Mission en terre Adélie #23 : un lieu extraordinaire, le rocher du débarquement où les marins de Jules Dumont d'Urville ont posé le pied le 21 janvier 1840 il y a 177 ans jour pour jour

Michel Izard
Publié le 21 janvier 2017 à 14h33, mis à jour le 21 janvier 2017 à 16h31
Mission en terre Adélie #23 : un lieu extraordinaire, le rocher du débarquement où les marins de Jules Dumont d'Urville ont posé le pied le 21 janvier 1840 il y a 177 ans jour pour jour

CARNET DE ROUTE - Une équipe de scientifiques français est partie il y a deux semaines sur la base française Dumont d’Urville, dans l’Antarctique. Tout au long du mois de janvier, nos reporters Michel Izard et Bertrand Lachat vous feront vivre cette aventure extraordinaire au pôle Sud. Voici la suite de leur périple.

Le temps du départ pour les hivernants et pour une caravane dans le désert blanc

Le temps commence à s’accélérer. Hier soir, les hivernants de la TA 67 (67ème mission française en terre Adélie) qui arrivent, ont donné un petit concert pour saluer ceux de la TA 66 qui s’en vont.  Certains savent déjà qu’il verseront une larme. Julien, biologiste ornithologue, regarde un Pétrel des neiges qui regagne son nid, et nous dit qu’il rempilerait bien pour un an de plus. 

Beaucoup ont attrapé le virus de l’Antarctique. Ils ont touché du doigt, le bonheur de cette vie coupée du monde et de ses contingences pendant un an; la force des paysages, la violence du climat, la solidarité d’un groupe dans l’isolement de l’hiver. Il sont peut-être atteints du syndrome Charcot. Jean-Baptiste Charcot, le grand explorateur, Paul-Emile Victor l’appelait « le patron », a fait deux voyages vers le pôle sud entre 1903 et 1909. Charcot disait: « D’où vient l’étrange attirance de ces régions polaires, si puissante, si tenace, qu’après en être revenu, on oublie les fatigues physiques et morales pour ne songer qu’à retourner vers elles ». 

Les conditions de vie en Antarctique ont bien sûr beaucoup changé; plus de confort, moins d’aventure sans doute, mais l’on peut encore sentir cet esprit flotter dans l’air à Dumont d’Urville et à Cap Prudhomme, en janvier 2017. 

Et s’il est un personnage qui en est animé, c’est bien Patrice Godon. Du genre bourru de prime abord. Pas toujours loquace. Qui vous remet en place sans fioritures. Direct. Parfois caustique. Volontiers blagueur. Sans le chercher, il cultive un look de circonstance. Epaules carrées, salopette qui remonte au mollets, godillots de chantier : "c’est plus pratique", résume-t-il. DDU n’accueillera pas la Fashion Week!  

L’exploit du RAID

Patrice Godon, c’est le boss, le directeur de la logistique de l’Institut Polaire Paul-Emile Victor. 65 ans dont 38 ans de missions en Antarctique. Au total, en cumulé, il y a passé 15 ans. Toute une vie. Il vient de prendre officiellement sa retraite mais il est encore sur le pont pour former son successeur, Patrice Bretel, qui prend ses marques avec tact et prudence. Il tient la boutique comme on dit. Monsieur Godon n’est pas du genre à s’épancher sur sa carrière, ni à s’émouvoir du temps qui passe. Son but: être efficace. Avec lui pas d’attendrissement mais… quand on parle du RAID, l’observateur attentif lui verra poindre une flamme au fond des yeux. "Le RAID c’est son bébé", nous dit-on. Le RAID, c’est la caravane qui va traverser le continent blanc pour ravitailler la station franco-italienne de Concordia. Le RAID c’est un défi! Et nous retrouvons Patrice Godon, au volant d’un de ces énormes tracteurs dont les chenilles de caoutchouc dépassent les 2 mètres de hauteur. Il fait un essai de traction sur une charge. "Il faut vérifier si ça marche!". Il a pensé, conçu, fait fabriquer et il continue à améliorer le matériel de ce convoi qui 3 fois par an transporte 300 tonnes de frêt à 1150 kms à l’intérieur de l’Antarctique. Il a fallu tout inventer. 

"Pour les expéditions des années 50, les gars partaient et ne se lavaient pas pendant des mois. On roule 11h par jour dans un désert blanc par - 30° ou -40°, alors quand on s’arr_ête, il faut un minimum de confort." Il a mis au point des caravanes de vie pour les 10 personnes qui font le voyage. Il s’est entouré d’une équipe fiable. Il a fait de ce qui reste une aventure, un mode de transport fiable et durable. Une référence pour les autres pays. "On a reçu en formation des américains, des japonais, des chinois…"

En ce 21 janvier 2017, pour la 61ème fois depuis 1993, le RAID va s’élancer dans cet extraordinaire aller-retour de 2300 kms. 6 tracteurs, précédés par des chasse-neige, tirent une trentaine de traineaux chargés de carburant, de nourriture et de matériel. Aujourd’hui, Patrice Godon n’y va pas, il a fait le voyage 40 fois déjà, mais il est là pour le départ. Et quand on lui demande comment il vit ce moment, il répond: "Je pas me mettre à pleurer! ça fonctionne! C’est normal!" C’est pourtant un exploit à chaque fois. 

Bertrand Lachat filme la caravane qui s’éloigne dans l’immensité blanche. Elle mettra 11 jours à arriver si tout va bien. Grâce à elle, des recherches scientifiques de pointe peuvent être menées à Concordia, à 3200 mètres d’altitude près du pôle Sud, dans un des endroits les plus méconnus, les plus isolés et les plus hostiles de la planète.

Patrice Godon est rentré au bureau pour régler un autre départ, celui du bateau l’Astrolabe, toujours bloqué à 70 kms, de DDU, la station Dumont d’Urville, que nous devons prendre demain pour rentrer.


Michel Izard

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