Un trou noir supermassif enfin pris en photo ? "C’est comme observer un grain de pavot à 4000 km de distance"

Publié le 10 avril 2019 à 9h16, mis à jour le 10 avril 2019 à 18h14

Source : Sujet JT LCI

INTERVIEW – Des scientifiques devraient dévoiler ce mercredi la première vraie photo d’un trou noir et non pas une simulation numérique. LCI a contacté l’astrophysicien Jean-Pierre Lasota pour décrypter cette découverte scientifique majeure.

Parmi les curiosités scientifiques qui parviennent à capter sans faillir l’attention du grand public, les trous noirs sont probablement l’un des sujets qui fascine le plus. Prédits par la théorie mais jamais directement observés, ces "gloutons de l’espace" sont trente fois plus lourds que le Soleil, mais cinq mille fois plus petits. 

Ce mercredi 10 avril, une équipe d’astronomes de l’Event Horizon Telescope (en abrégé EHT, littéralement le "Télescope de l'horizon des événements") devrait dévoiler la toute  première vraie photo de ce monstre du cosmos : un trou noir supermassif nommé M87*, situé au centre de la galaxie Messier 87, à quelque 53 millions d'années-lumière de la Terre.  Sa masse correspond 6,5 milliards de fois celle de notre Soleil.

Pour en savoir plus sur cet événement scientifique majeur, LCI a contacté Jean-Pierre Lasota, directeur de recherche au CNRS à l'Institut d'astrophysique de Paris (IAP). 

LCI : L’Event Horizon Telescope a été lancé en 2006. En quoi consiste ce projet scientifique ?

Jean-Pierre Lasota : L’EHT est un réseau qui rassemble plusieurs radiotélescopes autour du monde dans le but de créer un télescope "virtuel" avec un diamètre effectif équivalent à celui de la Terre. En combinant les données ces observatoires, une centaine de scientifiques étudient l’environnement immédiat de Sagittarius A*et celui de M87*, le trou noir de la galaxie Messier 87. Le tout avec un pouvoir de résolution permettant d'observer leur horizon.

En quoi ce que nous allons voir sur cette image sera différent ce que nous savons déjà sur les trous noirs ?

Les astronomes de l’Event Horizon Telescope semblent avoir pu photographier la véritable silhouette de Sagittarius A*. Or les seules représentations que nous avions de ces objets célestes jusqu’à présent étaient des simulations numériques. C’est donc une première.

Ils grossissent depuis quelque dix milliards d'années.
Jean-Pierre Lasota

Comment alors les astronomes de l’EHT sont-ils parvenus à réaliser cette prouesse ?

Par définition, un trou noir est noir. Selon la loi de la relativité générale établie en 1915 par Albert Einstein, qui permet d'expliquer leur fonctionnement, l'attraction gravitationnelle d'un trou noir supermassif est telle que rien ne peut s'en échapper, ni la matière, ni la lumière. Il ne réfléchit rien, ce qui le rend invisible dans l'espace. Pour l’observer, il faut donc un fond lumineux qui délimite ses abords. En combinant les données de télescopes et de radiotélescopes, nous pouvons capter le rayonnement ionisant émis par la matière qui gravite autour du trou noir avant qu’elle ne soit aspirée par ce dernier. En se déplaçant, elle devient très chaude, brille et émet de la lumière. En réalisant des instantanés du tracé lumineux, il est possible de redessiner sa silhouette.

Cette photo d’un trou noir est donc une découverte scientifique majeure...

J’attends avec impatience de voir cette image de mes propres yeux.  Le fait d’observer depuis la Terre  le trou noir qui se trouve au centre de notre galaxie est quelque chose d’incroyable. Cela équivaut à regarder un grain de pavot à 4000 kilomètres.

Mais il serait cependant étonnant que la photo soit foncièrement différente des représentations que nous en avions avec les simulations numériques. Je ne sais donc pas ce que nous pourrons réellement en tirer sur le plan scientifique proprement dit. Il faudrait que la qualité du cliché soit suffisante pour déterminer la taille exacte de la silhouette du trou noir. Dans ce cas, nous pourrons en déduire le spin, c’est-à-dire la vitesse de rotation. C’est la dernière chose que nous ignorons sur la nature des trous noirs.

Doit-on s’attendre à d’autres photos de trou noir dans le futur ?

A moins d’un miracle technologique, pour de nombreuses années à venir, c’est terminé. Hormis Sagittarius A*, le trou noir au cœur de notre galaxie et qui pourrait être photographié par le projet européen Gravity, tous les autres trous noirs de notre galaxie sont trop petits pour que nous puissions les observer depuis la Terre. 

Ce n’est pas la faute des scientifiques, c’est la faute de l’univers. Il y a beaucoup de trous noirs mais ceux qui sont proches sont trop petits, alors que ceux qui sont énormes sont beaucoup trop éloignés. 


Matthieu DELACHARLERY

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