ESPACE - Un segment de la fusée chinoise s'est désintégré au-dessus de l'océan indien en retombant sur Terre. Nicolas Brobrinsky, responsable du département ingénierie et innovation au Centre des opérations spatiales de l'Agence spatiale européenne (Esa), plaide pour une évolution réglementaire sinon "le problème va se poser à nouveau".
La partie centrale de la fusée Longue-Marche 5B, qui était hors de contrôle, s'est désintégrée au-dessus de l'océan Indien tôt ce dimanche matin, à l'emplacement prévu et sans causer apparemment de dégâts. Pékin affirmait que le retour incontrôlé du segment de son lanceur lourd, qui avait placé le 29 avril sur orbite le premier module de sa station spatiale, présentait peu de risques. Ces derniers jours, les autorités spatiales américaines et européennes ont suivi avec attention la situation, tentant de déterminer quand et où elle pourrait retomber. Pour en savoir plus, LCI a contacté Nicolas Brobrinsky, responsable du département ingénierie et innovation au Centre des opérations spatiales de l'Agence spatiale européenne (Esa).
LCI : Que sait-on à ce stade du point d’impact et des éventuels débris qui ont pu tomber sur Terre ?
Nicolas Bobrinsky : L’étage central de la fusée Longue-Marche 5B a effectué sa descente d’orbite ce matin à 4H15 au-dessus de l’océan Indien au Nord des Maldives. Du fait de la masse de cet objet, en environ 18 tonnes, nous avions effectivement quelques craintes concernant l'emplacement exact de son point de chute, mais finalement tout s’est bien passé et il n’y a eu aucun dégât. La majeure partie du segment de la fusée a brûlé dans l’atmosphère, comme on s’y attendait. Tout le monde est soulagé et en premier lieu nos amis chinois qui étaient pointés du doigt. L'atmosphère étant plus dense, la vitesse décroit rapidement au cours des dernières minutes de sa descente d'orbite. Par conséquent, la vitesse à laquelle sont tombés les éventuels débris restants était relativement faible, de l’ordre de 200 kilomètres par heure - contre 20.000 kilomètres par heure lorsque l'étage central de la fusée se trouvait en orbite autour de la Terre.
Pourquoi et comment ce morceau de fusée est-il devenu incontrôlable ?
Nicolas Bobrinsky : La Chine a placé le 29 avril sur orbite le premier module de sa station spatiale, grâce à une fusée porteuse Longue-Marche 5B. Et c'est l'étage central de cette fusée qui est revenu sur Terre dans la nuit de samedi à dimanche. Pour des lanceurs de ce type-là, il faudrait prévoir un mécanisme permettant de contrôler la rentrée dans l’atmosphère, avec la possibilité, par exemple, de rallumer le réacteur. Les Chinois ont estimé qu'un tel dispositif n'était pas nécessaire. Dans pareil cas, les dégâts dus à l’énergie cinétique sont extrêmement faibles. Cela n’a rien à avoir avec l’impact d’une météorite ou d’un astéroïde qui lui traverse l’atmosphère en quelques secondes. Nous ne sommes pas dans ce scénario. Pour autant, il faudra tirer les leçons de cet événement. Lorsqu’on sait que la désintégration ne sera pas complète, il faudrait renforcer la réglementation internationale, via les Nations Unies par exemple, afin qu’à partir d’une certaine masse de lanceur des mesures soient prises en amont avec des mécanismes permettant une rentrée contrôlée. Sinon, le problème va se poser à nouveau. Les Chinois vont mettre en place le module numéro 2 puis le numéro 3, ce sera toujours avec le même type de fusée et ce sera à chaque fois le même suspens, avec le risque qu’un jour un incident grave se produise.
En Europe ou aux États-Unis, nous n’aurions pas pris un tel risque
Nicolas Bobrinsky
D'autant plus que ce n’est pas la première fois que la Chine perd le contrôle d’un engin spatial. Peut-on parler d’amateurisme de la part des Chinois ?
Nicolas Bobrinsky : Des débris d’une autre fusée Longue-Marche s'étaient effectivement écrasés l'an dernier près du village de N'Guessankro, en Côte d'Ivoire, provoquant des dégâts, mais sans faire de blessés. Les Chinois ont préféré prendre le risque, en se disant que seuls un ou deux morceaux allaient tomber, à faible vitesse et probablement au-dessus d’un océan. Et ils n’ont pas eu tort, sans en être certain bien sûr. En Europe ou aux États-Unis, nous n’aurions pas pris un tel risque.
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Pourquoi l'engin n'a-t-il pas été détruit avant son entrée dans l'atmosphère ?
Nicolas Bobrinsky : Les Américains, comme les Russes ou les Chinois, ont la capacité de détruire une cible dans l’espace via des missiles tirés depuis la Terre. Cela ne représente pas de difficulté sur le plan technique. Cependant, dans ce genre d’exercice, on génère beaucoup de débris qui vont eux-mêmes dans l’espace. C'est la raison pour laquelle une telle opération doit être utilisée en tout dernier recours. Les Chinois et les Américains ont effectué des démonstrations sur des satellites en fin de vie il y a quelques années pour montrer qu’ils étaient en capacité de le faire. Dans le cas chinois, le tir avait généré des milliers de débris dont certains restent en orbite pendant des décennies. Cela représente un risque pour ceux qui exploitent des orbites qui se trouvent à proximité. On estime à jour qu’il y a plus de 33.000 objets de 10 centimètres dans les orbites. S’ils percutent un satellite, cela peut engendrer des dommages importants. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'Union européenne a mis en place le programme "Space Safety and Security" qui vise à se doter de moyens supplémentaires pour mieux recenser et surveiller les débris en orbite