Pollution lumineuse : "Il faut une prise de conscience à l'échelle nationale"

par Benoît LEROY
Publié le 5 juin 2023 à 11h14, mis à jour le 6 juin 2023 à 12h41

Source : JT 20h Semaine

Le nombre d'étoiles visibles à l'œil nu à certains endroits pourrait être divisé par deux en moins de 20 ans.
Un constat qui interroge, alors que la pollution gagne rapidement du terrain, notamment en France.
Pour en savoir plus, TF1info a contacté Anne-Marie Ducroux, de l'ANPCEN, une association dédiée à la préservation de l'environnement nocturne.

Décennie après décennie, la pollution lumineuse gagne du terrain. À tel point que le nombre d'étoiles visibles à l'œil nu, une fois la nuit tombée, pourrait être divisé par deux en moins de vingt ans à certains endroits, révélait en janvier dernier une étude publiée dans la revue Science

Pour évaluer l'effet de la lumière artificielle sur le ciel de nuit, les scientifiques se sont appuyés sur des observations d'étoiles réalisées entre 2011 et 2022 par quelque 51.000 citoyens scientifiques, surtout aux États-Unis et en Europe. À partir de ces observations, les chercheurs ont pu en déduire que la luminosité du ciel a augmenté annuellement de 9,6% en moyenne dans les lieux de résidence des participants. Concrètement, un enfant qui nait aujourd'hui dans un lieu où 250 étoiles sont visibles la nuit ne pourra en voir qu'une centaine lorsqu'il atteindra l'âge de 18 ans. 

Un constat qui interroge, d'autant que l'impact de la lumière artificielle sur le vivant, au sens large, va bien au-delà de l'observation du ciel étoilé. Pour en savoir plus, TF1info a contacté Anne-Marie Ducroux, porte-parole de l’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturne (ANPCEN).

Il y a encore très peu d’endroits où l’on a une bonne qualité de nuit en France
Anne-Marie Ducroux, présidente de l'ANPCEN

Depuis plus de 20 ans, votre association milite pour limiter l'impact de la lumière artificielle. Les résultats de cette étude vous ont-ils surpris ?

Anne-Marie Ducroux : À l’origine, ces chercheurs avaient démontré une augmentation de 2% en moyenne par an. Dans leur dernière étude, ils indiquent qu’elle serait plutôt de 10% en moyenne, un chiffre dont ils s'étonnent. Mais on s’étonne à vrai dire qu’ils soient étonnés : on sait qu’il y a une sous-estimation de la pollution lumineuse depuis des années, l'éclairage privé - panneaux publicitaires, enseignes lumineuses, etc. - n'étant pas pris en compte, faute de données disponibles. En seulement 20 ans (entre 1992 et 2012), à partir du seul éclairage public, le nombre de points lumineux de l’éclairage public avait augmenté de plus de 89%, produisant 94% de lumière artificielle en plus pendant la nuit. 

La pollution lumineuse générée par la multiplication des sources de lumière artificielle touche aussi bien les villes que les campagnes. Existe-t-il encore des endroits de nuit noire en France ? 

Souvent, on croit qu’il n’y a que les grandes villes qui produisent de la lumière. Or, ce n’est pas le cas. La lumière se diffuse à distance des sources, sur des dizaines et des dizaines de kilomètres à la ronde. En 2015, on a publié une carte de la pollution lumineuse en France. On voit très bien qu’il existe encore très peu d’endroits où l’on a une bonne qualité de nuit, soit ce sont des zones inhabitées, dans les montagnes par exemple, soit ce sont des zones avec une densité de population très faible, la fameuse "diagonale du vide". La totalité des communes sont beaucoup trop éclairées par rapport à ce qu’est la réalité du rythme biologique dont nous avons besoin, d’où l’importance de réduire la quantité de lumière émise. Mais pour cela, il faut une prise de conscience à l'échelle nationale. Car si une commune agit au mieux mais que toutes ses communes environnantes ne font rien ou augmente les sources lumineuses, son effort va être fortement amoindri.

L'étude parue dans Science a coïncidé avec le remplacement de nombreux éclairages extérieurs par des diodes électroluminescentes (LED). En raison des économies d'énergie qu'elles génèrent, cette technologie est souvent qualifiée d’écologique. Selon vous, c'est une hérésie. Pourquoi ? 

Les LED ont un rendement lumineux plus important que les technologies qu'on utilisait auparavant et permettent des économies d'énergies, d'où le fait qu'elles sont parées d'allégations écologiques. Mais en réalité, ce qu'on observe sur le terrain, c'est que les points lumineux se multiplient. Les élus se disent : puisqu’on va faire des économies d’énergie, on va pouvoir en mettre encore plus. Chaque année, cela se compte par millions, ce qui conduit à une contribution très forte des LED dans l’augmentation de la quantité de lumière artificielle. Par ailleurs, comme elles sont souvent mal orientées, une partie de la lumière est dirigée vers le ciel, ce qui amplifie encore le phénomène. De plus, les LED créent une lumière à très forte composante de bleu, dont on sait qu’elle va avoir une toxicité supérieure à la fois sur les humains, la faune et la flore.

En faisant en sorte que la nuit ressemble au jour, on a brisé ce rythme biologique naturel. C’est pourtant là-dessus que le vivant s’est construit depuis des millions d’années.
Anne-Marie Ducroux, de l’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturne (ANPCEN).

Les effets de la lumière artificielle sont nombreux et touchent aussi bien les humains que les animaux ou les insectes et même les plantes. Quelles en sont les conséquences ? 

Physiologiquement, pour vivre au mieux et être en bonne santé, l'humain doit s’exposer longtemps à la lumière solaire le jour et dormir dans une qualité d’obscurité la nuit. Or, de nos jours, on vit à l’envers la plupart du temps. Ce dérèglement biologique a des effets sur la production hormonale, diminue nos défenses immunitaires et perturbe ausi la régulation de l’humeur. Concernant le monde animal, nous avons publié une étude qui montre que cela impacte tous les groupes d’espèces, des oiseaux aux batraciens, en passant par les reptiles, les poissons ou encore, les planctons. 

Comme nous, ils ont une horloge biologique qui est conditionnée par la lumière et l’alternance du jour et de la nuit. En faisant en sorte que la nuit ressemble au jour, on a brisé ce rythme biologique naturel. C’est pourtant là-dessus que le vivant s’est construit depuis des millions d’années. On sait d'ailleurs que la pollution lumineuse est la deuxième cause d’effondrement des insectes. Entre une zone éclairée et non éclairée, on a observé une différence de 62% dans la pollinisation des deux zones. Ces pollinisateurs ont un rôle essentiel, car sans eux, rappelons-le, les arbres fruitiers ne produisent pas de fruits. 

Aujourd’hui, la pollution est reconnue dans les textes de référence nationaux. Il y a encore dix ans, ce n’était pas le cas. Cette prise de conscience des effets de la pollution lumineuse se traduit-elle dans les actes ? 

Aujourd'hui, les maires sont de plus en plus sensibilisés aux problématiques qui entourent la pollution lumineuse. Actuellement, quelque 12.000 villes pratiquent l’extinction en milieu de nuit. C'est la solution que nous recommandons depuis des années, car c’est la plus simple et la moins coûteuse. Avec la hausse des prix de l’énergie, c’est un levier supplémentaire afin de réduire l’éclairage des villes et, dans le même temps, la pollution lumineuse qui en découle. 


Benoît LEROY

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