exploration spatiale, on commence d’abord par réaliser des choses simples, avant de passer aux choses complexes. Or, pour aller sur Mars, il va falloir effectuer des vols de très longue durée : un aller et retour vers Mars, cela peut prendre deux ans et demi. Personne n’a jamais fait ça jusqu'à présent. Avant de s'y rendre, il y a donc des cases à cocher. Avec la station en orbite lunaire, on en coche deux ou trois. Mais il en restera encore sept ou huit avant d'envisager une mission habitée.

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Plus concrètement, à quoi va servir la station en orbite lunaire, d’un point de vue scientifique ?

Nous aurons des vols relativement lointains, à plus de 400.000 kilomètres de la Terre. Nous allons  y rester durant plusieurs mois. De ce fait, nous pourrons observer, sur du plus long terme, les effets des radiations auxquelles seront confrontés les astronautes en partance vers Mars. Nous allons devoir développer des vaisseaux très lourds pour construire cette station. En matière de logistique, ce sera aussi très différent de l'ISS, qui est à 400 kilomètres de la Terre avec des liaisons quasi permanentes. Ce qui ne sera pas le cas de la Lune. 

Quel rôle va jouer l’Europe dans la conquête de Mars ?

L’agence américaine développe actuellement son propre vaisseau spatial, la capsule Orion. Il est pensé pour des missions au-delà de l’orbite terrestre, à savoir la Lune et plus tard Mars. Et c’est l’Agence Spatiale Européenne (ESA) qui en fabrique l' ESM (pour European Service Module). Ce module sera connecté à Orion. Le premier vol en version non habitée est prévu pour fin 2019. Pour ce qui concerne la station en orbite lunaire, à proprement dit, l'ESA planche sur deux modules, l'un pour les communications et l'autre pour l'habitat de longue durée. Pour l'instant, ces deux projets n'ont pas encore reçu l'aval des ministres en charge de l'espace des pays membres de l'ESA, dont le prochain budget sera voté fin 2019.

L’homme sur Mars en 2025, comme le prédit Elon Musk, je n’y crois pas une seconde, personnellement.
Francis Rocard, responsable du programme Système solaire au Cnes

Elon Musk, lui, prédit qu’un homme ira sur Mars dès la prochaine décennie…

L’homme sur Mars en 2025 (comme le prédit le PDG de SpaceX, ndlr), je n’y crois pas une seconde, personnellement. Au début des années 2000, lorsqu'Elon Musk a commencé à parler de lanceurs réutilisables, on n’y croyait pas trop. Pour être honnête, on pensait même que c’était impossible. Et pourtant, et il l'a fait. Franchement, je lui tire mon chapeau ! Cependant, il ne faut pas oublier que la Nasa a signé, avec l’argent du contribuable américain, pour plusieurs milliards de dollars de contrats avec SpaceX. Sans l’agence spatiale américaine, l’entreprise d’Elon Musk aurait déjà mis la clé sous la porte depuis longtemps.

Quel est l'intérêt d'envoyer des hommes sur Mars, hormis le prestige d'entrer dans l'Histoire ?

Envoyer des hommes sur Mars, ce n’est pas de la science, c’est du spectacle. Les Américains sont les seuls au monde à consacrer la moitié de leur budget spatial civil aux missions habitées. Les autres pays, comme la France, considèrent que les vols habités, c’est cher et ce n’est pas très intéressant sur le plan scientifique. 


Matthieu DELACHARLERY

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