TENSIONS SPATIALES - Un tir de missile antisatellite par la Russie a engendré de nombreux débris qui ont déstabilisé la Station spatiale internationale lundi. Ces tirs inquiètent depuis plusieurs années la communauté internationale, qui ne parvient pas encore à les encadrer.
Quelques sueurs froides pour un tir de missile antisatellite : lundi 15 novembre, les sept astronautes à bord de la Station spatiale internationale (ISS) ont dû rejoindre en urgence leurs vaisseaux, à cause d'un test de missile russe qui a pulvérisé un vieux satellite soviétique, produisant des centaines de débris spatiaux - des objets artificiels non utilisés.
Moscou a admis mardi avoir réalisé un tir d'essai, tout en jugeant "hypocrites" les déclarations de Washington qui l'accuse d'avoir mis en danger l'équipage de la station - dont deux Russes font pourtant partie - et d'avoir menacé une foule de satellites alentours. Un incident révélateur des tensions croissantes sur le champ de bataille spatiale, ainsi que de la pollution de l'espace par ces millions de pièces en gravitation, potentiellement dangereuses.
Un danger géopolitique et militaire
Depuis quelques années, des tirs antisatellites ont lieu en effet au grand dam de la communauté internationale. Selon Christine Chapel, journaliste de TF1 spécialiste des sciences et de l'espace, ce sont surtout la Chine et la Russie qui lancent ce type de missiles, "officiellement dans le but pacifique de détruire des satellites en fin de vie qui encombrent l’espace", mais qui cachent en réalité des ambitions géopolitiques.
"C'est tout le sujet de la militarisation de l'espace : c’est une démonstration de force qui permet de montrer aux voisins qu'on est capable d’aller démolir un de leurs satellites, explique Christophe Bonnal, chercheur au CNES et président des commissions "Débris spatiaux" de l'Académie internationale d'astronautique, contacté par LCI. Car si on détruit un satellite étranger, c’est très clair : c’est la guerre."
En effet, au-delà des activités militaires d’observation des territoires ennemis, de communications cryptées et d’écoute, "les satellites sont absolument omniprésents dans notre vie, à tous les niveaux", note le spécialiste : ils sont utilisés à la fois pour la météo, la connaissance de l’environnement, les télécommunications, les GPS (et donc de nombreuses applications de navigation), la distribution d'électricité…
Bref, "on mourrait tout de suite s’il n’y en avait plus", résume Christophe Bonnal. "Si on veut paralyser un pays, on détruit ses satellites, car cela fait repartir le pays deux siècles en arrière", renchérit Christine Chapel.
L’épineuse question des débris spatiaux
Ces tirs soulèvent un autre problème : à l'instar du tir russe, ils génèrent beaucoup de débris spatiaux, qui peuvent aussi abimer les satellites alentours. En tout, quelque 10.000 tonnes de débris divers graviteraient dans l’espace selon Les Echos, allant des pièces de satellites détruits donc à des satellites inactifs, en passant par des morceaux d’équipements d’astronautes, et qui se déplacent à 7 km/h environ. Et peuvent donc faire de gros dégâts.
"Les tout petits débris sont très durs à suivre pour les agences spatiales, alors qu'ils représentent un vrai risque : pour la station spatiale internationale, qui avance à 29.000 km/h, un débris de la taille d’un pouce est l’équivalent sur Terre d’une boule de pétanque lancée dans une vitre, détaille Christine Chapel. Dès qu’il y a une alerte, tous les astronautes doivent se mettre dans les vaisseaux amarrés à la station, pour pouvoir redescendre tout de suite en cas de dépressurisation."
"Les collisions entre débris en orbite génèrent de nouveaux débris et donc aggravent le risque de collision en chaîne"
Christophe Bonnal, chercheur au CNES et président des commissions "Débris spatiaux" de l'Académie internationale d'astronautique
"Ce risque reste anecdotique", tempère Christophe Bonnal, notamment parce que même si le danger existe, la station spatiale n’est pas sur la même orbite que les satellites. Le spécialiste s’inquiète davantage de retombée de ces déchets sur Terre : "S'ils tombent de manière incontrôlée, ils peuvent tuer quelqu’un au sol, cela présente donc des risques pour les populations", met-il en garde, même si les débris n’ont fait aucune victime pour l’heure.
De plus, le phénomène s’autoalimente. "Les collisions entre débris en orbite régénèrent de nouveaux débris, et donc aggravent le risque de collision en chaîne, explique le chercheur. Cette régénération non contrôlée et non contrôlable du nombre d’objets dans l’espace se nomme le syndrome de Kessler. L'un d'eux, très important, s'est formé entre 750 et 1100 kilomètres d’altitude à peu près."
Et plus le trafic spatial augmente, plus le phénomène risque de prendre de l’ampleur. En 2010, on comptait 200 satellites, contre 4000 en 2021, un nombre qui pourrait grimper à 100.000 en 2030 selon les projections de la start-up française Spaceable, spécialisée dans la surveillance des risques liés aux satellites.
Une législation internationale balbutiante
C’est seulement depuis les années 2000 que la question de la réglementation des débris est envisagée, mais elle n’est toujours pas contraignante. "Il n'y a pas de loi internationale, explique Christophe Bonnal. Le seul pays à avoir une loi, c'est la France. Pour tout le reste, ce ne sont des recommandations, des codes de bonne conduite qui, évidemment, sont beaucoup plus souples."
La réglementation internationale visant à éviter la régénération de débris a vu le jour à la fin du siècle dernier, avec de premiers textes adoptés en 1995 aux États-Unis. La question est portée à l’ONU en 2007, un standard ISO est adopté en 2010. "Tout le monde est tout à fait d'accord avec tous ces textes, mais ce n’est pas appliqué du tout", déplore le spécialiste. "L’ONU recommande de renvoyer vers l’atmosphère terrestre des satellites en fin de vie pour les brûler dès qu’ils y entrent, mais elle ne peut pas sanctionner les pays qui ne le respectent pas", ajoute Christine Chapel.
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Le problème reste sujet à préoccupation : tout récemment, lors de la 4e édition du Forum de Paris sur la Paix qui s’est tenue du 11 au 13 novembre, opérateurs de satellites, agences spatiales, chercheurs et associations se sont réunis pour appeler à limiter cette pollution spatiale d’ici à 2030, dans le cadre de l’initiative "Net Zero Space".
Outre le renvoi des débris vers la Terre, il est aussi possible de retirer de gros objets en orbite pour stabiliser leur augmentation, une opération appelée "retrait actif de débris". "Une dizaine des débris les plus dangereux sont retirés par an, précise Christophe Bonnal. On y travaille depuis 2005 à peu près, on n’y arrive plutôt bien techniquement, mais le problème, c'est le financement, à quoi s'ajoutent des questions juridiques, militaires, d'assurances..." Dernière possibilité : faire en sorte lors de la conception que les nouveaux satellites construits perdent le moins d’éléments possibles lors de leur circulation.